mercredi 5 novembre 2008

Lakota 2

Des Indiens américains en général
et des Sioux Lakota en particulier
Partie II


UNE TERRE ENVAHIE
1851 - 1876

UN TRAITE DE PAIX
Jusque dans les années 1830-1840, l’Ouest, souvent appelé le Grand Désert Américain, demeure le domaine encore incontesté des Indiens et des bisons. La politique de déportation des Indiens de l’Est vers le Territoire Indien appelé « permanent » marque le peu d’intérêt que portent les Blancs à cette région jugée trop aride pour être cultivée.
Mais tout change en 1848 avec la découverte de l’or en Californie. Le Grand Désert Américain n’est pas devenu pour autant accueillant, mais il est le lieu de passage obligé vers le « Nouvel Eldorado ». Depuis Saint Louis, les caravanes de colons et de prospecteurs commencent à s’élancer vers l’Ouest.
Certaines caravanes sont attaquées et pillées par les Indiens qui convoitent évidemment les armes, chevaux et ustensiles divers que transportent les Blancs. Ces prélèvements sont souvent négociés, et les Indiens ne passent à l’attaque que si les Blancs refusent de leur verser ce qu’ils considèrent comme un droit de passage. Il faut dire que beaucoup de Blancs tirent sur tous les Indiens dès qu’ils les aperçoivent, même quand ceux-ci s’approchent par simple curiosité. Des caravanes entières disparaissent, victimes des éléments, tempêtes, inondations, feux de prairie, et aussi des pillards blancs, et dont la perte est systématiquement mise sur le compte des Indiens.

En 1851, le gouvernement américain négocie le premier traité de Fort Laramie avec l’ensemble des tribus des Plaines du Nord.
Fort Laramie, situé sur la North Platte River et fondé au début des années 1830 par le marchand William Sublette en un lieu où les Indiens avaient l’habitude de venir échanger, avait été un poste de commerce très actif entre les Oglala et les commerçants blancs de la région. Il constituait un important centre économique pour les Lakota.
Le traité se propose d’assurer la sécurité des pistes que les caravanes de pionniers suivent à travers la Prairie, en particulier la piste de l’Oregon. « Juste un droit de passage », demandent les Blancs, « juste la largeur des roues d’un chariot ». Le gouvernement offre de payer ce droit en argent et en marchandises payables à Fort Laramie. Les Indiens acceptent, ne voyant pas le marché comme désavantageux et ils cessent donc de prélever l’impôt en nature sur les convois.
Un territoire avait du être défini pour chaque tribu ou groupe de tribus. Les Lakota, avec leurs alliés cheyenne et arapaho, s’étaient vu reconnaître toute la partie du Territoire du Dakota située à l’ouest du Missouri jusqu’à la vallée de la Powder River incluant les Black Hills, un territoire limité au nord par la moyenne vallée du Missouri et au sud par la North Platte. Les terres crow s’étendaient entre la Powder River et les Big Horn Mountains, limitées au nord par la Musselshell River. Les Shoshone, les Assiniboine, les Arikara avaient également signé le traité qui reconnaissait leurs territoires respectifs.
Les Américains avaient exigé que les tribus cessent de se faire la guerre, estimant que les allées et venues de guerriers en armes entretenaient dans les Plaines un climat d’insécurité dont les pionniers risquaient de faire les frais. Ce zèle pacificateur était aussi inspiré par des missionnaires qui espéraient bien faire bénéficier les Indiens des lumières du christianisme. Curieusement, un état de paix leur semblait une condition indispensable à la révélation de la parole divine, comme si les chrétiens ne se faisaient jamais la guerre, comme si dix ans plus tard, le Blancs du Nord et ceux du Sud n’allaient pas s’étriper dans une guerre qui allait faire six cent mille morts et contre laquelle on n’entendra pas s’élever l’Eglise. Les Indiens ont eu vite fait de percevoir et de dénoncer ces flagrantes contradictions entre les paroles des Blancs et leurs actions.
Il va sans dire que la clause de paix entre Indiens n’a jamais été respectée. La guerre indienne, celle que les tribus aimaient et comprenaient, qui assurait la cohésion sociale et la fierté tribale, cette guerre-là, aucun jeune Indien ne pouvait accepter d’y renoncer. Certains chefs s’y étaient engagés, mais ils n’avaient de toute façon aucun moyen, ni certainement aucun désir, de faire appliquer cette clause. Les Lakota et les Crow avaient pourtant, à cette occasion, conclu une trêve qui allait durer quelques années.
Les chefs indiens n’étaient pas sans pouvoir. Leur influence procédait uniquement de la confiance que le peuple faisait à leur sagesse. Les chefs ne pouvaient gouverner contre la volonté de leur peuple, ils agissaient plutôt comme conseillers. Il ne faut pourtant pas croire que l’anarchie régnait ans les tribus. Quand une décision avait été arrêtée par le conseil des chefs, des gardes tribaux (les akicita pour les Lakota) fournis à tour de rôle par les sociétés de guerriers, étaient chargés de l’imposer aux individus qui auraient pu mettre la communauté en danger. Les éventuels rebelles avaient de toute façon la possibilité de quitter le groupe tribal et, dès ce moment, les chefs ne pouvaient plus répondre d’eux.
Ce que les Indiens voyaient comme le respect naturel de la liberté individuelle, l’exercice normal d’une souveraineté personnelle, les Blancs le considéraient comme une insupportable faiblesse des chefs et de la société indienne, ce qui n’empêchait pas les Blancs, en d’autres circonstances, de parler de « sujétion » et de « carcan tribal » dont il était urgent de libérer les Indiens.

La tranquillité qui régnait dans les Plaines au début des années 1850 favorisait le commerce entre Blancs et Indiens. Les trading posts, en particulier celui de Laramie, attiraient des foules indiennes avides d’échanger des fourrures contre des objets manufacturés, en particulier des armes et souvent de l’alcool. Des familles indiennes s’installaient à proximité des postes. Des individus, des clans entiers devenaient dépendants des marchandises européennes, vivant plus ou moins de trafics, de mendicité, de prostitution. Ils étaient devenus ceux que les Indiens demeurés indépendants appelaient avec mépris les « traîne-autour-du-fort », wagluge en lakota. C’était ces Indiens-là que rencontraient les marchands, les voyageurs, et c’est d’après eux que s’est construite l’image de l’Indien sale, mendiant, voleur. George Catlin marque bien dans ses lettres l’immense différence qui existait entre les Indiens encore indemnes, ou presque, du contact avec les Blancs, et qu’il a vu propres, libres, actifs, et les malheureux alcooliques dépenaillés qui traînaient autour des forts et des trading posts.
Catlin était déjà conscient, dans les années 1830, du mal absolu que représentait pour les Indiens le contact avec les Blancs et, avec quarante ans d’avance, il prévoyait la fin des civilisations indiennes.


« LA VACHE DU MORMON »
Au mois d’août 1854, des Brûlé (Sicangu) campaient près de Fort Laramie où ils venaient recevoir les marchandises promises trois ans plus tôt à la signature du traité. Ils étaient à ce moment conduits par Conquering Bear que les Blancs avaient intronisé « grand chef des Brûlé », une dignité tout à fait inconnue chez les Indiens.
Les Blancs voulaient avoir à faire à un interlocuteur unique qui décide pour toute la tribu et dont les décisions s’imposent à tous. Rien n’était plus éloigné du gouvernement démocratique et très décentralisé des Indiens des Plaines. Conquering Bear avait fini par accepter ce redoutable honneur après que tous les autres hommes en vue chez les Brûlé se soient récusés.
Le camp indien était installé à proximité de la piste sur laquelle défilaient sans interruption les convois d’immigrants. Il advint qu’une vache s’échappe du troupeau d’un Mormon et pénètre dans le camp brûlé, semant la confusion. Un Minnecoujou de passage eu le mauvais réflexe de l’abattre. Le propriétaire de la vache et ses compagnons furent témoins, de loin, du délit. N’osant pénétrer dans le village indien, ils allèrent se plaindre au commandant du fort, comptant bien recevoir une indemnité. Le commandant prêta au plaignant une oreille attentive et s’intéressa au sort tragique de la vache. Les sauvages tenant scrupuleusement leur parole de laisser passer les convois de pionniers, les déprédations indiennes étaient rares qui auraient pu mettre un peu piquant dans la vie morne de la garnison.
Le lendemain, Conquering Bear se présente au fort pour recevoir les annuités promises, inconscient de la gravité du forfait perpétré la veille à l’encontre de la propriété d’un citoyen américain. Tout de suite, le commandant lui reproche le meurtre de la vache. Le chef, prenant conscience des ennuis qui pourraient résulter d’un conflit avec les Blancs, propose un cheval, puis trois, puis tout l’argent que possède la tribu, une trentaine de dollars. Le Mormon refuse tout. Le commandant déclare que, de toute façon, il ne se contentera pas d’une indemnité, mais qu’il exige que l’homme qui a tué la vache lui soit livré afin d’être puni. Il engage donc le chef à convaincre le coupable de se rendre. Les Lakota regagnent leur camp, sans leurs annuités.
Dans l’après-midi du 19 août, comme le Minnecoujou ne s’est pas présenté, le commandant décide de mettre à profit l’occasion qui s’offre pour « donner une leçon » à ces Indiens. L’un des jeunes lieutenants, John L. Grattan, brûlant du désir de se distinguer, demande à être chargé de l’opération punitive. Il se présente bientôt devant le camp indien avec trente hommes armés de fusils, deux obusiers et un interprète ivre. Il exige à nouveau la reddition du Minnecoujou. Celui-ci refuse de se livrer, ne voulant pas, pour une si minime offense, se retrouver en prison, peut-être pour longtemps.
En effet, les déprédations commises par les Indiens à l’encontre des Blancs étaient punies de longues peines de déportation dans des bagnes où beaucoup d’Indiens mouraient de maladie ou simplement de désespoir, par une incapacité foncière à vivre privés de liberté. Pour les crimes les plus graves, c’était la pendaison, la pire des morts qu’on puisse infliger à un Indien. Les Indiens vivaient très mal cette répression qu’ils jugeaient extrêmement injuste et cruelle.
Conquering Bear explique qu’il n’a ni le pouvoir, ni d’ailleurs l’intention de contraindre le coupable à se livrer, qu’il est pour lui hors de question de l’y forcer. Le dialogue est, dès l’abord, rendu difficile et incertain par l’état de l’interprète. Celui-ci, complètement ivre, ne cesse d’accabler les Indiens d’insultes et de menaces, sans que le lieutenant ne le rappelle à l’ordre. Jim Bordeaux, un commerçant d’origine française qui a un magasin à proximité et entretient les meilleures relations avec les Lakota, voyant arriver la troupe munie de canons, s’est approché et suit les évènements avec anxiété. C’est par son témoignage qu’on a su ce qui s’est passé.
Perdant rapidement patience, le lieutenant fait pointer les obusiers sur le village et ordonne le feu. La première salve fait seulement voler les hautes perches des tipis. Conquering Bear, usant d’une autorité peu commune, parvient à empêcher les guerriers de riposter. Les femmes et les enfants s’étaient mis à l’abri le long de la rivière, comme ils le font quand le village est menacé. Tandis que Conquering Bear tente de calmer les choses, le lieutenant fait rectifier le tir. Cette fois, le camp est frappé de plein fouet. Conquering Bear est grièvement blessé tandis que son fils et plusieurs hommes sont tués. Portés par une fureur irrépressible, les guerriers se ruent sur les soldats qui sont vite submergés. Deux soldats blessés parviennent à trouver refuge dans le magasin de Jim Bordeaux. Ils mourront plus tard de leurs blessures. Les Indiens scalpent et mutilent le corps du lieutenant et de l’interprète, et il s’en faut de peu qu’ils ne tuent aussi le malheureux Bordeaux.
Bien qu’ils ne se sentent aucunement coupables, mais plutôt victimes d’une attaque délibérée, les Indiens jugent prudents de quitter les lieux, ne doutant pas que, dès que le « massacre » sera découvert, l’armée ne se lance à leur poursuite. Les Brûlé ne peuvent aller vite. Pour éviter que les cahots d’un travois n’accroissent ses souffrances, quatre guerriers transportent Conquering Bear dans une couverture. Il mettra quatre jours à mourir. Son peuple doit abandonner son corps dans un tipi de deuil et reprendre sa fuite.
Jim Bordeaux a tout fait pour rétablir la vérité, mais le « massacre Grattan » fut entièrement mis sur le compte de « la férocité et de la traîtrise des sauvages ». Il libéra les énergies et les ambitions des militaires désoeuvrés qui s’ennuyaient depuis trop longtemps dans les forts. Les Indiens avaient tout intérêt à la paix et la respectaient vis-à-vis des Blancs. Les Américains, au contraire, avaient tout intérêt à la guerre qui leur donnait prétexte à repousser les Indiens et à en tuer le plus possible.
Ce ridicule et tragique épisode de la vache du Mormon marque le véritable début de la guerre dans les Plaines du Nord, une guerre qui allait durer près de quarante ans pour se terminer dans la neige ensanglantée de Wounded Knee.


ASH HOLLOW
Non contents de la brutale agression perpétrée le 19 août 1854 contre les Sicangu, les Blancs n’avaient de cesse de « venger » le lieutenant Grattan et ses hommes. Toute mort d’hommes blancs, si justifiée soit-elle, devant être vengée sur les Indiens, peu importe lesquels.
Après la mort de Conquering Bear et des siens, des guerriers brûlé avaient, en novembre 1854, attaqué une diligence, tuant les deux conducteurs et laissant la vie sauve aux passagers. Les Indiens avaient trouvé dans les bagages de nombreux billets verts qu’ils s’étaient amusés à disperser. Ces hommes, parmi lesquels se trouvait le jeune chef Spotted Tail, étaient, dans l’été suivant, les hôtes du chef Little Thunder. Aussi, le général William L. Harney choisit-il d’exercer des représailles sur ce campement de Brûlé installé le long de la Platte en un lieu appelé Mni To (Eau Bleue) par les Lakota et Ash Hollow par les Blancs.
Le 3 septembre 1855, fondant à l’improviste sur le village indien, les cavaliers du général Harney tuent cent trente six Indiens dont des femmes et des enfants sur lesquels ils se livrent à des mutilations, en particulier des mutilations sexuelles. C’est la première fois que les Lakota voient faire ce genre de choses à leurs femmes et à leurs enfants et ils en sont épouvantés. On dit que le jeune Crazy Horse qui rendait visite à des parents dans ce village a découvert ces horreurs. Il a compris dès ce moment ce que son peuple pouvait attendre des Blancs.
Les soldats avaient emmenés en otages environ soixante-dix prisonniers, femmes, enfants, vieillards. Quelques jours plus tard, les chefs brûlé Spotted Tail et Red Leaf, accompagnés d’une dizaine de guerriers, se présentent à Fort Kearny, chantant leur chant de mort. Ils viennent se livrer pour obtenir la libération des captifs. Ils reconnaissent avoir mené l’attaque contre la diligence dix mois plus tôt. Menacés d’être pendus, puis finalement graciés par le président Pierce, ils devaient rester pendant deux ans prisonniers de l’armée à Fort Leavenworth où ils avaient su gagner l’amitié de plusieurs officiers.
Le massacre d’Ash Hollow n’avait pas seulement pour but de venger le lieutenant Grattan et de pousser à la reddition les responsables de l’attaque de la diligence. L’intention était avant tout de terroriser la nation lakota. Durant l’automne et l’hiver 1855-1856, Harney parcourt le territoire lakota à la tête d’une forte troupe puissamment armée, contournant les Black Hills par l’ouest et descendant la White River, puis il s’installe à Fort Pierre sur le Missouri. Ni les Lakota, ni leurs alliés cheyenne n’osent s’opposer à un chef aussi redoutable qu’Harney dont les méthodes de guerre les terrifient. A moins d’y être contraints, les Indiens ne combattent pas en hiver.
En mars 1856, Harney convoque les chefs lakota à un grand conseil et leur impose un traité de paix en leur rappelant Ash Hollow et ce que les Blancs sont capables de faire si on leur résiste. Les chefs signent sans trop savoir à quoi ils s’engagent, conscients cependant qu’une grande partie de leur pouvoir est passée entre les mains des Blancs.

Il n’est pas question ici de relater en détail tous les événements, tous les combats qui ont marqué la lutte désespérée des Indiens des Plaines, et des Lakota en particulier, pour leur liberté et leur survie. D’excellents ouvrages historiques existent pour cela. Ne retenons que les faits les plus significatifs.


SAND CREEK
Depuis quelques dizaines d’années, les nations cheyenne et arapaho se sont scindées en deux groupes. Tandis que ceux du nord, restés dans la région des Black Hills, s’unissent aux Lakota, le groupe du sud s’éloigne vers le Kansas et le Colorado, s’alliant vers 1840 aux grandes nations comanche et kiowa.
Depuis le début les années 1860, les Blancs ont commencé à investir les Plaines du Sud. Les bisons, le gibier disparaissent rapidement, faisant place aux grands troupeaux des éleveurs texans. Cheyenne et Arapaho du Sud, étroitement contrôlés par des postes militaires, voient leur liberté de mouvement réduite. L’armée interdit aux chasseurs indiens de se déplacer au loin.
Comme la région où ils vivent est à peu près vide de gibier, Cheyenne et Arapaho du Territoire du Colorado connaissent bientôt la famine. L’hiver 1863-1864 est pour eux celui de la faim. Aux abords de Denver, on voit des enfants indiens essayer de survivre en disputant leur nourriture aux chiens et aux chevaux. Les braves citoyens américains les chassent à coups de fouet en les traitant de voleurs.
Les Indiens ne peuvent supporter cela. La colère, et l’obligation qu’ont les hommes de nourrir leurs familles, l’emportent sur la prudence. Ils s’attaquent à des troupeaux, à des fermes. Ils tuent les fermiers qui s’opposent à eux. Ils ne prennent qu’une bien petite compensation sur tout ce que les Blancs leur ont pris, sur ceux qui les acculent à la famine, qui les obligent à tuer pour survivre. Pourquoi auraient-ils de la pitié pour ces gens qui leur volent leur terre, leurs moyens d’existence et tout ce qui fait leur vie ? Les colons savent bien ce qu’ils font, ils connaissent bien les risques qu’ils prennent. Ce ne sont pas des « victimes innocentes ».
L’indignation des Blancs est à son comble. La population de Denver accuse l’armée de ne rien faire pour la protéger et exige une punition exemplaire. Des milices se forment, les journaux appellent à l’extermination des Indiens. Les corps de trois personnes d’une famille blanche massacrée par les Cheyenne sont exposés en ville.

A Fort Lyons, dans l’est du Colorado, près de l’endroit où vivent les Cheyenne des chefs Black Kettle et White Antelope, il y a un officier qui comprend et respecte les Indiens. C’est le major Wynkoop. Une confiance s’installe entre le major et les deux chefs cheyenne. L’officier déclare même qu’il les considère comme des « hommes supérieurs ». Les Indiens se voient chargés de fournir la garnison en foin et en bois de chauffage, ainsi que de certaines responsabilités à l’intérieur même du fort.
Voilà qui déplait aux colons qui accusent Wynkoop de favoriser des « sauvages assassins ». Cela déplait plus encore au gouverneur John Evans qui cherche un moyen rapide d’éliminer les Cheyenne et les Arapaho qui vivent sur le Territoire du Colorado. En mars 1864, il obtient le remplacement de Wynkoop par le major Anthony, un officier qui partage ses vues.
En mai, une milice appelée les « Volontaires du Colorado » est recrutée pour une durée de six mois. Des soldats réguliers encadrent ces hommes recrutés dans les bars et dans les prisons de Denver. Cette troupe, qui constitue le 3ème régiment du Colorado, forte d’environ six cents hommes, est placée sous les ordres du colonel John Chivington, un ancien pasteur méthodiste, connu pour la haine qu’il porte aux Indiens. L’engagement des volontaires se terminant fin novembre, il ne faut pas perdre de temps pour créer les conditions nécessaires à leur utilisation. Ils sont donc soumis à un entraînement intensif et recherchent toutes les occasions d’exercer leurs talents, en particulier en provoquant les Indiens.
Au début de juin, un détachement de ces volontaires, sous le commandement du lieutenant George S. Eayre, rencontre des Cheyenne qui chassent le bison. Le chef Lean Bear, connu pour ses sentiments pacifistes, s’avance vers les soldats, accompagné d’un guerrier. Lean Bear montre la grande médaille dorée que, l’année précédente, le président Abraham Lincoln avait remise à Washington à tous les chefs pacifistes des Plaines du Sud.
Sur un ordre du lieutenant, les soldats abattent les deux hommes. L’assassinat de Lean Bear provoque la fureur des Cheyenne et des Arapaho et accroît leur détermination à se battre.

Mais voilà qu’en août, alors que les « Dog Soldiers » cheyenne, conduits par le grand guerrier Roman Nose, poursuivent leurs attaques contre les colons, un important groupe de Cheyenne, sous l’influence du pacifique Black Kettle, se déclare disposé à faire la paix, contrecarrant ainsi les projets guerriers d’Evans et d’Anthony. Ceux de Black Kettle sont bientôt rejoints par les Arapaho de Left Hand et de Little Raven. Les Indiens s’engagent à cesser les attaques contre les fermes et les ranchs pour peu qu’ils soient assurés de recevoir de la nourriture en période hivernale, et acceptent de se mettre sous la protection de l’armée.
Cela ne convient pas du tout au gouverneur Evans et à son complice Anthony. Le gouverneur déclare en septembre : « Je ne veux aucune paix tant que ces Indiens n’auront pas davantage souffert », puis il ajoute : « Mais que ferais-je du 3ème régiment du Colorado si je conclus la paix ? Ces soldats ont été formés pour tuer des Indiens et ils doivent continuer à tuer des Indiens ». L’agent Collet renchérit : « Je pense qu’à présent un peu de poudre et de plomb est la meilleure nourriture pour eux ».
Alors, on va monter contre ces Indiens pacifiques un véritable complot, un piège qui va se refermer sur eux. Anthony va convaincre les Cheyenne de Black Kettle et de White Antelope, ainsi que les Arapaho de Left Hand, de s’installer à Sand Creek, sur un petit affluent du Colorado, à une cinquantaine de kilomètres à l’est de Denver. Il donne à Black Kettle un drapeau blanc et un grand drapeau américain sous lesquels, dit le major, son peuple n’aura rien à craindre. Little Raven et les siens, plus méfiants, vont s’installer le long de la rivière Arkansas. C’est ce qui les sauvera. En novembre, alors que la neige recouvre déjà la prairie, l’armée autorise les Indiens à aller chasser. Les chasseurs devront aller loin pour trouver du gibier et le village restera plusieurs jours sans défenseurs. Les Indiens ont déjà subit des pertes et le nombre d’hommes valide est réduit.
A la tête de ses six cents hommes, le colonel Chivington attaque à l’aube du 28 novembre le village endormi. On connaît les efforts de White Antelope et de Black Kettle pour arrêter la horde. Les guerriers peu nombreux qui se trouvent dans le camp font des prodiges de vaillance pour protéger les leurs en se faisant tuer sur place. « Je n’ai jamais vu personne montrer autant de bravoure que ces Indiens », dira plus tard l’un des soldats. Miliciens et soldats massacrent avec la dernière sauvagerie des centaines de Cheyenne et d’Arapaho, scalpent, violent, mutilent affreusement femmes et enfants dont beaucoup sont encore vivants. Le vieux White Antelope est scalpé et mutilé. Left Hand, grièvement blessé, survivra pourtant et Black Kettle, bien que blessé lui aussi, en réchappera. Les guerriers de Little Raven, avertis de ce qui se passe, arrivent à Sand Creek quelques heures plus tard et découvrent l’affreux spectacle. Ils ne peuvent que porter secours aux blessés et enterrer les morts.
Les vainqueurs regagnent Denver et défilent au milieu des acclamations, portant de manière ostensible leurs horribles trophées. Le soir, une surprise attend les spectateurs du grand théâtre. Le rideau s’ouvre sur le spectacle de plusieurs centaines de scalps indiens et de deux enfants morts. L’enthousiasme est à son comble.
Des survivants du massacre, plus ou moins gravement blessés et à demi fous de douleur, parviennent à atteindre le camp des chasseurs à quatre vingt kilomètres de là et à raconter ce qu’ils ont vu.
Le massacre a soulevé l’indignation de certains Blancs, d’autant qu’il a été commis sous la sauvegarde du drapeau blanc et de celui des Etats-Unis. Une commission d’enquête est constituée. Deux soldats acceptent de témoigner et confirment les atrocités. L’un est abattu en pleine rue devant une foule qui dit n’avoir rien vu. L’autre doit s’enfuir pour éviter le même sort. Le colonel Chivington est simplement poussé à la démission. Jusqu’à sa mort, considéré comme un héros de l’Ouest, il gardera un grand prestige au Colorado et deviendra journaliste. Près du site de Sand Creek, une ville porte son nom.
Le massacre de Sand Creek – les conditions de traîtrise dans lesquelles il a été commis, l’affreuse tuerie de femmes, d’enfants et de vieillards – qui s’ajoute à l’assassinat de Lean Bear quelques mois plus tôt, est un choc, un choc terrible pour tous les Indiens des Plaines. Il leur a ouvert les yeux. Les concessions, le pacifisme, la bonne volonté sont bien illusoires face à la volonté de conquête des Blancs. La résistance apparaît comme la seule réponse possible. Furieux, les « Dog Soldiers » cheyenne accusent Black Kettle d’avoir, par son pacifisme stupide, causé le massacre.

Dès le mois de décembre 1864, des Cheyenne et des Arapaho du Nord, aidés par les Lakota de Red Cloud et de Pawnee Killer, sont venus prêter main forte à leurs frères du sud. Le 5 janvier 1865, les Indiens attaquent, prennent et pillent la petite ville de Julesbourg, à la limite nord du Kansas.
Des Cheyenne et des Arapaho, aux côtés des Comanche et des Kiowa, vont encore résister dans le Sud durant près de trois ans, un combat acharné, désespéré, jusqu’à ce qu’en novembre 1867, ils soient contraints de se retirer sur une réserve du Territoire Indien où, soumis aux exactions des Blancs, ils connaissent le désespoir et la faim, tandis que les massacreurs de bisons sont à l’œuvre dans les Plaines.
Black Kettle, échappé de justesse du massacre de Sand Creek et toujours partisan de la paix, a installé son village au bord de la rivière Washita, sur la réserve cheyenne/arapaho du Territoire Indien. Il a près de lui une majorité de femmes, d’enfants et de vieillards, de malades et de blessés. Il donne parfois asile à des combattants « Dog Soldiers ».
En novembre 1868, le lieutenant-colonel George Armstrong Custer est envoyé pour mettre fin à cet état de choses. Venant de Camp Supply, Custer, assisté du capitaine Benteen, lance à l’aube du 27 novembre l’attaque contre le village de tipis. C’est l’horreur de Sand Creek qui recommence ! Comme White Antelope l’avait fait quatre ans plus tôt, Black Kettle tente de parlementer. Il est abattu. Au son de « Garry Owen », l’air favori du régiment, les soldats tuent, scalpent et mutilent cent quarante Indiens, dont beaucoup de femmes et d’enfants. Mais ils n’auront pas le temps de se livrer aux mêmes atrocités que les troupes de Chivington à Sand Creek. Des combattants cheyenne et arapaho qui remontent la rivière obligent Custer à se retirer rapidement, non sans avoir emmené avec lui une quarantaine de prisonnières cheyenne.
Custer a laissé pour couvrir sa retraite une vingtaine d’hommes commandés par le lieutenant Joel Elliott. Submergés par les guerriers indiens ivres de vengeance, ils sont exterminés jusqu’au dernier. Le capitaine Benteen reprochera toujours à Custer d’avoir ainsi envoyé ses hommes à la mort. Custer regagne donc tranquillement Camp Supply avec ses scalps et ses prisonnières. Celles-ci seront gardées tout l’hiver au fort, servant d’exutoire sexuel aux soldats.


LA GUERRE DE RED CLOUD
La Guerre de Sécession a pris fin en avril 1865. L’Amérique peut reprendre sa marche vers l’Ouest. Ceux qui déferlent maintenant à travers les Plaines dans leurs chariots bâchés sont pour la plupart des agriculteurs, des gens venus pour prendre la terre et s’installer.
Dans l’été 1865, les Américains ouvrent une nouvelle branche de la piste de l’Oregon, la piste Bozeman, qui mène directement aux mines d’or du Montana récemment découvertes. Elle passe entre les Black Hills et la vallée de la Powder River, longeant à l’ouest le territoire de chasse des Oglala et des Cheyenne. Red Cloud (Mahpiya Luta) qui s’affirme comme l’un des principaux chefs lakota, exige la fermeture de la piste. Pour toute réponse, les Blancs entreprennent la construction de trois forts pour la protéger. Plus au nord, la voie de « l’Union Pacific » est en construction. Les protestations des Indiens ne sont pas entendues, les négociations sont illusoires. Pendant les pourparlers demandés par les Indiens, les travaux de construction et de fortifications se poursuivent et il n’y a bientôt plus rien à négocier. Les Indiens sont mis devant le fait accompli : les Blancs s’installent, tissent un réseau de pistes défendues par des forts, de voies ferrées qui font fuir le gibier et amènent les colons par centaines de milliers.

En juin 1866 commence la guerre de Red Cloud.
Le chef oglala a fait circuler une pipe de guerre parmi les Oglala, Minnecoujou, Sicangu, les Santee réfugiés de l’Est, ainsi que chez les Cheyenne et les Arapaho du Nord. Tous l’ont acceptée, signifiant qu’ils se mettent sous son commandement.
Cela semble simple. Pour les Indiens, cela ne l’est pas. Rassembler un si grand nombre de tribus sous un seul chef de guerre est pour eux une situation totalement nouvelle. Faire taire les rivalités et l’orgueil souvent démesuré de certains chefs et de certains clans aurait été chose impossible en d’autres circonstances. Il faut admirer la clairvoyance et le charisme de Red Cloud qui a su faire prendre conscience aux tribus de l’immensité du danger et de la nécessité de l’union. Il faut aussi rendre hommage aux chefs et à tous les guerriers qui l’ont compris.
La plupart des Lakota vivant le plus au nord, Hunkpapa et Sans Arc, ne participent pas à la guerre. Sitting Bull s’abstient, mais ses lieutenants, Gall et Rain-In-The-Face, vont cependant aider leurs frères du sud. Les territoires du nord n’étaient pas à ce moment directement menacés et Sitting Bull n’aurait peut-être pas facilement accepté la prééminence de Red Cloud. Le grand chef hunkpapa ne reste pourtant pas inactif, lançant de fréquentes attaques contre Fort Bufort et Fort Rice, installés sur le territoire de son peuple.
Les guerriers répugnaient à aller combattre au loin et à s’éloigner des villages où vivent leurs familles, les laissant à la merci d’un raid des Crow, des Shoshone, des colons ou des militaires. Les hommes indiens, plus assez nombreux, devant se battre sur plusieurs fronts, ont du mal à faire face à tout : chasser, protéger leurs familles et défendre leurs terres.

Contrairement à ce qu’on dit volontiers, quand on voit la situation à posteriori, la nature et l’importance de la menace blanche n’étaient pas totalement claires pour les tribus indiennes.
Les Blancs prenaient possession du pays de manière insidieuse, sur le long terme. Constamment, un nouvel accord, un nouvel ajustement territorial étaient négociés entre une tribu et les Etats-Unis, parfois par la force, souvent par la persuasion. Les Indiens finissaient par accepter le nouvel arrangement craignant, non sans raison, de tout perdre s’ils refusaient.
Dès le XVIIIème siècle, des trappeurs, des voyageurs, des coureurs des bois, des missionnaires, souvent français, étaient venus. Aucun ne paraissait menaçant. La plupart cherchaient au contraire à nouer des relations d’amitié avec les tribus. Les Indiens auraient-ils du les tuer ? Des marchands venaient qui échangeaient contre des fourrures toutes sortes d’objets utiles et agréables dont les Indiens avaient besoin, ou du moins dont ils s’étaient habitués à avoir besoin. Fallait-il les repousser, les tuer pour décourager d’autres de venir ? Les Indiens étaient un peuple volontiers amical, chaleureux, généreux et très curieux de choses nouvelles, de gens nouveaux. Comment auraient-ils deviné qu’en agissant ainsi, ils allaient à leur perte ?
Dès les premiers débarquements sur la côte atlantique, les Blancs ont été, en quelques années, nombreux et puissants. Les Wampanoag de King Philip, les Powhatan d’Opechancanough, ont été incapables, malgré leurs efforts, de déloger ceux qui s’étaient installés sur leurs côtes quelques dizaines d’années plus tôt.
Quand les Blancs demandaient aux nations des Plaines un simple droit de passage pour leurs chariots en échange de marchandises, était-ce folie d’accepter ? C’est ce que prévoyait le traité de 1851. A ce moment, les Blancs étaient déjà si solidement implantés en Amérique du Nord qu’il n’était pas pensable que les moins de trois cent mille Indiens qui vivaient encore dans les Plaines après le passage de plusieurs épidémies aient pu arrêter et définitivement repousser plusieurs millions d’Américains possédant sur eux une énorme supériorité technique et déterminés à conquérir le pays. Comment les quelques dizaines de milliers de guerriers que les tribus des Plaines pouvaient rassembler auraient-elles pu barrer efficacement la route à des centaines de milliers de colons qui s’infiltraient partout ? Tandis que les immigrants affluaient par millions, les Indiens diminuaient. Dire que, s’ils avaient été unis, les Indiens auraient pu arrêter les Blancs est une plaisanterie.

La guerre de Red Cloud a représenté pour les Indiens un effort sans précédent.
Plusieurs milliers de guerriers devaient être armés, nourris, soignés. Des camps de base avaient été aménagés où des femmes préparaient la nourriture, soignaient les blessés, fabriquaient les cartouches, régulièrement approvisionnés par des jeunes gens qui chassaient, s’occupaient des chevaux, réparaient les armes. Des « traine-autour-du-fort », des femmes prostituées auprès de soldats servaient d’espions pour les combattants indiens.
Durant cette guerre, Spotted Tail, le chef des Brûlé, accomplit des actes de bravoure extraordinaires. Le jeune Crazy Horse se révèle un guerrier exceptionnel. Très jeune, il devient « porteur de chemise », la plus haute distinction que puisse recevoir un guerrier lakota, quelqu’un auquel le peuple fait confiance pour le guider dans une période difficile.
C’est la grande époque des attaques de diligences montrées dans les westerns. Les Indiens attaquent les campements des constructeurs de l’« Union Pacific », interceptent et détruisent des convois de l’armée, arrachent les fils du télégraphe, anéantissent des caravanes de chariots, dévastent des fermes, affrontent l’armée à nombreuses reprises, tuant quelques centaines de Blancs, subissant aussi des pertes qu’ils ne peuvent compenser.
L’événement le plus connu de cette guerre est la « bataille des cent tués » du 21 décembre 1866, aussi appelée le « massacre de Fetterman ». Le capitaine Fetterman s’était vanté de soumettre toute la nation sioux avec seulement cent hommes. Ayant cent hommes avec lui, il quitte Fort Kearny dans la matinée du 21 décembre, par un froid glacial, afin de porter secours à des bûcherons de l’armée qui travaillent près de Peno Creek. Le commandant lui a recommandé la prudence et lui a ordonné de demeurer en vue du fort. Bientôt, un petit groupe de guerriers indiens se montre, incitant les soldats à les poursuivre. Oubliant les ordres, Fetterman et sa troupe franchissent la crête et s’engagent dans un étroit ravin où les attendent un millier de guerriers cheyenne et lakota. L’attaque contre les bûcherons n’était qu’un leurre destiné à attirer les soldats hors du fort. Pas un Blanc n’en réchappe. Parmi ceux qui ont tendu le piège se trouvait Crazy Horse.
Quelques jours après le « massacre de Fetterman », le général William T. Sherman qui commande la division militaire du Missouri, envoie au président des Etats-Unis le message suivant : « Nous devons agir contre les Sioux avec un zèle vengeur pouvant aller jusqu’à leur totale extermination, hommes, femmes et enfants. Il ne faudra sans doute rien moins que cela pour extirper le mal à sa racine ». Cela donne le ton …. Il faut bien dire que si cet appel au meurtre n’a été que partiellement suivi d’effet, c’est parce que les Blancs ne l’ont pas pu, ce n’est pas faute d’avoir essayé. Les Sioux et leurs alliés se défendaient bien et n’étaient pas aussi faciles à tuer que le pensait le général Sherman.


LE TRAITE DE FORT LARAMIE DE 1868
La vigoureuse campagne menée par les tribus unies derrière Red Cloud met sérieusement en difficulté l’armée et les colons. La construction des voies ferrées a pris du retard et la traversée des Plaines vers la Californie est si dangereuse que certains préfèrent affronter le long voyage en bateau qui contourne le Cap Horn.
Au début de 1868, le gouvernement trouve prudent d’engager des négociations avec les tribus. Conscients de négocier en position de force, les Indiens acceptent les offres de paix du gouvernement, d’autant qu’ils savent bien ne pas pouvoir poursuivre encore longtemps un effort de guerre dans lequel ils s’épuisent. Ils désirent la paix encore plus que les Blancs.
Les négociations font bientôt apparaître la nécessité de délimiter un territoire pour les nations indiennes, puisque les Blancs occupent déjà largement le pays. C’est la première fois que les Indiens des Plaines du Nord voient leur territoire enserré dans les limites d’une frontière dessinée sur une carte.
Le traité se négocie à Fort Laramie tout au long de l’année 1868. Les Brûlé du chef Spotted Tail signent les premiers, le 29 avril. Spotted Tail est déjà conscient de l’inutilité de la résistance et commence même à envisager les avantages que pourrait présenter pour son peuple une certaine adaptation à la culture blanche.
Les Crow, ennemis traditionnels des Lakota et des Cheyenne, et dont les chefs avaient refusé de se joindre à la guerre de Red Cloud, signent en mai, après plusieurs mois de négociations. Malgré l’amitié qu’ils avaient toujours manifestée à l’égard des Blancs, les Crow voient les terres qui leur avaient été reconnues en 1851 fortement réduites. Ils perdent tout le nord de leur territoire qui s’appuie maintenant sur le cours de la Yellowstone au lieu de la Musselshell River, ainsi que toute la partie sud qui se trouve au Wyoming. Les Crow perdront peu à peu leurs terres comme les autres tribus, sans même avoir combattu pour les garder.
Plusieurs tribus lakota, ainsi que des Santee et des Yanktonnai, viennent signer le traité durant l’été. Mais Red Cloud veut consolider sa victoire. Avec ses Oglala et leurs amis cheyenne, il n’accepte de signer qu’en novembre, après que l’armée ait abandonné tous les forts jalonnant la piste Bozeman. Cheyenne et Lakota détruisent et brûlent les forts avec le plaisir qu’on imagine. Gall, pour les Hunkpapa, signe le traité à Fort Rice où les membres de la commission se sont déplacés. Sitting Bull, sans se montrer résolument hostile au traité, ne le signe pas, disant s’en tenir au premier traité de Fort Laramie, celui de 1851. Crazy Horse ne signera jamais.

Le traité de Fort Laramie de 1868 reconnaît aux « Sioux » et « à tous les Indiens qu’ils voudront bien y admettre » - essentiellement leurs alliés cheyenne et arapaho – un vaste territoire qui s’appuie à l’est sur le Missouri, au sud sur la North Platte, qui suit à l’ouest la Powder River et au nord le Petit Missouri. Une réserve, qui prendra le nom de « Grande Réserve Sioux », est dessinée dans la partie orientale du territoire, longeant le Missouri et englobant les Black Hills. Tout le reste, au nord, à l’ouest et au sud, constitue un « territoire non-cédé », sur lequel les Indiens qui le veulent peuvent, selon l’article 11, « continuer à vivre de la chasse tant que l’abondance du bison le justifiera », une précision grosse de menace ….
Les Indiens s’engagent à ne plus s’opposer au passage des voies de chemin de fer à travers leur territoire, mais le traité prévoit de leur verser pour cela une indemnité. Les Etats-Unis promettent de tenir les colons blancs hors du territoire reconnu aux Indiens – une promesse en contradiction évidente avec le passage du chemin de fer. L’article 12 stipule qu’aucune cession de terre ne sera valable si elle n’est pas approuvée par les trois-quarts des hommes des tribus. Il se révélera comme l’article essentiel du traité.
L’article 6 détaille les incitations qui sont données aux Indiens pour qu’ils acceptent de se civiliser en se fixant sur une parcelle de terre, en adoptant l’agriculture, en envoyant leurs enfants à l’école. Il est proposé aux familles indiennes se demander l’attribution d’un lot de terre qu’elles s’engagent à cultiver et à clôturer, à la suite de quoi ces personnes seront citoyens des Etats-Unis. Mais très peu d’Indiens demanderont à profiter de cet « avantage ».
Fort Laramie, sur la limite sud du territoire, devient le centre administratif et économique de la Grande Réserve Sioux. Ainsi apparaît la notion d’« agence indienne ». Red Cloud et les Oglala qui le suivent s’établissent à proximité du fort, tandis que Spotted Tail et ses Brûlé s’installent plus à l’est. Certains acceptent bien de profiter des opportunités offertes par les Blancs : des ressources plus régulières grâce à l’agriculture et à l’élevage, l’excès à la technologie blanche, un certain confort. L’éducation des enfants indiens dans les écoles du gouvernement où ils apprennent les « voies de l’homme blanc » est bien acceptée par beaucoup. Tout cela est vu comme un « plus ». Obligés au changement, ceux qui ont choisi la vie de la réserve s’efforcent d’en percevoir les aspects positifs.
Ainsi, autour de Red Cloud pour les Oglala, de Spotted Tail pour les Brûlé, commence à se constituer une nouvelle société indienne que les Blancs considèrent comme « en voie de civilisation ». Autour des agences vivent de nombreux métis, des enfants que des femmes indiennes ont eus avec des soldats, des marchands, et qui, par leur histoire personnelle et leur éducation, sont généralement moins attachés à la culture indienne que les purs indiens. Ces métis servent d’intermédiaires, d’interprètes, et leur présence influence le style de vie de la réserve.
L’« agent indien », un fonctionnaire chargé d’administrer la réserve, fait son apparition. Des missionnaires de confessions différentes construisent des églises concurrentes, offrant chacune aux Indiens des avantages en nature. Du bétail, des chevaux de trait, des chariots, du matériel agricole sont donnés aux Indiens. Mais, en dépit des efforts courageux de nombre d’entre eux pour mettre en culture leurs terres souvent infertiles, les rendements agricoles ainsi que l’élevage demeurent décevants. La fourniture de rations gouvernementales s’est donc poursuivie pendant de longues années. Ces rations sont généralement insuffisantes en quantité, mal adaptées, souvent avariées, la corruption régnant à tous les niveaux dans le système des affaires indiennes. Les rations sont demeurées pendant longtemps un redoutable moyen de pression entre les mains du gouvernement, un instrument de favoritisme et de démoralisation.
Les Blancs pensaient qu’en peu d’années, une génération au plus, les Indiens, dûment éduqués et christianisés, seraient devenus des agriculteurs autosuffisants, auraient acquis la mentalité et le comportement de l’Américain moyen, et que le système des réserves n’aurait plus sa raison d’être. Ils s’imaginaient que les vertus du christianisme, les avantages et les prestiges de la civilisation étaient si éclatants que les Indiens ne pouvaient manquer de s’y soumettre et même de les adopter avec joie. Mais pratiquement rien de ce que les politiciens et les philanthropes qui décidaient de ce qui était bon pour l’Indien avaient si ingénieusement conçu ne se réalisa. Même parmi ceux des Indiens qui avaient joué le jeu de la civilisation, la frustration, puis le découragement s’installèrent.
L’agriculture, qui devait constituer la base de leur nouvelle économie, ne donna pas les résultats escomptés. Les terres étaient peu fertiles, le matériel fourni insuffisant, inadapté, mal utilisé. Les exigences des Blancs chargés de la formation des nouveaux agriculteurs étaient souvent capricieuses, impossibles à comprendre et à suivre pour les Indiens, victimes de l’idéologie qui animait certains agents. Ceux-ci, qui étaient souvent des pasteurs, rendaient volontairement pénible et humiliant le travail de la terre, cherchant à faire payer leur sauvagerie aux Indiens et à assurer ainsi leur rédemption hors du paganisme et de la barbarie.
Après des tentatives sincères et courageuses pour s’adapter, les Indiens ont pris en horreur le travail de la terre. Toute leur culture les en éloignait. Les hommes, chasseurs et guerriers, en ressentaient de l’humiliation. Ceux qui avaient été des agriculteurs avant d’être des chasseurs nomades confiaient l’essentiel de ce travail aux femmes. L’agriculture européenne, comportant l’arrachage complet de la végétation naturelle et un labourage profond, choquait les Indiens qui voyaient là une véritable agression contre la Terre Mère.
En 1873, des arpenteurs entrent en territoire hunkpapa en vue de la construction d’une nouvelle voie ferrée, la « North Pacific ». Sitting Bull et se guerriers les harcèlent. L’opposition de Sitting Bull à la construction de cette voie à travers les territoires de chasse de son peuple sera aussi déterminée que celle montrée par Red Cloud quelques années plus tôt contre la piste Bozeman.
La même année, l’agence de Red Cloud, celle des Oglala, est déplacée de Fort Laramie à Fort Robinson qui vient d’être construit plus au nord.

Tous les Lakota, Cheyenne et Arapaho ne résident pas sur la réserve. En nombre variable selon les saisons, beaucoup continuent à vivre de la chasse et de la cueillette sur les grands territoires non-cédés, un droit expressément reconnu par l’article 11 du traité. Les affrontements traditionnels avec les Crow et les Shoshone à l’ouest, les Pawnee au sud, se poursuivent, connaissant même un niveau de violence jamais atteint, Crow, Shoshone et Pawnee fournissant des éclaireurs à l’armée. Dans l’été 1873, des Lakota massacrent cent cinquante Pawnee qui chassaient le bison, y compris les femmes et les enfants.
Avec leurs amis cheyenne et arapaho, les Oglala se regroupent autour de Crazy Horse, tandis que les Hunkpapa suivent Sitting Bull et Gall, et les Minnecoujou les chefs Hump et Lame Deer. Certains se tiennent systématiquement hors de la réserve, ne voulant rien avoir à faire avec les Blancs et les Indiens soumis, d’autres profitent de la chasse et des plaisirs de la vie indienne durant la belle saison et regagnent la réserve à l’automne.
Au début des années 1870, les choses ne semblent pas aller trop mal pour les tribus des Plaines du Nord. Red Cloud peut être satisfait : il a assuré un territoire et un avenir à son peuple dans les circonstances difficiles qui s’annoncent. Pourtant, les choses allaient peu à peu se dégrader.


COMMENT VOLER LES BLACK HILLS AUX INDIENS
Cependant, les Blancs, fermiers, éleveurs, prospecteurs et spéculateurs fonciers tolèrent mal ce vaste territoire réservé aux Indiens et montrent de l’impatience. En mars 1870, le « Cheyenne Daily Mirror » écrit : « Les riches et belles vallées du Wyoming sont destinées à nourrir et à abriter la race anglo-saxonne. Les Indiens doivent en être tenus à l’écart ou bien ils seront submergés par le flot toujours plus fort des immigrants. Le destin des indigènes est de disparaître ».

Dans l’été 1874, en violation flagrante du traité de Fort Laramie, une expédition prétendument géologique, commandée par le colonel George A. Custer, parcourt les Black Hills et y découvre de l’or. La découverte fait les gros titres de la presse et aussitôt la ruée des prospecteurs commence. Red Cloud proteste auprès de l’autorité militaire. Il lui est répondu que l’armée s’en charge et que, surtout, les Indiens ne doivent pas chercher à déloger les prospecteurs eux-mêmes. Les Indiens manifestent leur hostilité aux mineurs et aux militaires qui s’installent peu à peu sur la réserve, mais sans cependant user de violence. L’armée fait quelques tentatives pour dissuader les colons de venir, mais l’attrait de l’or est le plus fort. L’opinion publique exige le libre accès aux Black Hills. L’armée cesse donc de s’y opposer.
Durant ce même été 1874, à l’issue d’un grand conseil tenu dans le nord du territoire par les tribus rebelles, Sitting Bull est reconnu comme chef unique de la résistance indienne dans les Plaines du Nord.
Selon les Blancs, « les Indiens n’occupaient pas les Black Hills car ils n’en faisaient rien ». Lakota et Cheyenne passaient simplement l’hiver dans les vallées abritées des collines, chassant le cerf et le petit gibier, puis, après avoir coupé des perches neuves pour leurs tipis, ils redescendaient au printemps pour chasser le bison dans les Plaines. Les Black Hills étaient avant tout un sanctuaire, un lieu cérémoniel. Les Blancs, eux, en feraient quelque chose. Ils y creuseraient des mines à la dynamite, y couperaient les arbres, y assècheraient les cours d’eau, y tueraient les animaux et y construiraient des villes. On n’allait tout de même pas tolérer que quelques sauvages fassent obstacle à la prospérité du pays.

L’année suivante, le gouvernement américain commençait ses manoeuvres pour voler le plus légalement possible les Black Hills aux Indiens.
L’idée lui vient de louer les Black Hills aux Sioux, puis de les leur acheter. Les chefs Red Cloud, American Horse, Spotted Tail refusent avec indignation, disant que c’est l’héritage des enfants à venir. Les Indiens qui vivent dans les territoires de chasse et qui ne participent pas aux discussions font savoir qu’il n’est pas question pour eux d’accepter une vente. Il semble que les Indiens se seraient résignés à une diminution de leur territoire pourvu qu’ils gardent les Black Hills et la vallée de la Powder River. C’est justement ce sanctuaire où la vie sauvage est encore intacte, où ils pourraient vivre, qu’on veut leur arracher.
L’article 12 du traité exigeant que toute cession de territoire soit approuvée par les trois quarts des hommes, des commissaires sont envoyés durant l’été et l’automne 1875 pour recueillir des signatures. On ne recule pas sur les moyens : signatures d’adolescents, de métis, hommes enivrés, menacés. Pourtant, on n’approche même pas du chiffre requis. Les hommes des tribus libres tournent le dos aux émissaires du gouvernement, refusant de les rencontrer. Crazy Horse déclare : « On ne vend pas la terre sur laquelle le peuple marche ».
Alors, on se tourne vers les chefs. Pour les contraindre à signer, on réduit les rations déjà insuffisantes qui permettent aux tribus captives de survivre. C’est la politique dite « vendre ou mourir de faim » (sell or starve). Spotted Tail, plus facile à convaincre que Red Cloud, signe en disant : « Je ne veux pas que mes Brûlé meurent de faim ». On enivre Red Cloud. Le chef oglala qui a tant combattu pour les siens, comprenant que, de toute façon, les Black Hills sont perdues, en demande une somme qui paraît exorbitante. Le Congrès refuse et décrète en septembre 1877 la saisie des Black Hills. La signature arrachée aux chefs sous la menace n’a de toute façon aucune valeur juridique vis-à-vis du traité.
Avant signer de l’abandon des collines, Red Cloud aurait déclaré : « Vous voulez me faire signer pour éviter aux Etats-Unis la honte d’avoir manqué à leur parole ». Mais la honte existe toujours.

Pour justifier la confiscation des Black Hills, le gouvernement avait trouvé un prétexte : la résistance des tribus libres du nord à la prétention des Blancs de les rassembler dans des réserves où ils étaient désarmés, privés de leurs chevaux, mis dans l’impossibilité de chasser et livrés au bon plaisir des soldats et des fonctionnaires du gouvernement. Ces Indiens dont, pour certains, les chefs n’avaient même pas signé le traité de 1868, étaient considérés comme ayant rompu les obligations du traité par le simple fait de leur résistance à se laisser parquer dans les réserves.
Dès le printemps 1875, les tentatives du gouvernement pour s’emparer des Black Hills avaient suscité la colère d’une large majorité d’Indiens, même parmi ceux qui vivaient près des agences sur la Grande Réserve Sioux. Les défections deviennent plus nombreuses. Des clans entiers, surtout oglala, quittent la tranquillité déprimante de la réserve pour rejoindre les chasseurs. L’attrait de la chasse, des expéditions guerrières, de la liberté, des fêtes, des grands campements joyeux est irrésistible, surtout à la belle saison. Durant l’été 1875, les deux tiers des Indiens vivent à la manière traditionnelle sur les territoires de chasse. Les agents s’inquiètent et punissent ceux qu’ils ont sous a main, c’est-à-dire ceux qui vivent près des agences, ce qui a pour effet d’accroître l’exode. Les années précédentes, beaucoup d’Indiens rejoignaient la réserve pendant l’hiver pour y être nourris. Les bisons, déjà presque complètement anéantis dans les Plaines du Sud, reviennent chaque année de moins en moins nombreux, et le ravitaillement des tribus libres commence à devenir difficile.
Les Blancs, qui circulent maintenant en toute impunité sur le territoire reconnu aux Indiens par le traité, ont commencé le grand massacre des bisons des Plaines du Nord, encouragés formellement par le général William T. Sherman qui voit là le moyen le plus sûr de résoudre définitivement l’irritant problème des Indiens rebelles. Au début de novembre 1875, beaucoup d’Indiens n’ont pas regagné les agences, s’apprêtant à passer l’hiver dans les territoires de chasse. Le gouvernement estime qu’il est temps de mettre fin à une situation militairement dangereuse et humiliante pour son autorité.


« LES SOUMETTRE A COUPS DE FOUET »
En novembre 1875, la politique indienne du gouvernement est définie à Washington. Le 25 novembre, le président reçoit le rapport de E.T. Watkins, commissaire aux Affaires indiennes de retour d’une tournée d’inspection dans la région du Haut Missouri.
Le commissaire y décrit les tribus lakota et cheyenne comme « sauvages, hostiles, arrogantes, indépendantes » et, plus grave, « défiant l’autorité du gouvernement ». Il conclut : « A mon avis, il faut envoyer l’armée contre eux, dès cet hiver, le plus tôt sera le mieux, et les soumettre à coups de fouet ». Ce rapport ne fait que confirmer la décision déjà prise par les politiciens et les militaires : guerre à outrance contre les tribus qui refusent de se rendre.
La décision de « soumettre à coups de fouet » les Indiens rebelles n’a officiellement rien à voir avec l’intention du gouvernement de contraindre les Lakota à vendre les Black Hills. Il est pris prétexte de déprédations, délibérément exagérées, commises contre les Blancs du Montana et contre les Crow et les Arikara, qualifiés d’Indiens « amis et pacifiques ».
Pour ne pas être accusé par la minorité du Congrès d’avoir perpétré une agression pure et simple, le gouvernement envoie, à partir du 3 décembre, des messages à toutes les bandes qui peuvent être contactées, leur ordonnant d’avoir regagné les agences à la date du 31 janvier 1876, faute de quoi elles seront considérées comme « hostiles » et traitées en conséquence par l’armée. Ce message très menaçant n’a pas l’effet escompté sur les rebelles. D’abord, la date du 31 janvier n’a aucune signification pour les Indiens. Ensuite, que les Blancs osent leur donner des ordres et les menacer, alors qu’ils vivent tranquillement sur leurs terres de traité, ne gênant personne, est impensable. Ils considèrent plutôt qu’il s’agit d’une invitation lointaine à se rendre aux agences, à laquelle il n’est pas question de répondre en plein cœur de l’hiver. Personne ne bouge.
Dès le mois de février 1876, l’armée est en campagne, recherchant l’ennemi dans les plaines enneigées. Début mars, le major Reynolds débusque sur la Powder River, au Wyoming, le camp cheyenne du chef Two Moon et l’attaque à l’aube. Tandis que les femmes et les enfants s’enfuient à demi nus dans la neige, les guerriers, d’abord contraints à reculer, parviennent à contenir l’agresseur, puis à le repousser après un combat corps à corps d’une extrême violence. Les Blancs ont réussi à détruire la moitié du village, brûlant les tipis et les provisions qu’ils contiennent et se sont emparés d’une partie des chevaux de la tribu. Bien que leur objectif – détruire tout ce que possèdent les Indiens et en tuer le plus possible – ne soit que partiellement atteint, les soldats se déclarent vainqueurs. Ils seront moins fiers quand, le matin suivant, ils constateront que les Indiens ont réussi à reprendre leurs chevaux pendant la nuit. Instruits par cette expérience, l’armée abattra désormais sur place tous les chevaux indiens qu’elle capture.
Les Cheyenne ont récupéré une partie de leurs biens qu’ils ont partagés, mais, privés de leurs provisions, ils ne peuvent passer sans secours le reste de l’hiver. Ils parviennent à atteindre le camp de Crazy Horse où ils sont accueillis, nourris et réconfortés.

L’armée continue à abattre tout Indien rencontré, à incendier tout village indien avec ce qu’il contient afin de laisser les Indiens sans abri, sans ressources, et de les contraindre à se rendre. « Il ne doit plus rester à ces gens que leurs yeux pour pleurer », déclare à ce moment le général Philip Sheridan. Pourchassés, les clans se regroupent, se donnant de meilleures chances de résister aux attaques des soldats. Les chefs charismatiques comme Crazy Horse l’Oglala, Sitting Bull l’Hunkpapa, les Cheyenne Two Moon et Dull Knife, voient leurs campements grossir des nombreux tipis de ceux qui recherchent leur protection.

Le général Crook, dit le Renard Gris, fait pression sur les chefs pacifistes Red Cloud et Spotted Tail pour qu’ils décident leurs hommes à s’engager comme éclaireurs contre les rebelles. Ils refusent l’un et l’autre. Red Cloud ne craint pas de déclarer au général : « Le Renard Gris doit comprendre que les Lakota ont beaucoup de guerriers, de fusils et de chevaux. Ils sont courageux et prêts à se battre pour leur pays. Ils n’ont pas peur des soldats et de leurs chefs. Les braves sont prêts à les rencontrer. Chaque loge enverra ses jeunes gens et ils diront des chiens du Père de Tous (le Président) : « Qu’ils y viennent ! »
Formidable réponse de la part d’un chef apparemment soumis, sans autre pouvoir que celui que lui donne la confiance des siens et qui a été si souvent accusé de complaisance à l’égard des Blancs. Non seulement Red Cloud refuse d’envoyer des éclaireurs contre ses frères qui défendent la terre lakota, l’honneur lakota, mais il leur manifeste un soutien sans équivoque. D’ailleurs son fils Jack, qui est avec Crazy Horse, combattra à Little Bighorn avec la carabine et la coiffure de guerre que son père lui a données.
Le général Crook, qui a du se rabattre sur des éclaireurs crow et shoshone, parcourt les Plaines à la recherche de l’ennemi. Les rebelles se sont déplacés vers l’ouest, pénétrant en pays crow où les vallées de la Powder, de la Tongue, de la Rosebud, de la Bighorn offrent de bons emplacements pour dissimuler leurs camps.
A la mi-juin, Crook s’apprête à attaquer un gros village indien installé sur la Rosebud, une rivière à l’ouest de la Tongue. C’est celui de Crazy Horse et de Sitting Bull auxquels se sont joints des Cheyenne. Les guerriers ont vu venir les soldats. Ils doivent coûte que coûte les empêcher d’atteindre le village plein de femmes et d’enfants que les soldats massacreraient sans hésiter. Bien qu’inférieurs en nombre et surtout en armement, les Indiens vont essayer d’intercepter les troupes de Crook très en amont du village. Durant la nuit du 16 au 17 juin, les hommes se glissent dans le camp des soldats et leur volent des chevaux. A l’aube, les guerriers conduits par Crazy Horse passent à l’attaque. C’est grâce à la vigilance de leurs éclaireurs shoshone que les Blancs, totalement surpris, ont le temps d’organiser leur défense. Le combat, peu intense, dure tout le jour. Finalement, le soir, les soldats décrochent. Le village est sauvé. C’est l’une des plus belles victoires de Crazy Horse et de ses guerriers.


LITTLE BIGHORN
On est à la veille de la Danse du Soleil, la grande cérémonie annuelle qui rassemble les tribus. Sitting Bull a promis de se sacrifier pour son peuple : il donnera en sacrifice cent morceaux de sa chair. Tandis qu’il danse au pied de l’arbre sacré, affaibli par le jeûne et la perte de sang, il a la vision d’une grande victoire sur les soldats.
Le camp indien, immense, s’étend sur les rives de la Little Bighorn, un petit affluent de la rivière Bighorn, à l’ouest de la Rosebud. Toutes les tribus lakota y sont représentées, principalement les Oglala, Hunkpapa, Minnecoujou. Il y a un grand camp cheyenne, un camp arapaho. Les Santee du vieux chef Inkpaduta, les réfugiés de l’Est, sont là aussi. Chaque tribu a son propre cercle. Le camp de tipis blancs qui s’étend à l’infini brille sous le soleil. Il y a là dix mille Indiens rassemblés, dont plus de deux mille guerriers.

Le lieutenant-colonel George A. Custer arrive dans les parages à l’aube du 25 juin à la tête de son 7ème régiment de cavalerie. Il est accompagné du major Marcus Reno et du capitaine Benteen. Ses éclaireurs crow ont relevé de nombreuses traces, mais ne connaissent pas encore l’importance du camp indien. Quand ils le découvrent, les Crow veulent dissuader Custer d’attaquer et, pour l’impressionner, ils commencent à chanter leur chant de mort. Custer les traite de « femmes ». Quand il aperçoit l’immense village, il s’écrie : « Voilà la chance de Custer ! ». Il envisage en effet de se présenter en novembre à la présidence des Etats-Unis et pense qu’une victoire remportée sur les rebelles des Plaines lui ouvrirait les portes de la Maison Blanche.
Le plan du général Sheridan, le commandant en chef, consiste à prendre en tenaille les rebelles que l’on suppose se trouver quelque part entre la Powder et la Bighorn. Custer, qui vient par le sud, a reçu l’ordre de ne rien entreprendre avant d’avoir fait sa jonction avec la colonne du général Alfred Terry et celle du colonel Gibbon. Mais quelques Indiens qui rentraient au camp ont vu les soldats et ont donné l’alarme, et l’effervescence commence à gagner le camp. Custer doit attaquer immédiatement, sinon les Indiens vont s’enfuir en se dispersant.
Custer décide de diviser ses forces. Reno attaquera le village par le sud, tandis que lui-même, avec le gros de ses troupes, prendra le village à revers par le nord. Benteen sera gardé en réserve. Il est environ dix heures du matin.
Le village n’a pas encore eu le temps d’organiser sa défense quand Reno attaque. Des Cheyenne qui pêchaient dans la rivière voient arriver les soldats et courent avertir les leurs. Dans le premier choc, les Indiens subissent quelques pertes, mais se ressaisissent vite. Des cris d’alarme parcourent l’immense campement qui s’étend sur plusieurs kilomètres. Les guerriers se préparent au combat tandis que les femmes commencent à démonter les tipis pour le cas où il faudrait fuir.
Reno est bientôt repoussé par une charge menée par Gall, dont la famille vient d’être tuée, puis par Crazy Horse lui-même. La troupe de Reno se replie vers un bosquet. Le capitaine Benteen le rejoint et l’aide à tenir. Tout l’après midi, Reno et Benteen sont assiégés par les guerriers qui les harcèlent.
Au même moment, Custer arrive devant le gué de Grand Coulee Tail. Des femmes et des enfants lakota se baignent à cet endroit quand le 7ème de cavalerie lance sa charge à travers la rivière. Une poignée de Cheyenne se sacrifie pour contenir les assaillants jusqu’à ce que ces femmes et ces enfants aient pu se mettre à l’abri. Custer et ses hommes parviennent à prendre pied sur l’autre rive, faisant quelques morts, mais les assauts furieux des guerriers les désorganisent et les obligent à se replier. Entraînés par des chefs comme Gall, Rain In The Face, Two Moon et surtout Crazy Horse, stimulés par la présence de leurs familles, les combattants indiens sont invincibles.
Custer doit commencer à comprendre que surprendre à l’aube, en plein hiver, un camp dépourvu de ses combattants, et y opérer un massacre facile est une chose, mais que s’attaquer en plein été à un grand rassemblement d’Indiens bien décidés à défendre leurs familles, leur terre et leur liberté en est une autre.
Ce qui reste du régiment de Custer est finalement exterminé sur une colline où les soldats tentent de résister. Les derniers instants sont dramatiques, les soldats combattent avec l’énergie du désespoir. L’image classique qui s’est imposée montre Custer tombant le dernier, submergé par un sauvage assaut. Mais des témoignages indiens laissent penser qu’il aurait été tué dès la première charge. Les troupes seraient alors restées sans commandement, ce qui peut expliquer l’incohérence de leur action. Les soldats auraient emporté son corps sur la colline du dernier combat et ce serait le capitaine Keogh qui aurait pris sa place.
Le combat a été court, il n’a duré que quelques heures. Le soir, les femmes parcourent le champ de bataille et mutilent les morts. Les armes, les selles, les vêtements des soldats sont récupérés malgré, dit-on, les mises en garde de Sitting Bull.
La nuit vient. Les hommes de Reno et de Benteen, toujours assiégés, sont en proie à la soif et au désespoir. Ils entendent les échos de la fête de la victoire que célèbrent les vainqueurs. Plusieurs soldats se sont tirés une balle dans la tête. Finalement, Sitting Bull vient et dit de les laisser partir. Affaibli par l’épreuve de la Danse du Soleil, Sitting Bull n’avait pas pris part au combat et était resté en prière sur une colline. Il aurait organisé l’évacuation des femmes et des enfants si le combat avait mal tourné.
La joie de la victoire est assombrie par la crainte de l’avenir. Les Indiens savent bien que les soldats reviendront, toujours plus nombreux. Ils savent bien qu’ils vivent leur dernier été de liberté. A l’aube, les sentinelles annoncent l’approche d’une importante troupe de soldats venant du nord. C’est Terry. Les Indiens lèvent le camp et se dispersent.


VENGEANCE
L’annonce de la défaite de Custer éclate comme un coup de tonnerre au milieu des fêtes du centenaire de la Déclaration d’Indépendance des Etats-Unis.
La fin de Custer est qualifiée d’odieux massacre. Les rumeurs les plus folles circulent dans la presse : un piège a été tendu aux soldats, les combattants indiens étaient au moins dix mille, armés de fusils dernier modèle. En fait, à peine un tiers des guerriers possédait des fusils, souvent anciens ; les autres ont combattu avec leurs arcs. On insiste sur les mutilations infligées aux cadavres des soldats. Certains corps n’ont pas été retrouvés : des soldats ont été emmenés par les Indiens et certainement torturés. Les corps manquants ont été peu à peu retrouvés, accrochés à la végétation ou enfoncés dans la boue des rives, le dernier en 1991. Maintenant, le compte y est.
Traumatisée par la mort tragique de Custer et de ses hommes et manipulée par le lobby anti-indien, l’opinion publique exige la soumission des Indiens hostiles. Le général Sheridan a les pleins pouvoirs pour mener sa campagne de guerre totale et d’extermination. Qui oserait défendre les « assassins de Custer » ? Naturellement, quand, en septembre 1877, le Congrès décide l’annexion les Black Hills et des territoires de chasse en violation flagrante du traité de 1868, cela apparaît comme une juste punition.
Les Indiens fuient la vengeance de l’armée et de toute la nation américaine. Ils savent qu’ils n’auront plus de repos. L’espoir de pouvoir continuer à vivre libres sur leurs terres, loin des Blancs, s’est évanoui. Désormais, il n’ont plus qu’une alternative : se rendre ou mourir.

Le 16 juillet 1876, deux à trois cents guerriers cheyenne et lakota, conduits par le chef Little Wolf et accompagnés de leurs familles, quittent l’agence de Red Cloud à Fort Robinson pour rejoindre au Wyoming Crazy Horse et les vainqueurs de Custer. Au matin du 17, ils sont interceptés par les troupes du colonel Wesley Merritt à War Bonnet Creek, à une cinquantaine de kilomètres à l’ouest de Fort Robinson. Les soldats veulent refouler les Indiens vers l’agence. Les Indiens engagent le combat, voulant forcer le passage.
Yellow Hand, un jeune guerrier cheyenne, s’avance vers les soldats, demandant si l’un d’eux veut se battre avec lui. Mais personne n’ose relever le défi et les soldats ouvrent un feu nourri sur le Cheyenne qui parcourt la ligne de front au galop. Yellow Hand veut attirer sur lui l’attention des soldats, comme le font les guerriers les plus braves, afin de donner aux femmes et aux enfants le temps de se mettre à l’abri. A son second passage, son cheval est abattu sous lui. Il brandit alors sa coiffure de guerre au dessus de sa tête et tombe mortellement blessé. Il est scalpé et les Indiens sont repoussés vers Fort Robinson. C’est là le récit fait par plusieurs Cheyenne, hommes et femmes, qui avaient assisté à l’incident de War Bonnet Creek.
La légende de l’Ouest donne une tout autre version. Buffalo Bill, alors éclaireur de l’armée, aurait relevé le défi du Cheyenne et, après un combat héroïque, l’aurait tué et scalpé en s’écriant : « Le premier scalp pour Custer ! ». C’est ce qui a été à l’époque popularisé dans la presse et ensuite par le cinéma, un épisode qui a beaucoup contribué à la légende de Buffalo Bill. Qui faut-il croire ?

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