mardi 11 novembre 2008

Restitutions

RESTITUTION DE RESTES HUMAINS ET D’OBJETS CULTURELS INDIENS


Les collections des musées, en particulier des grands musées américains, contiennent de nombreux objets indiens, acquis pour la plupart durant la seconde moitié du XIXème siècle. Si la suspicion ne peut être jetée sur tous, il est prouvé que nombre de ces objets sont le produit de vols opérés dans des sépultures récentes ou ont été « récoltés » à l’occasion de divers massacres, souvent sur les cadavres mêmes des victimes. Beaucoup de ces objets ont un caractère sacré ou au moins une signification culturelle très forte pour les nations indiennes.
De nombreux restes humains indiens, en majorité des crânes, probablement plusieurs centaines de milliers, sont détenus par les musées d’anthropologie des Etats-Unis. Ils ont été recueillis massivement à partir de 1860, sur ordre du ministère de la guerre, comme spécimens destinés à l’étude scientifique, une étude tendant à prouver l’infériorité des Indiens.
Une loi adoptée en 1990 par le Congrès américain interdit le pillage des sépultures indiennes. Elle oblige également les musées à envoyer aux tribus concernées la liste des artefacts et des restes humains qu’ils possèdent afin de négocier avec elles une restitution. Certaines de ces restitutions sont déjà intervenues, beaucoup d’autres sont actuellement en cours et beaucoup plus encore s’avèrent difficiles.
Les nations indiennes des Etats-Unis sont désireuses de se voir restituer certains objets qui ont pour elles une valeur historique, culturelle et surtout spirituelle. C’est, en particulier pour les jeunes Indiens dépossédés de leur mémoire, un important moyen d’éducation. Quant aux restes humains, les Indiens exigent de pouvoir les inhumer sur leurs terres avec le respect qui leur est dû et selon leurs traditions.

On ne peut accuser tous les musées présentant des objets indiens d’avoir constitué leurs collections de manière frauduleuse et immorale. Beaucoup d’objets ont été honnêtement acquis. La plupart étaient troqués contre des marchandises que les Indiens désiraient, ou bien ils ont été offerts à des voyageurs blancs par leurs amis indiens.
Par exemple, la belle collection de peaux peintes du Musée de l’Homme de Paris constituée aux XVIIème et XVIIIème siècles semble appartenir à cette catégorie. Les objets indiens recueillis par les Euro-Américains avant le milieu du XVIIIème siècle pour les régions de l’Est, et le milieu du XIXème siècle pour l’Ouest sont, dans l’ensemble, peu « suspects ».
A partir des années 1880, durant la période des réserves, ils étaient achetés à leurs propriétaires indiens. A cette époque, certains objets - des vêtements, des sacs - étaient même fabriqués spécialement pour les musées.
Il est tout à fait normal que les grands musées du monde présentent les belles réalisations de l’art amérindien parmi les autres trésors culturels de l’humanité. Certains Indiens, dépossédés de leur culture, disent avoir découvert les réalisations culturelles de leur peuple dans les musées.
Mais quand des objets - vêtements, mocassins, coiffures, armes, berceaux - sont étiquetés « collecté à la bataille de Ash Hollow (novembre 1855) » (*) ou « collecté à la bataille de Wounded Knee (décembre 1890) » que faut-il en penser ?
Que penser aussi des milliers d’ossements - squelettes, crânes, voire têtes coupées conservées dans le formol - prétendument destinés à l’étude qui constituent les collections des musées d’anthropologie, et dont il s’avère que, pour la plupart, ils n’ont pas été sortis des tiroirs depuis des dizaines d’années ? On lira dans les pages qui suivent comment et pourquoi ils ont été recueillis.
Depuis le début des années 1990, les Indiens s’efforcent, soutenus par une loi fédérale, d’obtenir la restitution des objets culturels qui leur ont été dérobés dans la seconde moitié du XIXème siècle, afin d’en faire un puissant moyen d’éducation pour leur peuple, en particulier pour les jeunes. Certains de ces objets sacrés - des pipes, des masques, des « sacs médecine » - sont à nouveau utilisés dans des rituels qui n’avaient pu être célébrés depuis plus de cent ans.

(*) Le 5 septembre 1855, le général William S. Harney attaque à Ash Hollow, Nebraska, le camp des Sioux Brulé du chef Little Thunder qui, sûr de son bon droit, ne tente même pas de se défendre. Près de cent Indiens sont tués, dont beaucoup de femmes et d’enfants. A cette occasion, le lieutenant G. K. Warren « récolte » un grand nombre d’objets qu’il fait parvenir au musée de la Smithsonian Institution de Washington. Citons, entre autres choses : une couverture de jeune fille, un sac perlé, des guêtres, une robe de femme, une couverture de cheval, une croupière (cf. « Les Indiens des Plaines », Colin F. Taylor). Des objets ont également été « récoltés » lors de l’attaque du lieutenant colonel George A. Custer à Washita River contre les Cheyenne du Sud, le 28 novembre 1868. Quant au massacre de Wounded Knee, les témoignages abondent sur la manière dont les biens des victimes ont été pillés et revendus à des musées ou à des collectionneurs privés (voir pages suivantes)


RACISME SCIENTIFIQUE
Les Indiens ont toujours pensé que les restes humains étaient sacrés et que les sépultures devaient être protégées du vandalisme. Cette croyance s’exprimait par des cérémonies funéraires élaborées et la pratique rituelle d’ensevelir le défunt avec certaines possessions terrestres qui l’accompagnaient dans le monde des esprits.
« La plupart des gens espèrent que les tombes de leurs parents et de leurs ancêtres ne seront pas dérangées ou détruites. Pour les Indiens des Etats-Unis, cependant, cette espérance a été brisée », déclarent Walter et Roger Echo Hawk dans le livre qu’ils ont intitulé : « Champs de bataille et cimetières : la lutte des Indiens pour protéger les sépultures de leurs ancêtres aux Etats-Unis » (Battlefields and Burial Grounds : The Indian Struggle to protect Ancestral Graves in the United States)
Walter Echo Hawk, un juriste d’origine pawnee, collabore au Native American Rights Fund (NARF) (1) de Boulder, Colorado. Il a travaillé à l’élaboration et à l’adoption par le Congrès de la loi de 1989 qui restituait aux tribus des collections du musée de la Smithsonian, et au vote en 1990 de la loi sur la Protection des Sépultures Indiennes, ainsi qu’à la création du Musée de l’Indien d’Amérique qui doit voir le jour à Washington en 2 002.
Le livre des frères Echo Hawk rappelle qu’en 1788, au Massachusett, un groupe de collégiens avait exhumé, pour d’amuser, les restes de quelques colons. Les gens avaient été indignés et une loi immédiatement votée interdisait de profaner des sépultures aux Etats-Unis, ainsi que d’y commettre des vols. Tout honnête citoyen des Etats-Unis est horrifié à la pensée de déterrer des cadavres et ceux qui le font sont appelés « détrousseurs de tombes » et « vampires ». Mais il n’en a pas été ainsi pour les Indiens. Les soi-disant « honnêtes citoyens » ne voyaient aucun mal à violer les tombes indiennes, à exposer les restes humains et à revendre les objets funéraires.

En 1990, à la demande du NARF, le docteur Robert E. Bieder, un historien et auteur connu dans le domaine de l’anthropologie, publiait un rapport sur la « collecte de spécimens indiens » à des fins prétendument scientifiques durant tout le XIXème siècle, ainsi que sur les conclusions que les savants en avaient tiré.
Le Dr. Bieder montre l’évolution de la pensée et des méthodes scientifiques quand, vers 1815-1820, les anthropologues ont mis en œuvre la crânologie (l’étude de la forme du crâne humain) et la phrénologie (l’étude de la taille du cerveau). Ces deux disciplines étaient utilisées comme des outils pour expliquer et prévoir le comportement des êtres humains. Leurs cibles principales étaient d’une part les « races inférieures » et d’autre part les « classes sociales délinquantes ».
Ces études avaient été conduites pour prouver l’hypothèse selon laquelle les Indiens, comme les esclaves noirs, étaient une race inférieure. L’idée était que, puisque les Indiens vivaient au contact étroit de la nature, ils étaient des « sauvages non civilisés » qui ne pouvaient être « utilement soumis ».
Dans son ouvrage, le Dr. Bieder étudie en détail les méthodes de travail et les conclusions du Dr. Samuel G. Morton, considéré comme le fondateur de l’anthropologie américaine.
En 1837, le Dr. Morton demande aux médecins de l’armée de lui envoyer « des crânes frais provenant d’Indiens, en particulier d’hommes éminents ou de chefs ». En 1839, il publie « Crania Americania », une étude dans laquelle il donne de surprenantes précisions chiffrées.
Selon lui, les crânes des Caucasiens (les Blancs) sont les plus grands avec un indice 87. Ceux des Asiatiques sont à 83, ceux des Indians d’Amérique à 82, les Malais à 81, et les Noirs (les malheureux !) n’ont que 78.(2). On remarque immédiatement une chose : l’échelonnement des volumes crâniens est en rapport direct avec la couleur de la peau - plus elle est foncée, plus le crâne est petit selon le Dr. Morton, donc plus la race est « inférieure ». Le Dr. Morton a du choisir soigneusement ses spécimens pour arriver à de tels résultats.....
Le Dr. Morton en conclut, bien évidemment, que les crânes plus gros, ceux des Blancs, montrent qu’ils possèdent une intelligence supérieure à celle des autres races. Il écrit plus loin que les Indiens sont comme des animaux qui ne peuvent être civilisés ou « être mis utilement en esclavage » et qu’ils vont disparaître, comme c’est le sort des races inférieures et de certaines espèces animales.
Le Dr. Bieder remarque : « Avec le recul du temps, on se rend compte que l’anthropologie des XVIIIème et XIXème siècles et même celle du XXème siècle, non seulement partageait les préjugés raciaux de l’opinion publique, mais souvent renforçait et encourageait ces sentiments grâce à ses « découvertes ». La science au secours du racisme....

En 1846, la Smithsonian Institution est fondée à Washington. Peu de temps après, un musée est ouvert à Chicago et un autre à New-York. Les trois musées entre alors en compétition pour la possession d’objets indiens et de restes humains.
L’étude du Dr. Bieder cite le zoologue Louis Agassiz, fondateur du musée d’anatomie comparée à l’Université d’Harvard qui collectait des restes indiens sous le prétexte qu’il s’agissait d’une « race en voie de disparition ». Mr. Agassiz écrivait en janvier 1865 au ministre de la guerre Edwin M. Stanton : « Envoyez-moi les corps de quelques Indiens (....). Demandez au chirurgien d’injecter une solution d’arséniate de soude dans l’artère carotide. J’aimerais avoir les corps entiers d’un ou deux beaux hommes et les têtes de deux ou trois autres ».
Le révérend Orson S. Fowler, un pasteur new-yorkais, possédait une large collection de crânes indiens. Il écrivait dans son ouvrage « Phrénologie pratique » que, selon l’observation qu’il avait faite de ces crânes, les Indiens étaient « cruels, assoiffés de sang, vindicatifs, accomplissant des actes de barbarie, torturant leurs victimes, extrêmement destructeurs, très dissimulés et circonspects, massacrant des femmes et des enfants sans défense » Et tout cela uniquement par l’observation des crânes !
En 1862, le Musée Médical de l’Armée des Etats-Unis est fondé afin de rassembler des spécimens indiens (3). Le 1er septembre 1868, le médecin général de l’armée des Etats-Unis envoie une note de service à tous les officiers médecins servant dans les forts établis en territoire indien ou à proximité. Il leur demande d’obtenir autant de crânes indiens qu’il est possible pour l’étude anthropologique que se propose de mener le Musée Médical de l’Armée. Les « guerres indiennes » font alors rage dans les Plaines et il est certain que les matériaux d’étude ne manquent pas. Rien n’oblige les collecteurs de crânes à se limiter à ceux des hommes. Les crânes de femmes et d’enfants sont également les bien venus, comme on va le voir plus loin. Les Indiens vivant déjà sur les réserves ne semblent pas avoir échappé aux chasseurs de crânes. Bien au contraire, car leur récolte était plus facile.
Le Dr. Bieder cite une lettre d’un collecteur de crânes de Camp Robinson, Nebraska: « Le crâne est en parfaite condition et à mon avis présente des caractères raciaux très marqués (....) Ceci est le squelette complet d’une jeune « squaw » d’environ seize ans dont les caractères raciaux ne sont pas aussi marqués que pour les précédents spécimens ».
Selon un collecteur de Fort Randall, Dakota du Sud : « Souvent la beauté observée durant la vie incite un collecteur à rapporter un crâne pour le musée. Ce fut le cas pour une « squaw » d’une remarquable beauté qui avait été la maîtresse de deux soldats à Fort Randall. A la mort de cette jeune Yanktonnaise ( !), le médecin du fort localisa sa tombe et pris sa tête, tout fier d’avoir acquis un si beau spécimen pour le musée ». Il ne semble pas que le médecin ait du attendre très longtemps son beau spécimen, et la mort prématurée de cette jeune femme est pour le moins très suspecte.
Un autre collecteur de Fort Randall écrit à propos de ses craintes d’être découvert en creusant une tombe pour y voler une tête. « Il s’agit du crâne d’un vieil Indien de père yankton et de mère brulé. Il est mort au poste le 7 janvier 1869 et a été enterré avec ses couvertures et ses fourrures à un demi mile du fort, au milieu des tipis occupés par ses amis. Je me suis emparé de sa tête dans la nuit qui a suivi son enterrement. Etant donné qu’il avait été enterré près de ces loges, je me suis demandé s’ils n’avaient pas de soupçons de ce que j’allais faire et s’il n’était pas dans leurs intentions de veiller près du corps. Pensant, cependant, qu’ils auraient du mal à croire que je volerais sa tête alors qu’il était à peine refroidi dans sa tombe, je suis venu dans la soirée, avec deux de mes assistants, mettre en sûreté ce spécimen ».
Les médecins militaires disposaient de laboratoires où ils préparaient les ossements destinés au Musée Médical de l’Armée. La procédure à suivre leur avait été communiquée par le musée. Un médecin, William A Colin, avait envoyé au musée le squelette d’un Indien de très grande taille qu’il avait fait exhumer de sa tombe par l’un de ses comparses. Il explique : « J’ai emporté le corps jusqu’à un laboratoire et avec l’aide du propriétaire, j’ai séparé les chairs des os en faisant bouillir le corps dans un récipient propre et je me suis assuré qu’aucun os n’avait été perdu ou ajouté ». La rigueur scientifique avant tout !
L’anthropologue Frank Boas commence à travailler pour les musées vers 1880. Le Dr. Bieder le décrit comme « s’adonnant avec passion à l’anthropologie physique, mesurant les crânes indiens, en particulier ceux des détenus, et collectionnant les crânes et les squelettes avec un zèle inusité ». Il raconte comment Mr. Boas payait les pilleurs de tombes 20 dollars pour le corps entier d’un Indien et 5 dollars pour une tête seule. (4)

Durant la grande époque de la récolte de « spécimens indiens » pour les musées américains, on peut affirmer que la science a été mise au service de la politique américaine basée sur la notion de Manifest Destiny (la destinée manifeste). Cette idée, apparue vers 1840, soutenait que les Etats-Unis étaient « manifestement destinés » par Dieu à occuper, civiliser et convertir à la religion chrétienne l’ensemble du continent américain d’un océan à l’autre. On voit ici la science venir renforcer la religion. C’est aussi à cette époque (1859) que Charles Darwin publie son œuvre majeure : « L’Origine des Espèces », expliquant l’évolution du vivant par la « survie des plus aptes », une notion que certains n’ont pas hésité à appliquer aux sociétés humaines, les sociétés « civilisées » plus performantes devant nécessairement supplanter les sociétés « primitives ».

En 1870, le Dr. George A. Otis travaillant pour le Musée Médical de l’Armée, déclarait que les données recueillies par l’examen des crânes et l’étude des cerveaux indiquaient que « les Indiens pourraient se voir assigner une position plus basse sur l’échelle humaine qu’on ne l’avait d’abord pensé ». En effet, dans les années 1870-1880, l’estime que les Blancs portaient aux Indiens était au plus bas.
Jusqu’au XVIIIème siècle, les Indiens d’Amérique du Nord avaient été souvent admirés pour leurs nombreuses vertus que beaucoup de Blancs avaient été en mesure d’apprécier - courage, honnêteté, hospitalité, générosité, solidarité, liberté - ou pour des raisons philosophiques, la notion de « nature », par exemple. Les pères fondateurs des Etats-Unis voyaient dans la société iroquoise un modèle de démocratie.
Mais à partir des années 1860, la résistance indienne, en particulier dans les Plaines et dans le Sud-Ouest, est ressentie comme un insupportable obstacle à l’avancée de la civilisation et au développement du pays. Les généraux Sherman et Sheridan organisent contre les tribus qui refusent de se soumettre une vaste campagne de dénigrement et de calomnie afin de justifier les massacres opérés dans les villages indiens. L’Indien rebelle qui lutte pour défendre ses terres et sa façon de vivre est totalement diabolisé, chargé de tous les crimes. Il n’est donc pas étonnant que l’examen « scientifique » des crânes et des cerveaux indiens ait justement révélé ce que l’on désirait prouver : les Indiens constituent une race inférieure, sauvage, cruelle, etc.
Les registres du Musée Médical de l’Armée indiquent que des spécimens indiens ont été officiellement collectés jusqu’en 1904 sur la réserve sisseton/wahpeton de Lake Traverse (Dakota du Sud) où des tombes récentes étaient fréquemment violées par les pourvoyeurs des musées. On peut imaginer le traumatisme émotionnel que ces pratiques révoltantes pouvaient causer chez les familles indiennes....

Le pillage éhonté des cultures indiennes n’a pas été, tant s’en faut, le fait des seuls anthropologues agissant au nom d’une science contestable. L’appât du gain, l’avidité pure et simple, exploitant les penchants dépravés du public ou des collectionneurs de « curiosités », en sont largement la cause.
En effet, il ne s’agit pas seulement des ossements et des offrandes funéraires volés dans les tombes, mais aussi des objets pris par les soldats ou les miliciens lors des combats, attaques de village et massacres divers. Ces objets, autrefois brûlés ou jetés, avaient pris de la valeur à la fin du XIXème siècle à mesure qu’ils devenaient plus rares ; aussi étaient-ils soigneusement collectés et revendus.
Dans son remarquable livre Lost Bird of Wounded Knee, Renee Samson-Flood rapporte les propos d’un cowboy qui sévissait contre les Danseurs des Esprits réfugiés dans les Badlands de la réserve de Pine Ridge durant l’hiver 1890, quelques semaines avant le massacre de Wounded Knee : « Nous étions toute une troupe d’hommes .... Nous avons tué environ soixante-quinze Indiens. Riley Miller et Franck Lockhart sont revenus sur les lieux de l’embuscade avec des chevaux de bât et ils ont rapporté sept chargements d’armes, de vêtements, de coiffures de guerre et de chemises des esprits (5) et toutes sortes de choses. Riley a emporté tout cela à Chicago et il a ouvert un musée. Il en a tiré beaucoup d’argent ».
Renee Samson-Flood raconte la suite : « Riley Miller transporta toute sa collection à Chicago, à l’occasion de l’Exposition Universelle en l’honneur de Christophe Colomb qui s’y était ouverte en 1893, et entra en partenariat avec un certain Charles D. Bristol dit « Omaha Charlie ». Ils organisèrent une exposition présentant cinq cents « reliques indiennes ». La principale attraction de leur exhibition était un bébé indien desséché ! L’horrible relique attirait des foules qui défilaient devant un petit enfant recroquevillé dans une boîte en verre. Des milliers de curieux pressaient leurs mains et leurs nez contre la vitre et des parents soulevaient leurs enfants afin qu’ils jettent un coup d’œil à ce que la publicité appelait « Le Papoose Indien Momifié, la Plus Grande Curiosité Jamais Exposée ». On voit à quelles horreurs pouvait conduire l’appât du gain flattant une curiosité morbide....
« Miller vendit toute sa collection à Charles Bristol et partit pour le Klondike participer à la ruée vers l’or.... La collection Bristol fut en exposition à partir de 1906 au musée de la Société d’Histoire du Nebraska qui en fit l’acquisition en 1935. En 1992, plusieurs objets provenant de cette collection étaient encore exposés au musée ».
On se doute que le massacre de Wounded Knee du 29 décembre 1990 a été l’occasion des pillages les plus indécents. Ms. Sansom-Flood décrit ainsi la scène qui se déroulait au bord de la fosse commune où l’on jetait les morts, le 2 janvier 1891 : « Les fossoyeurs dépouillèrent les corps de tout ce qui était vendable comme s’ils dépouillaient des lapins. Les vêtements furent vendus pièce par pièce aux nombreux spectateurs qui se trouvaient là. Les vêtements tachés de sang furent vendus plus cher, et l’interprète Philip Wells fut parmi les derniers renchérisseurs pour des chemises des esprits qu’il revendit plus tard au Bureau Américain d’Ethnologie .... Les photos de Yellow Bird et de Big Foot (du photographe George E. Trager), ainsi que les vêtements et les possessions des morts, furent très recherchés par les collectionneurs et l’exploitation des objets de la Danse des Esprits s’est poursuivie jusqu'à nos jours. En 1992, des chemises des esprits ont été vendues plus de quarante mille dollars »
Dans son livre intitulé Ghost Dance, David H. Miller raconte les suites du massacre de Wounded Knee : « Mis en joie par leur ‘victoire’ remportée sur le vieux Big Foot, beaucoup de soldats voulaient des chemises et des robes comme souvenir. En conséquence, beaucoup de morts indiens furent dépouillés de leurs vêtements et abandonnés nus. L’un des officiers avait promis un scalp comme souvenir à une jeune fille de l’Est. Au moins un des Indiens fut donc ainsi mutilé. D’ailleurs, l’officier qui commandait ferma soigneusement les yeux sur de tels actes ».

Il ne faut pas croire que les pillages de sépultures indiennes et les expositions scandaleuses de restes humains appartiennent au passé.
Ce n’est qu’en 1993 que les Pawnee ont obtenu que soit fermé au public un de leurs anciens cimetières situé au Nebraska où les squelettes de leurs ancêtres étaient offerts à la curiosité malsaine des visiteurs.
En décembre 1998, un musée de la ville de Saint Petersburg, en Floride, exposait des crânes, des squelettes, des momies et divers objets religieux provenant de plusieurs cultures indiennes anciennes, spécialement d’Amérique du Sud, rassemblés sous le titre racoleur d’« Empires du Mystère ». La momie d’une femme quechua vieille de 1 500 ans était exposée sous le titre de « sorcière ». L’AIM de Floride a protesté contre cette exposition et la dénomination insultante de la momie, réclamant à nouveau que ces objets soient traités avec respect et restitués aux peuples auxquels ils appartiennent.
En 1998, des crânes humains étaient en vente à New-York dans une boutique de curiosités, côte à côte avec des restes d’animaux protégés par la loi et dont la vente est interdite. Le propriétaire de la boutique a déclaré que ces crânes provenaient de tribus séminole et péoria. Il a été condamné à une amende. La loi américaine interdit la vente de tout reste humain.




LA LOI DE PROTECTION DES SEPULTURES INDIENNES
En 1990, le Congrès des Etats-Unis adoptait la loi de Protection des Sépultures Indiennes et de Restitution (Native American Grave Protection and Repatriation Act - NAGPRA) qui prévoyait de rendre aux tribus des restes humains et objets culturels indiens détenus par les musées.
La loi de protection qui répondait enfin à l’exigence de nombreux Indiens et en particulier d’organisations comme le NARF et le Congrès National des Indiens d’Amérique (NCAI) apparaît comme un indispensable complément à la loi de 1978 qui reconnaissait la liberté de religion des indigènes américains (Native American Religious Freedom Act). En effet, le déplacement, le vol, l’exposition, l’étude « scientifique » de restes humains, d’objets déposés dans les sépultures ne représentent pas seulement pour les familles et les peuples qui en sont victimes un traumatisme affectif et une perte culturelle majeure. Cela apparaît comme une profanation, une atteinte profonde au sentiment religieux d’un peuple. La plupart des cultures indiennes attachent une grande importance au fait qu’un corps repose en paix dans son intégrité. C’est la condition pour que l’esprit du défunt poursuive son voyage vers le monde des esprits.

La loi de 1990 interdit de fouiller les sépultures indiennes et d’y voler des objets. Mais la police poursuit peu ce genre de délit. Quand les délinquants sont traduits en justice, ils sont passibles au plus une peine d’un an de prison avec sursis et d’une amende qui n’est pas dissuasive si on la compare aux gros profits qu’ils font en revendant les produits de leurs vols à des collectionneurs et à certains musées privés.
Les sites archéologiques des Etats-Unis sont très mal protégés du pillage ou de la destruction pure et simple. Les reconnaître et les protéger aurait été admettre l’importance et la valeur historique, culturelle et artistique des civilisations indiennes. C’est là probablement une attitude idéologique. Beaucoup de sites de la culture des « Mounds » (6) sont occupés par des propriétaires privés qui, au cours des siècles, les ont d’abord pillés, puis arasés et labourés. La municipalité d’Albuquerque, Nouveau Mexique, envisage de faire construire une route qui détruira des peintures rupestres hopis pourtant protégées.
Les ossements indiens sont maintenant beaucoup moins recherchés qu’ils ne l’étaient encore il y a cent ans, à la grande époque des études anthropologiques conduites par l’armée et les grands musées américains - encore que les amateurs de morbide et de sensationnel existent toujours. C’est donc essentiellement sur les objets ayant une valeur artistique et/ou culturelle contenus dans les tombes et les sites archéologiques que portent les pillages. La région du Sud-Ouest des Etats-Unis est particulièrement visée. Les belles poteries hopi, navajo, zuni, les bijoux d’argent et de turquoise, sont très recherchées. Il ne s’agit pas uniquement de sépultures anciennes, d’objets d’archéologie comme ceux des cultures des Anasazi, Hohokam, Mogollon, etc, mais aussi de tombes récentes, celles des grands parents de gens encore vivants.


RESTITUTION D’OBJETS VOLES
Les dispositions essentielles de la loi de protection portent sur la restitution aux tribus des restes humains et des objets prélevés dans les sépultures indiennes, ainsi que des objets à caractère sacré détenus par les musées qui reçoivent des subventions publiques de l’état ou des collectivités locales. Les directeurs de ces musées sont tenus d’envoyer aux tribus concernées les listes des objets et des ossements humains qu’ils détiennent et de favoriser leur restitution. Beaucoup de directeurs de musées, craignant de perdre une partie de leurs collections, sont très réticents à appliquer la loi.
La Smithsonian Institution, le plus grand musée d’anthropologie des Etats-Unis, semble avoir joué le jeu. Elle a déjà restitué de nombreux objets et restes humains aux Indiens, en particulier aux nations sioux, Lakota et Dakota.
En septembre 1998, la Smithsonian rendait aux Lakota de la réserve de Cheyenne River dix-neuf objets provenant du massacre de Wounded Knee que la tribu réclamait depuis 1994. On sait que les victimes du massacre étaient, dans leur grande majorité, des Minnecoujou du clan du chef Big Foot venant de la réserve de Cheyenne River. Il s’agit de plusieurs chemises des esprits, d’une pipe cérémonielle, de robes, de vêtements d’enfant, de mocassins, d’armes, de sacs. Ces précieuses reliques ont été prises en charge par le comité culturel de la tribu et l’association des survivants de Wounded Knee.

Il n’en pas de même de la plupart des musées de moindre importance qui « traînent les pieds » pour rendre leur dû aux Indiens. Certains, en toute illégalité, demandent aux Indiens de payer pour récupérer ce qui leur revient.
Les musées privés et les collectionneurs et, à plus forte raison, les musées étrangers, ne sont pas concernés par la loi, et les Indiens ont peu d’espoir de récupérer les biens culturels qu’ils renferment.
Au début des années 1990, des Lakota de l’association des survivants de Wounded Knee découvraient dans un musée privé du Massachusetts, la Wood Memorial Library, de nombreux objets provenant de Wounded Knee : chemises et robes des esprits, vêtements d’enfants, mocassins, guêtres, berceaux, jouets, des scalps indiens et même un pied d’enfant momifié dans son petit mocassin brodé et « ramassé sur le champ de bataille de Wounded Knee », selon la notice. Une délégation lakota s’est rendue au musée en 1993 pour tenter d’en négocier la restitution. Mais la Wood Memorial Library étant un musée privé, rien ne peut l’obliger à rendre aux Lakota sa « collection de Wounded Knee » qui constitue l’essentiel des pièces exposées. A notre connaissance, aucune restitution n’est encore intervenue.
Les Lakota ont eu heureusement plus de chance en Ecosse.
En 1992, une chemise des esprits provenant du massacre de Wounded Knee était découverte au Kelvingrove Museum, un musée municipal de la ville de Glasgow, par un avocat cherokee qui se mettait aussitôt en rapport avec les organisations lakota qui s’efforcent de récupérer les objets de Wounded Knee détenus par des musées.
Cette chemise, portant de nombreuses taches de sang, trouée de balles et en partie brûlée, avait été cédée au musée en 1891 par George C Crager, un interprète employé au Wild West Show de Buffalo Bill alors en tournée en Europe.
L’association des survivants de Wounded Knee entreprenait un long et difficile travail en vue de la restitution de la chemise aux Lakota. Plusieurs voyages à Glasgow avaient été nécessaires pour convaincre la direction du musée, d’abord très réticente, et les élus de la ville de Glasgow du bien fondé de la demande des Lakota. En novembre 1998, par un vote quasi unanime, le conseil municipal acceptait le retour de la chemise en terre lakota. C’est la première fois que des Indiens américains obtenaient d’un musée étranger la restitution d’un de leurs objets culturels.
Le 30 juillet 1999, la chemise arrivait au centre culturel d’Eagle Butte, sur la réserve de Cheyenne River, où elle était accueillie par une foule de plus de cent personnes parmi lesquelles se trouvaient des descendants des survivants de Wounded Knee. Le lendemain, la chemise était transportée sur la réserve de Pine Ridge et exposée devant le monument du cimetière de Wounded Knee où une foule nombreuse et recueillie défilait. Puis une cérémonie traditionnelle était célébrée par plusieurs hommes-médecine devant la fosse commune où reposent les victimes du massacre.

(1) Native American Rights Fund (NARF) réunit des avocats et des juristes, Indiens pour la plupart, qui conseillent et assistent les tribus pour la défense des leurs droits.
(2) Les mesures ont été établies en inches-cubes. Inutile de se lancer dans des calculs de conversion..... Seule compte la comparaison des chiffres entre eux.
(3) Un « spécimen » peut être aussi bien un squelette entier qu’un os, des cheveux, etc. Le NARF estime qu’environ 600 000 spécimens indiens sont exposés ou entreposés dans les musées à travers le monde.
(4) Frank Boas (1858-1942) est un médecin et naturaliste allemand. En 1884, il rend visite aux Inuit de la Terre de Baffin et publie une monographie pour le bureau d’ethnologie américain. Il s’installe aux Etats-Unis en 1886 et travaille au Muséum d’Histoire Naturelle de New-York. Il participe à une expédition sur la Côte Nord-Pacifique pour vérifier si des connections culturelles ou linguistiques existent entre Indiens et Sibériens. Ses travaux linguistiques constituent l’essentiel de son oeuvre. Il demeure à ce jour le plus grand spécialiste des langues indiennes du Nord-Ouest. Parmi ses nombreux collaborateurs on peut citer Ruth Benedict, Alfred Kroeber, Robert Lowie, Margaret Mead, Paul Radin, Clark Wissler. Ses principaux ouvrages : The Mind of Primitive Man (1911), Primitive Art (1927) et Race, Language and Culture (1940).
(5)Les « chemises des esprits » avaient été fabriquées à l’initiative de Black Elk, le célèbre homme-médecine oglala, au moment de la Danse des Esprits (été-automne 1890). Elles étaient réputées être à l’épreuve des balles.
(6) La civilisation des « mounds » s’est développée dans toute la vallée du Mississipi entre 1 000 ans avant J.C. et le XVè siècle, marquée par les cultures adena, hopewell et mississippienne. Elle a atteint son apogée vers 1 100, puis lentement décliné. Ces cultures sont caractérisées par des tertres funéraires et des constructions en forme de pyramides de grande dimension rappelant celles des civilisations d’Amérique centrale. Des peuples du Sud-Est, comme les Creek, les Cherokee, utilisaient encore de semblables constructions au moment de leurs premiers contacts avec les explorateurs espagnols au XVIè siècle.

Sources :
* Des articles d’Avis Little Eagle et David Rook dans Indian Country Today des 18 mai 1998, 22 juin 1998, 28 décembre 1998, 18 janvier 1999et 16 août 1999
* « Battlefields and Burial Grounds : The Indian Struggle to Protect Ancestral Graves in the United States», Walter & Roger Echo Hawk. (Lerner Publications Company, Minneapolis - 1993)
* « Lost Bird of Wounded Knee », Renee Sansom-Flood (Scribner Editor, New-York - 1995)
* « Ghost Dance », David H. Miller (University of Nebraska Press)
* « Les Indiens des Plaines » - Histoire, art, religion », Colin F. Taylor (Editions du Rocher - 1995)

Constitution et rédaction du dossier : Monique Boisson

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