mardi 11 novembre 2008

Seminole

LES SEMINOLE,
LE PEUPLE DE FLORIDE


LES PREMIERS HABITANTS DE LA FLORIDE
C'est au printemps 1513, avec l'expédition de l'Espagnol Ponce de Leon, que commencent l'exploration et la conquête européenne en Floride et dans le Sud-Est des futurs Etats-Unis. C'est Ponce de Leon qui donnera le nom de "Florida" à cette belle région à la végétation tropicale.
Les Espagnols, à la recherche de richesses mythiques qu'ils ne trouveront jamais, sèment la destruction parmi des populations qui, au premier abord, leur font bon accueil, mais résistent ou s'enfuient quand les Espagnols veulent en faire des esclaves, des porteurs ou des guides pour leurs expéditions. Les Indiens ressentent comme une insulte les exigences espagnoles. Les conquérants, forts de leurs armes à feu, de leurs cuirasses et de leurs chevaux, s'emparent des hommes par la force et les enchaînent. Il faut noter que ces chaînes, qui n’ont pu être trouvées sur place, ont forcément été apportées dans l'intention préméditée de réduire en esclavage les populations indigènes. Les guides indiens doivent conduire leurs tourmenteurs vers de supposées richesses, comme les Cités de l’Or ou la Fontaine de Jouvence. La moindre rébellion ou traîtrise est punie du bûcher "pour l'exemple". Certains Indiens n'hésitent cependant pas à conduire les Espagnols dans des embuscades.
Les premiers peuples de Floride nous sont connus par le témoignage des Huguenots français débarqués en 1564 sur les côtes de la péninsule et qui, à la différence de la plupart des Espagnols, avaient noué des bonnes relations avec les Indiens. Ils seront finalement évincés par les Espagnols. Deux de ces Français, Jacques Le Moyne et René de Laudonnière ont laissé des témoignages très précis sur les Timucua, le peuple du nord de la péninsule, avant qu'ils ne disparaissent, victimes des épidémies et de l'esclavage.
Les Timucua fondaient leur économie sur l'agriculture, assumée surtout par les femmes. Les hommes se chargeaient du défrichage et d'une partie des récoltes, mais consacraient la plus grande part de leur temps à la chasse, à la pêche, à la construction des villages faits de huttes rondes entourés de palissades, à la défense et à la guerre. Hommes et femmes sont représentés presque nus, le corps recouvert de tatouages. Les femmes portent leurs cheveux flottant sur les épaules, tandis les hommes, armés d'arcs, de flèches et de courtes lances, les ramènent en chignon au sommet de la tête. La guerre qu'ils mènent contre d'autres tribus est destinée à s'emparer de prisonniers plutôt qu'à conquérir des territoires. Tandis que les captifs hommes sont mis à mort, souvent sous la torture, les femmes et des enfants sont épargnés. Traités en citoyens de seconde zone plutôt qu'en esclaves au sens strict, ils se fondent dès la seconde génération dans la population timucua.
Les Calusa qui vivaient sur la côte sud-est de la péninsule remplaçaient l'agriculture par la cueillette des nombreuses plantes comestibles qui poussaient dans leur riche environnement naturel. La pêche, la chasse souvent pratiquée à la sarbacane, tenaient une grande place dans leur économie. Les zones marécageuses du centre de la Floride n'étaient pratiquement pas habitées. Seules l'étaient les côtes et la partie septentrionale de la péninsule, au nord du grand lac Okeechobee.
En deux siècles de massacres et d'oppression, marqués par les expéditions de Ponce de Leon, de Panfilo de Narvaez et d’Hernando de Soto, les Espagnols avaient réduit à quelques centaines d'individus les populations indigènes de Floride qui, à leur arrivée, se comptaient par dizaines de milliers. Calusa, Timucua, Cusabo, Euchee avaient pratiquement disparu. Les esclaves indiens qui n'étaient pas employés comme guides ou porteurs pour les expéditions étaient contraints de construire et d'entretenir les missions, ainsi que les nombreux forts et ports de mer qu'avaient implantés les Espagnols, surtout préoccupés d'assurer le commerce avec l'Europe. Beaucoup d'esclaves étaient envoyés aux Antilles dont les populations indigènes avaient été décimées dès le XVIème siècle. Les Indiens s'efforçaient de résister par les armes ou par le déplacement dans les régions difficilement pénétrables du centre de la péninsule. De nombreux esclaves indiens parvenaient à fuir leurs oppresseurs, mettant à profit leur connaissance du pays et leur capacité à survivre dans une nature hostile.
Cependant, aux XVIIIème et XIXème siècles, les Espagnols ne maintenaient en Floride qu'une présence militaire réduite à quelques places fortes, sans avoir mis en oeuvre une véritable colonisation de peuplement. Il en ira différemment avec les colons d'origine anglaise qui, dès le début du XVIIIème siècle, chercheront à s'emparer des terres indiennes pour y installer des plantations de coton et de tabac.
Au nord de la Floride vivaient les Apalachee et les Yamassee, proches parents des Creek, caractérisés par un important développement de l'agriculture à laquelle travaillaient hommes et femmes, et qui possédaient de grands villages que les explorateurs qualifieront de "villes".
Les Apalachee subissent au milieu du XVIème siècle le passage destructeur de l'expédition d'Hernando de Soto. Au début du XVIIIème siècle, les Yamassee, victimes de l’expansionnisme des colons anglais installés sur les côtes de ce qui deviendra la Georgie, doivent fuir vers la Floride, à cette époque territoire espagnol, constituant ainsi les premiers « Seminole », un nom qui veut dire « les exilés » en langue creek.


LA GRANDE CONFEDERATION DES CREEK
Au XVIIIème siècle, la confédération des Creek (Muskogee) qui occupe les actuels Etats de Georgie et d'Alabama demeure la principale puissance du Sud-Est.
La confédération creek était constituée d'une cinquantaine de villes avec chacune ses villages satellites. Chaque ville avait ses chefs élus. Certaines villes dites "rouges" fournissaient les guerriers de la nation, tandis que les villes "blanches" étaient habitées par les producteurs, les agriculteurs, les artisans. Les chefs des villes se réunissaient régulièrement en un Grand Conseil de la Nation Creek.
La ville creek comportait une vaste place entourée de bâtiments communautaires au centre de laquelle un feu brûlait en permanence, ainsi qu'un vaste terrain de jeu de balle où l'on pouvait aussi danser, donner des spectacles et célébrer des cérémonies. Les habitations étaient alignées le long de rues rectilignes. Chaque maison se composait de plusieurs petits bâtiments entourant une cour intérieure et un jardin potager cultivé par les femmes de la famille.
Autour de la ville s'étendaient des champs communautaires où tous les hommes travaillaient, même les chefs, afin de donner le bon exemple. Une partie des récoltes allait dans les greniers familiaux, tandis qu'une autre partie était stockée dans des greniers collectifs et utilisée en cas de disette.
En 1715, les Creek se joignent aux Yamassee ainsi qu'aux Yuchee et aux Biloxi, des petites tribus de langue siouane qui tentent de résister aux empiétements des colons anglais. Vaincus, les Indiens coalisés doivent demander la paix en 1717 et certains Creek s'enfuient vers la péninsule de Floride avec leurs alliés. A partir de 1738, de terribles épidémies de variole ravagent les nations indiennes du Sud-Est, tuant en quelques années plus d'un tiers de la population.
Après le traité de Paris de 1763 qui assure la suprématie anglaise en Amérique du Nord, un nouvel exode se produit. Voulant échapper à l'emprise britannique, de nombreux Creek du Sud se déplacent vers la Floride avec les survivants des Apalachee, des Miccosuki, rejoints par des esclaves noirs fugitifs.
En 1776 éclate une importante révolte cherokee conduite par le jeune chef Dragging Canoë opposé à la vente des terres indiennes aux colons. Bien qu'ennemis des Cherokee, les Creek apportent leur aide aux insurgés qui sont bientôt connus sous le nom de « Chikamaugas ». Plusieurs milliers de guerriers creek et cherokee combattent l'armée anglaise et les colons américains en une longue guérilla qui durera plus de dix ans. L’infériorité de l’armement des Indiens causera leur défaite.
En 1790, puis en 1802, les jeunes Etats-Unis vont contraindre les combattants indiens épuisés à abandonner la plus grande partie de leurs terres. Bientôt, les colons de Georgie empiètent sur le peu de terres qui restent aux Indiens et, en février 1813, l'armée des Etats-Unis envahit le territoire creek pour atteindre la Floride, encore entre les mains des Espagnols. Une majorité de Creek comprend que l'existence même de leur nation est menacée et que le moment est venu d'unir leurs forces et de chasser les Blancs de leurs terres. C'est ainsi que débute l'un des conflits les plus sanglants du Sud-Est, la guerre des Bâtons Rouges.


LES CREEK "BATONS ROUGES"
Red Eagle, fils d’une femme creek et d’un colon anglais et grand admirateur de Tecumseh, le fameux chef shawnee, entraîne des milliers de guerriers creek contre l'armée américaine et les colons installés sur leurs terres.
Ces combattants creek qui se font appeler "Bâtons Rouges" se sont donné comme signe de reconnaissance une baguette peinte en rouge, et des mâts peints en rouge signalent l'entrée de leurs villages. Les guerriers bâtons rouges ne combattent armés que de leurs armes traditionnelles, arcs et haches de guerre. Leur opposition aux Blancs est si forte qu'ils refusent tout ce qui vient d'eux, y compris les fusils et tous les objets de métal, ce qui leur donnera dans les combats une infériorité que, malgré leur habileté et leur courage, ils ne pourront surmonter. Les Bâtons Rouges, qui se recrutent principalement chez les Creek du sud, les plus traditionalistes, ont également à lutter contre la majorité des chefs siégeant au Grand Conseil de la Nation Creek. Beaucoup de ces chefs, riches et instruits, sont des métis qui reconnaissent l'autorité des Etats-Unis et qui constituent ce qu'on a appelé le parti des Creek "blancs", cependant minoritaire dans la population creek.
Commencée au printemps 1813, la guerre des Bâtons Rouges s'achèvera un an plus tard par la défaite des résistants creek, après les combats acharnés et extrêmement meurtriers qui se sont déroulés à Horseshoe Bend.
Avec cinq mille soldats renforcés par plusieurs centaines de Cherokee et de Choctaw, le général Andrew Jackson donne l'assaut, le 27 mars 1814, au village creek de Tohopeka, près d'Horseshoe Bend. Le village, entouré de solides palissades, est défendu par un millier de guerriers bâtons rouges accompagnés de leurs familles. Les canons de l'armée finissent par faire une brèche dans les fortifications et les défenseurs sont submergés par un ennemi plus nombreux et plus puissamment armé. Quelques jours plus tard, Red Eagle venait faire sa reddition au général Jackson, demandant que l'on épargne ceux de son peuple qui ont trouvé refuge dans les marais.
Beaucoup des résistants creek défaits en 1814 entendent continuer le combat. Six mois plus tôt, le 5 octobre 1813, Tecumseh avait trouvé la mort à la bataille de la Thames River sur les rives du Lac Erié. La résistance indienne s’était effondrée. La Floride, avec ses forêts tropicales denses et ses marécages difficilement pénétrables, apparaissait comme le seul endroit où les Indiens peuvent encore résister à l'est du Mississippi.
Survivants des tribus indigènes, Creek du sud, réfugiés après la défaite des Bâtons Rouges, esclaves fugitifs, c'est ainsi que s'est constitué le peuple seminole.


UNE CULTURE ADAPTEE
Dans leur nouvel environnement naturel fait de forêts humides denses, ceux que l'on appelle désormais les Seminole s’efforcent de maintenir leur agriculture, leurs villages fortifiés, le mode de vie et l’organisation sociale qu'ils ont connus sur les terres plus hospitalières du nord.
Ils doivent cependant adopter un mode de vie et une culture compatibles avec les conditions climatiques particulières de la Floride: chaleur, humidité, végétation dense de type tropical, marécages profonds, manque de terres cultivables, rareté du gros gibier.
Leurs villages sont plus petits, plus dispersés. La société complexe et hiérarchisée qui était celle des Creek doit être remplacée par un système de petites bandes autonomes organisées autour des clans familiaux. Ceux qui ont pu continuer à vivre dans le nord de la péninsule, une région de pâturages, ont développé l'élevage des bovins et des porcs acquis auprès des Blancs.
L'habitation seminole traditionnelle est le chickee, une construction légère et aérée, couverte de palmes ou de branches de cyprès, bien adaptée aux régions humides, ressemblant aux carbets des Indiens de Guyane. Un chickee de cuisine se dresse au centre du petit village. C'est là que les femmes du clan familial viennent en commun préparer les repas. D'autres chickee servent de chambres, de salles de réunion, d'entrepôts. Les Seminole construisent leurs villages sur les "hammocks", des levées de terre au milieu des marais. Certains chickee sont montés sur pilotis et seulement accessibles en barque, de longues pirogues à fond plat creusées dans un tronc d'arbre et qu'on conduit à la perche sur les eaux peu profondes.
La chasse aux cervidés et au petit gibier, canard, dindon sauvage, loutre, écureuil, tortue, ainsi que la pêche et la cueillette des nombreux fruits et végétaux tropicaux assurent une grande partie de leur subsistance. Ils exploitent les ressources qu'offrent le palmier et s'adonnent à la dangereuse chasse à l'alligator dont ils mangent la chair et utilisent la peau pour façonner des récipients et des boucliers. De jeunes Seminole, armés d'un simple couteau, font de la lutte contre un alligator un sport par lequel ils montrent leur adresse et leur courage.
Les exilés de Floride maintiennent leur agriculture traditionnelle partout où les terres le permettent, maïs, courges, haricots, patates douces, qu'ils cultivaient déjà quand ils vivaient au nord. Ils développent de nombreuses plantations de bananes et d'ananas.
Aux XVIIIème et XIXème siècles, la plupart des Seminole ont abandonné les vêtements de peau et de fibres végétales de leurs ancêtres. Les hommes sont représentés vêtus d'une ample tunique avec une large ceinture et coiffés d'un turban surmonté de plumes. Le fusil n'a pas remplacé l'arc, l'arme des embuscades silencieuses, mais s'y est ajouté. Les femmes sont vêtues de longues robes de coton de couleur claire, parées de nombreux colliers de perles. Les Seminole portent maintenant des étoffes achetées aux Blancs et utilisent de nombreux objets du commerce. Ceux qui vivent à ce moment dans la moitié nord de la péninsule, la plus fertile, ont des échanges commerciaux suivis tant avec les Anglais qu'avec les Espagnols.


RESISTANCE
En 1793, le grand chef creek McGillivray meurt. Les Seminole d'origine creek, la majorité, se séparent politiquement de la Confédération des Creek, déjà affaiblie par ses divisions internes, et prennent leur indépendance sous l'autorité de "King" Payne et de son frère Holapatter Micco (Chef Alligator) connu des Blancs sous le nom de Bowlegs.
En 1812, les Seminole répondent à l'appel de Tecumseh qui rassemble les tribus de l'Est contre les Américains. Alliés aux Anglais, ils s'attaquent aux établissements des colons de Georgie. Mais les Américains lancent leurs troupes contre les villages seminole du nord de la Floride et les Indiens sont contraints de se replier vers l'intérieur de la péninsule.
Les Seminole doivent lutter contre les colons américains qui affluent et empiètent sur leurs terres, surtout depuis que les Américains ont obtenu des Espagnols le droit de poursuivre les Indiens sur l'ensemble du territoire de Floride.
En mars 1818, le général Jackson quitte Fort Scott avec dix-huit mille soldats réguliers et volontaires, renforcés de mille six cent Creek « blancs » du chef McIntosh, l'allié des Américains. Malgré les difficultés du terrain marécageux, Jackson parvient à détruire de nombreux villages seminole. Il affronte à plusieurs reprises d'anciens guerriers creek bâtons rouges qui poursuivent la lutte en Floride et qui sont le fer de lance de la résistance seminole. Les guerriers seminole, en difficulté, trouvent refuge à Fort Saint Marck près de Saint Augustine, en territoire espagnol. L'armée de Jackson attaque le fort. Les Indiens résistent avec énergie, mais les soldats espagnols, peu motivés pour se battre, livrent le fort aux Américains. Les Seminole qui n'ont pu fuir sont faits prisonniers. Leur chef Hillis Hadjo et trois de ses compagnons sont pendus pour « rébellion ». Quelques mois plus tard, Andrew Jackson s'était rendu maître de toute la Floride. L'année suivante, les Etats-Unis achetaient la Floride à l'Espagne.
Ainsi prenait fin ce qui a été appelé la Première Guerre de Floride.


LA LOI DE DEPORTATION
Andrew Jackson, devenu gouverneur de Floride, veut en expulser les Indiens. En 1823, il obtient, par la flatterie et la corruption, la signature du traité de Camp Moultrie par plusieurs chefs seminole qui acceptent d'abandonner tout le nord de la Floride, la région fertile que convoitent les Américains. Une réserve est créée à Fort King, près de la baie de Tampa, sur la côte ouest, où sont rassemblés les Seminole soumis.
La vie sur la réserve seminole se révèle vite difficile. Située dans une région en partie marécageuse, l’agriculture y est peu productive. Les Seminole sont administrés, c’est-à-dire étroitement surveillés, par un agent nommé par le président Jackson. Les propriétaires blancs des plantations n’hésitent pas à violer les limites de la réserve seminole afin de rechercher des esclaves fugitifs, dont certains sont indiens. La protection que leur assure les Indiens est bien souvent le seul espoir de salut pour les esclaves noirs ou métis qui fuient les plantations de leurs maîtres.
La situation des Seminole qui entendent demeurer libres hors de la réserve est encore beaucoup plus précaire. Ils sont contraints de se retirer dans les marécages du centre et du sud, pratiquement incultivables, maintenant infestés par la malaria, une maladie inconnue avant l'arrivée des Blancs. Réduits à la plus extrême misère, beaucoup de Seminole tentent de revenir sur leurs anciens territoires maintenant occupés par des colons. Ils attaquent et pillent les fermes, les plantations, tuent et scalpent, tandis que les colons formés en milices détruisent les villages indiens, enlèvent femmes et enfants pour les vendre sur le marché aux esclaves de Charleston. L’état de Floride paye des primes pour les scalps seminole, y compris ceux de femmes et d’enfants. Les fermiers, les propriétaires de plantations qui ont leurs milices privées promettent aussi des primes pour les scalps indiens. Inutile de dire que la chasse aux Indiens est très activement menée.
En mai 1830, à l’instigation d'Andrew Jackson, le Congrès vote le décret d’expulsion vers l'Ouest des Indiens vivant à l'est du Mississippi (Indian Removal Act) Ce sera le début de la « piste des larmes » pour les Creek, Cherokee, Choctaw, Chickasaw et Seminole, les nations que l’on a appelées les « Cinq Tribus Civilisées ».
Au début des années 1830, moins de dix ans après sa création, la réserve seminole installée autour de Fort King n'est plus qu’une fiction. Elle est maintenant largement investie par les colons américains, une invasion à laquelle les Seminole de la réserve, qui se sont vus interdire de posséder des armes, n’ont pu s’opposer.
En 1832, Andrew Jackson, devenu président des Etats-Unis, obtient d’une partie des chefs seminole la signature du traité de Payne Landing par lequel ils abandonnent la moitié du territoire restant encore entre les mains de la tribu pour la somme dérisoire de 15 000 dollars, sur laquelle devra être prélevé le coût des déprédations indiennes, une clause qui apparaîtra par la suite dans de nombreux traités imposés aux Indiens sous la contrainte. De plus, les signataires, qui sont censés parler au nom de tous les Seminole, acceptent de s’installer, dans un délai de trois ans, sur le Territoire Indien de l’Ouest.
Ceux que les Blancs reconnaissent comme « chefs » sont ceux qui acceptent de signer les traités aux conditions que les Blancs leur imposent. Ils ne représentent évidemment pas toute la tribu. Les signataires du traité sont des hommes riches, presque tous métis, vivant comme les Blancs, possédant des plantations, du bétail, de belles demeures qu'ils comptent vendre pour s'installer en Territoire Indien. Ils ont des esclaves noirs, régulièrement achetés sur le marché de Charleston, qu’il leur sera permis d'emmener vers l’Ouest. Il a été souvent rapporté que les esclaves noirs étaient mieux traités par leurs propriétaires indiens, seminole, creek ou cherokee, que par leurs maîtres blancs.
Tandis que les Seminole propriétaires terriens utilisent la main-d'oeuvre noire à la manière des Blancs en l’employant sur leurs plantations, environ deux mille Noirs vivent chez les traditionalistes seminole, des esclaves qui ont fuit les plantations de Georgie. Ces hommes courageux qui, pour gagner leur liberté, ont pris l’énorme risque de s'évader, sont bien accueillis par les Indiens qui les intègrent à leur société, non comme esclaves, mais en hommes libres. Les esclaves évadés mettent leurs connaissances du monde des Blancs au service de leurs frères indiens. Certains aident à l'agriculture, à l'élevage, à l’artisanat. Beaucoup participent avec les guerriers indiens à la défense de leur nouveau peuple. Certains deviennent des chefs de guerre. Les mariages entre Noirs et Seminole sont fréquents.
Les conditions imposées par le traité de Payne Landing à propos des Noirs vivant en hommes libres chez les Indiens vont donner aux Seminole une raison de plus de résister. Il est prévu que tous les Noirs évadés, même depuis de nombreuses années, seront, au moment de partir vers l'Ouest, séparés des Indiens et restitués à leurs "légitimes" propriétaires. Les Seminole ne peuvent accepter une telle condition qui déchire leurs familles et leur société, surtout quand ils apprennent qu’une clause, tenue un certain temps secrète, prévoit de mettre en esclavage tous les Seminole métissés possédant du « sang noir »!
On a complètement méconnu l'esclavage des Indiens du Sud-Est. En fait, depuis le XVIème siècle, et jusqu'en plein XIXème siècle, la plupart des Indiens faits prisonniers, en particulier les femmes et les enfants, plus faciles à soumettre que les hommes, étaient systématiquement réduits en esclavage. Le prix de leur vente couvrait les frais des expéditions militaires. Les Indiens étaient souvent envoyés aux Antilles, voire en Europe, afin qu'ils ne profitent pas de leur connaissance du pays pour s’évader.


OSCEOLA
En avril 1835, l’agent de la réserve de Fort King, le général Wiley Thompson, convoque les chefs de la résistance seminole pour obtenir leur signature sur le traité de Payne Landing. La plupart s’y refusent absolument. Un jeune chef, Osceola, entre dans une violente colère et, d’un coup de couteau, coupe en deux le document. Retenus prisonniers, les rebelles finiront par signer sous la contrainte afin de retrouver leur liberté. Osceola, qui sera bientôt l'âme de la résistance, avait, encore adolescent, pris part à la guerre que les Seminole avaient menée en 1817-1818 contre les troupes du général Andrew Jackson. Durant toute l'année 1835, il parcourt la Floride, appelant son peuple à résister à la déportation.
Le président Jackson lance un ultimatum aux Seminole, les menaçant de les déporter par la force. Osceola fait répondre qu’ils combattront jusqu'à la mort plutôt que d'abandonner leur pays. Les chefs seminole décidés à résister, Osceola, Micanopy, Jumper, Arpeika, Bowlegs, Wild Cat prennent au cours d'un conseil la décision d'abattre tout Seminole qui acceptera l'exil vers l’Ouest. C'est ainsi que l'un des chefs signataires du traité de Payne Landing est exécuté durant une nuit de l'automne 1835. Il venait de vendre les biens qu'il possédait en Floride et s’apprêtait à partir pour le Territoire Indien. Les guerriers d'Osceola ont trouvé l'argent dans les poches du mort, et Osceola lui-même a répandu les liasses de billets verts sur le cadavre du traître.
Le 28 décembre, Osceola tue et scalpe le général Thompson qui l’avait retenu prisonnier au mois d'avril. Le même jour, les guerriers commandés par Jumper et Micanopy tendent une embuscade sur la rivière Withlacoochee à deux compagnies qui se rendaient à Fort King, commandées par le major Francis Dade. Les soldats sont totalement anéantis. Trois jours plus tard, au même endroit, les guerriers d'Osceola arrêtent les troupes du général Duncan Clinch fortes de trois cents soldats réguliers et de cinq cent volontaires. Les Indiens dissimulés dans la végétation infligent aux Blancs une soixantaine de morts et de nombreux blessés, mais ils ne peuvent résister aux soldats qui les chargent à la baïonnette et ils doivent se disperser dans les marais.


UN ACTE DE TRAITRISE
Les Seminole restent insaisissables. Le général Jesup, qui a pris le commandement du front de Floride, fait capturer et emprisonner à Fort Marion le père du jeune chef Wild Cat, un vieux chef très respecté et partisan de la paix, afin d’obliger son fils à venir « négocier ». Wild Cat se rend à Fort Marion. Il exige du général l'engagement que, dans le cas où les Seminole accepteraient de partir vers l'Ouest, les Noirs adoptés par eux demeureraient avec les Indiens et ne seraient pas réduits en esclavage. Mais le général refuse de lui donner une telle assurance.
Isolés dans des marécages infestés d'alligators et de serpents, malades, affamés et comprenant qu'ils ne pourront jamais vaincre les Blancs, certains Seminole envisagent un compromis. Tandis que le vieux chef Arpeika, qui connaît bien, pour l’avoir éprouvée, la traîtrise des Blancs, déconseille toute négociation, Osceola fait en octobre une ouverture de paix par l'intermédiaire de Wild Cat.
Quand Osceola arrive à Fort Augustine avec une escorte d’une vingtaine de guerriers, le général Jesup le fait aussitôt saisir par ses soldats et emprisonner à Fort Marion. Pourtant, il s’agit de parlementaires protégés par le drapeau blanc et une pipe de paix qu'Osceola avait fait parvenir au général. Alors que Wild Cat et ses compagnons parviennent à s'échapper, Osceola meurt en captivité le 30 janvier 1838, certainement de maladie, mais aussi du désespoir de l’emprisonnement. Sa mort, qui a été décrite par le peintre et voyageur George Catlin, est un modèle de dignité et de courage tranquille. Le médecin du fort est autorisé à s’emparer du corps d’Osceola et à l’exposer dans un musée médical. L’acte de traîtrise du général Jesup envers les parlementaires indiens et la mort d’Osceola en captivité ne feront que renforcer la volonté de résistance des Seminole.


LA GUERRE DES MARECAGES
Le général Taylor prend le commandement des troupes engagées en Floride. Les marécages, les vasières profondes, la végétation tropicale dense interdisent à l'armée l'usage des chevaux et de tout équipement lourd, en particulier des canons. C'est un terrain particulièrement favorable à la guérilla indienne.
Le 27 décembre 1837, quatre cents guerriers seminole conduits par le vieux chef Arpeika et le jeune Wild Cat, tendent une embuscade aux six cents hommes du général Taylor. Dissimulés dans les arbres, les Seminole infligent de lourdes pertes aux soldats. Après plusieurs heures de fusillade, les Seminole, manquant de munitions, doivent céder du terrain. Chargés à la baïonnette, ils finissent par se disperser dans la forêt.
Le général Taylor fait construire à grands frais des fortins qui quadrillent le pays seminole et d'où partent des patrouilles qui s'efforcent de repérer les villages rebelles. Les villages indiens que les soldats découvrent sont systématiquement détruits avec toutes leurs provisions. Des chiens dressés à tuer sont amenés de Cuba et lancés contre les Indiens. Ces "bloodhounds" avaient d'abord été utilisés contre les Caraïbes des Antilles, puis dans le sud des Etats-Unis pour donner la chasse aux esclaves en fuite. Ces chiens sont terriblement redoutés des Seminole, surtout des femmes et des enfants, des proies faciles. Certains guerriers apprennent peu à peu à maîtriser ces chiens. Ceux qu'ils parviennent à capturer sont alors dressés à attaquer les soldats.
En juillet 1839, sur la rivière Caloosahatchee, un parti de deux cents guerriers conduits par Bowlegs s'empare d'un poste de l'armée. Le colonel William Harney, celui qui allait s’illustrer seize ans plus tard contre les Lakota à Ash Hollow, dormait sous sa tente au moment de l'attaque. Il parvient à fuir et en réchappe de justesse.
En 1841, le général Worth prend le commandement des troupes de Floride. Avec des effectifs renforcés, il poursuit la politique de destruction systématique des villages seminole et de leurs habitants. Poursuivis sans relâche, les Indiens ne peuvent plus pratiquer leur agriculture, effectuer leurs cueillettes. Epuisés, affamés, beaucoup de Seminole cèdent au désespoir. On raconte que des femmes étranglent leurs enfants, puis s’en vont combattre et mourir aux côtés des hommes. Le général Worth fait capturer de vieux chefs pacifiques et menace de les pendre si les leurs ne se rendent pas. Cette politique de terreur finit par avoir raison des capacités de résistance des Seminole.
Jumper, un Creek qui avait pris part à la guerre des Bâtons Rouges en 1813-1814 et participé aux embuscades tendues au major Dade et au général Clinch, s'est rendu dès 1837. Il est déporté vers l'Ouest et meurt durant le voyage. Micanopy qui avait participé à de nombreux combats et qui avait succédé à son père comme chef traditionnel de tous les Seminole et portait le titre de "micco", fait sa reddition en 1838 au général Jessup qui l'envoie à Charleston comme prisonnier de guerre, puis le fait déporter en Territoire Indien. Wild Cat, le jeune chef charismatique, fait sa reddition en 1841 avec deux cents des siens qui sont aussitôt mis aux fers et embarqués vers l'Ouest.
Bowlegs se rend l'année suivante pour épargner la vie de ceux qui le suivent, après qu’ils aient résisté pendant trois ans au coeur des Everglades, au sud de la Floride, dans des conditions atroces, affamés, durement touchés par la malaria, poursuivis impitoyablement par l’armée et ses chiens. Ceux de Bowlegs auront cependant plus de chance. Le gouvernement renonce, au moins provisoirement, à les déporter et leur "octroie" un peu de terre dans la région de Big Cypress.
A ce moment, le gouvernement déclare la Floride "pacifiée". C'est la fin de la seconde Guerre des Seminole.


LA DERNIERE GUERILLA
Pourtant, tout n'était pas fini.
En 1855, des ingénieurs de l’Armée qui, assez curieusement, s’occupaient et s’occupent toujours de génie civil, viennent effectuer des travaux de drainage dans les marais de Big Cypress, manifestement dans l'intention d’ouvrir la région au « développement », c’est-à-dire aux colons blancs.
Ils tombent sur les plantations de bananiers et les jardins de légumes appartenant au clan de Bowlegs. Ces ingénieurs ne trouvent pas indigne d'eux de se conduire en vulgaires pillards. Ils s'emparent des fruits, des légumes, des volailles appartenant aux Indiens et saccagent complètement la bananeraie et les jardins.
Devant le refus hautain des ingénieurs et de l’Armée de faire la moindre excuse et de verser la moindre indemnité, les Seminole, fous de rage, commencent à lancer des raids de destruction contre les plantations des Blancs de la région. Cette guérilla sporadique, qui a été appelée "Troisième Guerre des Seminole”, durera près de trois ans.
Des Seminole du Territoire Indien sont finalement appelés pour tenter de calmer les choses. Ils verseront, sur leurs propres deniers, une forte indemnité au clan de Bowlegs, l’armée ayant toujours refusé, contre toute évidence, de reconnaître sa responsabilité dans cette affaire. En 1858, les Seminole de l'Ouest réussissent à convaincre Bowlegs et une centaine de personnes d’émigrer en Territoire Indien. Ils s’installeront finalement le long de la Canadian River.
Tous, cependant, ne partiront pas. Environ cent cinquante Seminole rejoignent au coeur des Everglades ceux du vieux chef Arkeipa, ceux qui ne se rendront jamais.


DECHIRES ENTRE NORD ET SUD
En 1859, le gouvernement déclare terminées les guerres de Floride. Elles auront coûté dix-neuf millions de dollars au Trésor américain, fait 1 500 morts du côté des militaires et mobilisé en permanence entre trente et quarante mille soldats réguliers, sans compter les volontaires, pour venir à bout de deux mille guerriers et aboutir à la déportation de quatre mille Séminoles. Les Indiens avaient eu au moins deux mille morts, dont beaucoup de non-combattants, sans compter ceux qui avaient péri sur les routes de l'exil, environ un quart des déportés.
Les Seminole exilés en Territoire Indien ne connaîtront pas longtemps la paix. Quand, en 1861, éclate la Guerre de Sécession, ils se trouvent divisés entre partisans du Nord et partisans du Sud. La majorité des Indiens du Territoire embrasse la cause du Sud, non par sympathie, mais parce que des politiciens sudistes leur avaient affirmé que, s'ils l'emportaient, les Indiens seraient rétablis dans leurs droits sur leurs terres traditionnelles et pourraient former une nation, peut-être un Etat indien. Quand on sait comment l’Etat de Géorgie avait, vingt ans plus tôt, traité les Cherokee qui, justement, formaient une nation, on ne peut qu’être sceptique à l’énoncé d'une telle promesse. C’était à ce moment l'armée sudiste qui occupait le Territoire Indien, et on peut penser que les Indiens se sont trouvés quelque peu forcés de se prononcer pour le Sud et de lui fournir des combattants.
La majorité des Seminole décide cependant, avec beaucoup de courage, de soutenir la cause du Nord, ou plus exactement, refuse de fournir un contingent de guerriers à l’armée sudiste, essayant de demeurer neutre dans la guerre que se livrent les Blancs, une attitude considérée par le Sud comme une déclaration d’hostilité.
Poursuivis par les Confédérés et les Indiens ralliés à leur cause, les Seminole doivent fuir vers le Kansas demeuré sous le contrôle du Nord, en compagnie des Cherokee, des Chickasaw et des Creek qui suivent le vieux chef traditionaliste Opothle Yahola. Cet exode qui a lieu en plein hiver, dans des conditions épouvantables, fait des centaines de victimes, surtout des femmes, des enfants, des vieillards. Les fugitifs, affamés, démunis de tout, sont en but aux attaques des Confédérés et de leurs alliés indiens et texans. Dès que ces malheureux ont atteint le Kansas, l'armée du Nord ne manque pas de lever parmi eux un corps de "volontaires" indiens.


VENTE FORCEE EN TERRITOIRE INDIEN
La guerre terminée, les rancunes entre les différentes factions finissent par s’apaiser. L’économie et les institutions seminole, comme celles des autres "Nations Civilisées" du Territoire Indien, se reconstituent autour de leaders métis instruits et fonctionnent de manière à assurer à chacun, dans une économie entièrement tournée vers l'agriculture et l’élevage, une certaine prospérité, souvent supérieure à celle de leurs voisins blancs. Les épreuves subies, une acculturation partielle, n’ont pas fait disparaître la cohésion tribale et le devoir qu’ont les chefs de veiller au bien-être de leur peuple.
En 1867, les Cinq Tribus Civilisées, même celles qui avaient soutenu le Nord, sont contraintes d’abandonner tous leurs territoires de l’ouest du Territoire Indien afin de faire place aux tribus des Plaines que le gouvernement à l’intention de concentrer à cet endroit. Deux réserves sont ainsi constituées, l’une pour les Kiowa et les Comanche, l’autre pour les Arapaho et les Cheyenne du Sud qui viennent de signer le traité de Medicine Creek. Les Seminole doivent s’installer plus à l’est, sur un territoire fortement réduit, près de la réserve creek.
Au fil des années, de nombreux Blancs se sont installés sur le Territoire Indien, des voies de chemin de fer y ont été ouvertes, demandées, il faut le reconnaître, par certains Indiens « progressistes » qui voient là un moyen de développer leur pays. Des voix s’élèvent, de plus en pressantes, pour réclamer une « ouverture du Territoire Indien à la civilisation ». Vers 1880, la population blanche du Territoire représente plus du double de la population indienne.
Au printemps 1889, sous la pression de l'opinion publique, toujours prête à trouver que les Indiens ont trop de terres, et surtout pour ménager les intérêts des éleveurs et des compagnies de chemin de fer, le gouvernement contraint les Seminole, ainsi que les Creek, à vendre 5 000 km2 de leur terres qui sont ouvertes aux colons. Les négociateurs indiens avaient été menacés de tout perdre s'ils ne se décidaient pas à vendre. Après ce qu'ils avaient vécu dans l'Est, les Indiens savaient de quelles violences les Blancs étaient capables pour obtenir ce qu’ils voulaient, et ce n’était pas une menace à prendre à la légère.
En 1893, le Congrès crée une commission présidée par le sénateur Henry Dawes - celui qui avait donné son nom à la loi de Lotissement Général de 1887 - qui doit enquêter sur la situation du Territoire Indien. Comme on peut s’en douter, la commission conclut à l’urgente nécessité de mettre fin à l’application des traités signés cinquante ans plus tôt avec les Indiens du Territoire. Elle insiste sur les malheurs des colons vivant sur le Territoire (mais qui les a donc forcés à s’y installer ?) et sur les souffrances des « pauvres Indiens » qui aspirent à être gouvernés par les lois des Etats-Unis (!), alors que le niveau de vie, même des moins aisés de ces Indiens, est au moins égal à celui de leurs voisins blancs.
En 1895, le gouvernement fait procéder au recensement de la population des Cinq Tribus Civilisées et à l’arpentage de leur territoire, inquiétant présage d’une prochaine application de la loi de lotissement des terres indiennes en propriétés privées, la loi Dawes de 1887. Il s’empare des écoles créées et gérées par les Indiens et les transforme en écoles publiques.
La convoitise des éleveurs blancs pour les terres indiennes entraîne une situation de haine et d’extrême violence difficilement imaginables. En 1898, une femme blanche est retrouvée assassinée près des terres seminole. Aussitôt, sans aucune preuve, les Indiens sont accusés du meurtre. Des Blancs s'emparent de deux adolescents, dont le fils d'un notable seminole. Les deux jeunes Indiens sont brûlés vifs sur un bûcher par une foule de cent cinquante hommes blancs hurlant des slogans racistes. Un livre vient de paraître sous le titre « Seminole Burning » dans lequel Daniel F. Littlefield, un universitaire de l'Arkansas, raconte ce drame oublié.
En 1899, par le "Curtis Act", le Congrès des Etats-Unis décide d’appliquer la loi Dawes au Territoire. Il dissout les gouvernements autonomes et toutes les institutions des nations du Territoire Indien qui devient Territoire d'Oklahoma.
Les Seminole du Territoire d’Oklahoma, devenu un Etat en 1907, s'adaptent peu à peu à leurs nouvelles conditions de vie qui se rapprochent de celles de leurs voisins blancs. Cependant, beaucoup parviennent à maintenir certains aspects de leur culture traditionnelle.


ENTRE TRADITION ET MODERNITE
Depuis la fin du XIXème siècle, les descendants des Seminole demeurés en Floride ont du faire un compromis entre ce qui leur restait de vie traditionnelle et les nouvelles conditions que leur imposaient le développement et la modernité.
Ignorées par les autorités américaines, les petites communautés seminole de Floride ne disposaient pas encore au début du XXème siècle de territoires définis sur lesquels elles étaient assurées de vivre en sécurité. Reconnaître leur présence aurait été avouer l’échec partiel de la politique de déplacement des Seminole vers le Territoire Indien qui avait marqué la politique américaine pendant une grande partie du XIXème siècle.
De vastes projets de développement affectent la Floride au début des années 1900. Des routes coupent maintenant la péninsule d'est en ouest, des projets d'assèchement des marais et de détournement des cours d'eau sont élaborés et bientôt mis en oeuvre. Les éleveurs, les fermiers s'installent, d'immenses bananeraies et des plantations d’agrumes se développent. La côte de Floride, avec ses superbes plages, sa végétation tropicale devient un lieu de villégiature très fréquenté pour les riches Américains, le pendant atlantique de la côte californienne.
Pour protéger les Seminole et leur éviter une éviction certaine de leurs terres, le Bureau des Affaires Indiennes crée deux réserves. L'une est "Big Cypress Reservation". Elle s'étend sur environ 16 000 hectares au centre de la péninsule, à l'est de la ville d'Immokalee. L'autre est "Dania Reservation" une minuscule réserve de 170 hectares située sur la côte est, près de la ville d'Hollywood (qui ne doit pas être confondue avec la ville californienne) au nord de Miami. On l'appelle actuellement "Hollywood Reservation".
Les Seminole de Floride ont continué à vivre d’agriculture, de petit élevage et d’échanges avec les commerçants blancs qui leur fournissent étoffes, ustensiles, outils et objets manufacturés, ainsi que de nouveaux aliments comme le sucre, le café, le thé. Les Seminole chassent pour leur consommation, mais surtout pour la vente. Les peaux de loutre, de raton laveur et surtout d'alligator utilisées dans la maroquinerie de luxe leur rapportent d'appréciables revenus. Ils chassent également nombre d'oiseaux exotiques dont ils vendent les plumes colorées. Les plumes du héron mâle qui abonde au sud de la Floride sont très recherchées pour les garnitures des chapeaux des dames.
Bien qu'ils continuent à fabriquer de la vannerie et de la poterie, les marmites et récipients de métal et de verre sont couramment utilisés. Poterie, vannerie, objets de bois sculptés, vêtements, bijoux deviennent bientôt des articles du commerce que les Seminole s'efforcent de vendre sur le marché américain ou aux touristes qui viennent les voir.
Bien plus, le spectacle de leur vie traditionnelle : artisans au travail, construction des chickee, pêcheurs, chasseurs à la sarbacane, femmes pillant le grain dans de grands mortiers de bois et faisant cuire des galettes dans les braises, tout cela est mis en scène et devient une attraction touristique.
Le spectacle le plus prisé des touristes à la recherche d’émotions fortes est la lutte à mains nues contre un alligator. C'est là une activité très dangereuse quand elle se pratique avec des alligators adultes pouvant atteindre six mètres de long. Il s'agit non pas de tuer l’alligator, mais de le soumettre et de lui attacher ses redoutables mâchoires, tout en se protégeant des furieux coups de queue de l'animal. Plus l’alligator est grand, plus le spectacle est impressionnant et plus les touristes sont généreux avec celui qui s’expose ainsi. Certains Séminoles y laissent une main, voire un bras. De jeunes Séminoles vont vendre leur force de travail dans les ranchs des Blancs, souvent fort éloignés de leurs villages, et dans les plantations d'agrumes où ils travaillent à la cueillette des fruits.
Dans les années 1920-1930, le développement de l'automobile permet à de nombreux touristes de traverser la Floride sur les routes rectilignes qui viennent d’être construites, souvent des chaussées de remblais qui traversent les marécages. Des familles seminole ont pris l’habitude de venir le long de ces routes pour se montrer aux touristes, en particulier le long de "Tamiami Trail", une ancienne piste indienne qui relie Miami sur la côte est à la baie de Tampa à l’ouest, coupant à travers les marais des Everglades. Ils y construisent leurs chickee, donnent des spectacles et vendent leur artisanat, tout en continuant à chasser et pêcher dans les marais et les lacs des alentours.
Depuis les années 1890 et jusqu’à très récemment, hommes et femmes seminole ont adopté un style très particulier de vêtements faits de bandes de patchwork de couleurs vives, utilisant des modèles personnalisés extrêmement complexes, une technique élaborée rendue possible par l’introduction des machines à coudre. Les hommes portent des blouses serrées à la taille et des turbans. Les femmes ont de longues jupes amples et des corsages recouverts d’une cape. Elles sont coiffées de chignons ramenés vers le front, le cou enserré dans de nombreux rangs de colliers. On voit encore de nos jours des hommes traditionalistes portant des gilets en patchwork par dessus la chemise et le jean, mais le chapeau Stenson a remplacé le turban. Les robes, les capes multicolores et les chignons ne sont plus actuellement portés que par les femmes âgées ou par quelques jeunes traditionalistes qui en font un acte militant.
Jusqu'au début des années 1930, les Seminole, très dispersés, divisés entre diverses origines qui se manifestent au niveau de la langue, n’ont aucun gouvernement central qui pourrait parler en leur nom à tous et les défendre. Le dernier chef traditionnel - le micco - des Seminole de Floride avait été Bowlegs. Leur chef officiel est le superintendant du Bureau des Affaires Indiennes qui réside sur "Hollywood Reservation" et décide de tout ce qui les concerne.
En 1934, la Loi de Réorganisation Indienne, dite "loi John Collier" incite les tribus à constituer des gouvernements et des conseils autonomes élus selon les principes démocratiques américains. Mais ce n'est qu’en 1957 que les Seminole utilisent cette possibilité et se constituent en "Tribu des Seminole de Floride". Le quartier général de la tribu est sur "Hollywood Reservation", l'ancienne agence pour les Seminole. Le conseil élu par les différentes réserves négocie au nom de la tribu avec l'Etat fédéral, l’Etat de Floride et les autorités locales. Il promulgue les lois internes à la tribu et les fait appliquer. Il a d'importantes responsabilités au niveau du développement économique.
En 1935, toujours dans le cadre de la loi Collier qui tend à protéger le patrimoine territorial des Indiens, deux autres réserves ont été créées. L'une d'elles est "Brighton Reservation" sur la rive nord-ouest du lac Okeechobee. L'autre, placée sous la juridiction de l’Etat de Floride, s’étend à l’est de "Big Cypress Reservation".
En 1927, une école était ouverte sur "Hollywood Reservation", mais fermée en 1936. Des responsables de l'éducation et les partisans de l'assimilation avaient estimé qu'il était bon que les enfants seminole "bénéficient" des contacts avec la population blanche. Des internats où les jeunes Seminole sont invités à se rendre sont ouverts loin des réserves. Mais les parents seminole s'efforcent de résister à ce qu'ils considèrent comme une nouvelle forme de déportation, au besoin en cachant leurs enfants, et fort peu de jeunes Seminole fréquentent ces internats.
La christianisation des Seminole a été très tardive. Ce n'est que dans les années 1940 que des missionnaires baptistes et épiscopaliens réussissent à convertir au christianisme un nombre significatif de Seminole. A ce moment, plusieurs hommes-médecine très respectés se convertissent, ce qui incite beaucoup d'autres à le faire. Etre chrétien ne signifie par forcément abandonner le respect des valeurs tribales et de la spiritualité traditionnelles. Certaines pratiques, comme les rites de guérison, se perpétuent.
Beaucoup de Seminole se montrent jaloux de leur indépendance et de leur appartenance à la nation seminole souveraine, rejetant la citoyenneté américaine qui avait été reconnue à tous les Indiens en 1924. Quand en 1941 les Etats-Unis entrent en guerre contre le Japon et l’Allemagne, de jeunes Seminole refusent l’enrôlement dans l’armée américaine. Pourchassés pour « insoumission », ils sont arrêtés et maintenus en prison le temps de la guerre.
Ce n’est qu'en 1962 que la petite réserve Miccosuki est constituée sur des terres fédérales prises sur le parc national des Everglades, là où le "Tamiami Trail" borde le parc. Les Miccosuki s'étaient installés depuis une trentaine d'années le long de la route où passaient les touristes. D’autres petits groupes de Miccosuki sont toujours installés le long de la piste, considérés comme des "squatters". Les Miccosuki se considèrent comme plus proches des valeurs traditionnelles indiennes que les Seminole proprement dits, ce qui ne les empêche pas de s’ouvrir à l’économie moderne. Les Seminole d’origine creek, les plus nombreux, parlant le muskogee, occupent les réserves de Brighton, Hollywood, Big Cypress et la réserve de l'Etat de Floride. Ils étaient un peu plus de huit mille au recensement de 1990. Les Miccosuki, constitués de peuples d’une autre origine, parlent la langue hichiti. Ils sont moins de deux mille.
Les Miccosuki, ceux du sud, ont ouvert récemment des casinos et ont développé une économie entièrement tournée vers le tourisme. Ils servent de guides dans le parc des Everglades où leur expérience du terrain est irremplaçable.
Mais l'attrait des villes de la côte de Floride l’emporte pour beaucoup de jeunes Seminole sur l’attachement à la vie et aux valeurs tribales. C'est là une perte que déplorent les Anciens, peut-être un mouvement inéluctable qui, à terme, videra les réserves de Floride.
Un petit groupe d’environ deux cents personnes, la Nation Seminole Indépendante Traditionnelle, isolé dans les marais de Big Cypres, dans le comté de Collier, vit toujours dans son village de chickee, refusant toute relation avec les Etats-Unis et le monde moderne. Ce sont les descendants de ceux qui avaient suivi le vieux chef Arpeika, ceux qui ne se sont jamais rendus.


Source principale : « The Seminole », Merwyn S. Garbarino (Chelsea House Publisher)

2004 - Monique Boisson

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