mardi 11 novembre 2008

Cheyenne

CHEYENNE


Remarquables par la beauté de leur culture, leurs qualités de guerriers, leur passion de la liberté et l’opiniâtreté avec laquelle ils ont combattu l’invasion blanche, les Cheyenne sont l’un des plus importants et des plus charismatiques peuples indiens des Plaines.



LA CULTURE CHEYENNE
La société cheyenne
Les Cheyenne s’appelaient eux-mêmes Tsistsista (littéralement « les hommes-hommes »). Le nom « Cheyenne » vient du sioux Sha-iye-la qui signifie « ils parlent rouge », un nom par lequel les Sioux désignaient un peuple de langue étrangère. Le signe signifiant « cheyenne » dans le langage des signes, par lequel les tribus des Plaines communiquaient entre elles, est le geste de couper un doigt. Les guerriers vainqueurs coupaient souvent les doigts de leurs ennemis morts.

La culture cheyenne est celle du cheval et du bison, typique des Indiens des Plaines, mais comporte quelques particularités qui méritent d’être soulignées.
Le pouvoir politique était réparti au sein de la nation entre le conseil des chefs et les sociétés de guerriers. Un conseil de quarante-quatre chefs était chargé de conduire la politique générale et d’assurer le bien-être du peuple. Chacun des chefs représentait l’un des clans familiaux de la tribu. Les chefs ne possédaient crédit et autorité que s’ils répondaient à certains critères moraux : sagesse, honnêteté, générosité et courage. On attendait d’eux qu’ils se sacrifient pour les autres. Ils devaient veiller à ce que personne ne manque de nourriture ou d’abri. Ils rendaient la justice, apaisaient les conflits, protégeaient les faibles. Ils organisaient les mouvements des camps, les chasses. Ils décidaient des alliances, de la guerre et de la paix. Chacun de ces chefs venait de l’une des sociétés de guerriers qu’il devait abandonner quand il était nommé au conseil. Les nominations se faisaient par cooptation et les décisions du conseil étaient prises par consensus, souvent après de longues discussions.
Les sociétés de guerriers qui fonctionnaient comme des confréries avaient une grande importance dans la société cheyenne. La plus puissante était celle des Dog Soldiers (Hotamitanio) qui a joué un rôle déterminant dans la lutte contre les Blancs au XIXème siècle. Les autres sociétés étaient Fox, Elk, Wolf, Shield et Bowstring. Sous l’autorité civile du conseil des chefs, elles organisaient les expéditions guerrières et assuraient la défense et la sécurité du peuple.
Les Cheyenne ont souvent été considérés comme les plus fiers et les plus braves parmi les Indiens des Plaines, peut-être seulement égalés par les Crows. Les Français les appelaient « les Beaux Hommes ».Dans la société cheyenne, les exploits guerriers étaient extrêmement valorisés. Aucun homme ne pouvait espérer accéder à une position en vue ni même fonder une famille s’il n’avait acquis quelques « honneurs de guerre », comme d’avoir « compté un coup » en touchant un ennemi encore armé. Tous les jeunes gens devaient avoir, au moins une fois, participé à une expédition de guerre.
Il existe à propos des Cheyenne des témoignages favorables et même admiratifs venant de militaires qui les ont côtoyés. Le lieutenant Hugh L. Scott décrit ainsi les jeunes guerriers du chef Two Moon qu’il avait rencontrés en 1877 : « Ils étaient tous jeunes, athlétiques, grands, minces, courageux, et je les admirais comme étant les plus beaux spécimens de l’espèce humaine que j’aie jamais rencontrés. Ils avaient l’allure fière et le port digne .... Ils étaient parfaitement adaptés à leur environnement et, en cas de danger, ils savaient exactement ce qu’ils devaient faire .... ». Dans son ouvrage « Indian Sign Language », Clark écrit : « Les hommes cheyenne se placent aussi haut que ceux de n’importe quelle tribu en ce qui concerne l’honnêteté, l’énergie et la ténacité, et sur le plan physique et intellectuel, ils sont supérieurs à ceux de la plupart des tribus ». (cité par James Mooney dans « The Ghost Dance »)
Les femmes cheyenne étaient connues pour leur vertu et leur beauté. Elles excellaient dans le travail de la broderie traditionnelle en piquants de porc-épic et constituaient des sociétés de brodeuses qui exposaient leurs plus beaux travaux devant la tribu. Les femmes cheyenne échangeaient volontiers des modèles de broderies, de vêtements, de mocassins, de berceaux avec les femmes lakota ou arapaho. A partir des années 1839-1840, la broderie de perles a pratiquement remplacé la broderie de piquants.
Chez les Indiens des Plaines, et les peuples chasseurs/guerriers en général, les femmes étaient toujours plus nombreuses que les hommes, plus exposés aux accidents, ce qui permettait à certains Cheyenne influents d’avoir plusieurs épouses, mais il serait faux de penser que tous les Cheyenne étaient polygames. Chaque épouse possédait son propre tipi où elle vivait avec ses enfants, ce qui rendait faciles les divorces. La femme se contentait alors de mettre dehors les affaires de son époux. Chacun jouissait d’une grande liberté dans ses choix de vie.



La spiritualité
Le Grand Esprit des Cheyenne est Maheo, créateur de l’univers et donneur de vie.
La cérémonie spécifique de la culture cheyenne était celle du Renouvellement des Flèches. Les dix clans de la nation se réunissaient alors en un immense cercle au centre duquel était dressée la loge du Gardien des Flèches Sacrées.
Selon la tradition, ces quatre flèches, deux pour la chasse, deux pour la guerre, avaient été données par Maheo à Sweet Medecine, le héros culturel des Cheyenne, quand celui-ci s’était rendu sur Bear Butte, une haute colline au nord-est des Black Hills. Les flèches étaient conservées dans un « paquet médecine » avec d’autres objets sacrés pour la tribu, en particulier une coiffure en cornes de bison. Cette cérémonie qui durait quatre jours exprimait le renouveau spirituel de la nation et le renforcement des liens entre ses membres. Dans les temps anciens, elle se tenait probablement tous les ans. Quand la tribu s’est trouvée divisée en deux, il est devenu impossible à la nation cheyenne de se réunir pour célébrer le Renouvellement des Flèches. Les Flèches Sacrées ont été emportées par les Cheyenne du Sud, et la coiffure de bison a été conservée par ceux du Nord. Ces objets sacrés sont toujours sous la garde d’un saint homme mais, de nos jours, le rituel qui s’y rattache est devenu confidentiel.

C’est au solstice d’été que les Cheyenne célébraient la cérémonie de la Loge du Renouveau de la Vie. A la différence de la Danse du Soleil des Lakota qui se déroulait à ciel ouvert, les Cheyenne construisaient une vaste loge circulaire soutenue par vingt huit poteaux d’où partaient autant de perches qui s’appuyaient au centre sur l’arbre sacré et que l’on recouvrait de branchages. Cette « loge médecine » représentait le monde. Son plan de construction était celui la grande « roue médecine » du Wyoming, l’une des rares structures de ce type encore à peu près intactes.
Le dernier jour de la cérémonie, les danseurs qui en avaient fait le vœu s’attachaient à l’arbre sacré par des lanières de cuir fixées par des chevilles de bois à la chair de leur poitrine. En dansant ils devaient parvenir à se détacher en déchirant leur chair, comme pour la Danse du Soleil des Sioux ou l’Okeipa des Mandan. Cette cérémonie n’était pas une initiation des jeunes hommes, comme on le dit souvent, mais un sacrifice consenti pour remercier les esprits de l’univers, personnifiés en Maheo, pour les bienfaits qu’il accordait aux Cheyenne, pour cette terre magnifique où abondait tout ce qui était nécessaire à leur vie et à leur bonheur, une signification analogue à celle du rituel lakota. De nos jours, la cérémonie du Renouveau de la Vie est couramment appelée « Danse du Soleil », l’expression servant maintenant à désigner ce type de rituel sous ses différentes formes.
Les cérémonies indiennes ont été interdites par les missionnaires et l’administration américaine au début des années 1880, mais certaines comme la Danse du Soleil ont continué à être célébrées en secret. Ainsi de jeunes Crows avaient participé en 1887 à la Danse du Soleil des Cheyenne du Nord.
Depuis le début des années 1970, les Danses du Soleil sont ouvertement tenues chez les Cheyenne comme sur toutes les réserves des Plaines. Les Cheyenne ont cependant conservé leur cérémonie spécifique de la Loge du Renouveau de la Vie, alors que la plupart des autres tribus pratiquent la Danse du Soleil proprement dite, selon le rituel lakota.
La nation cheyenne est toujours partagée en deux. Les Cheyenne du Nord vivent sur une réserve du sud-est du Montana, près de celle des Crow. Ceux du sud vivent en Oklahoma, en étroite association avec les Arapaho.






HISTOIRE DU PEUPLE CHEYENNE

Les Cheyenne sont des Algonquin originaires du sud des Grands Lacs. L’explorateur français Cavelier de La Salle les rencontre en 1680 dans le nord de l’actuel Illinois, habitant le long des rivières des villages permanents faits de grandes maisons de terres en forme de dômes, semblables à celles que possédaient les Mandan et les Arikara au XIXème siècle. Ils fabriquent de la poterie et cultivent le tabac, le maïs, le haricot et la courge.
A la fin du XVIIème siècle, les Cheyenne se déplacent vers l’ouest, atteignant le Missouri, peut-être poussés par le déplacement des Chippewa et des Sioux. Leurs alliés arapaho, un autre peuple algonquin, suivent la même route. Installés le long du Haut-Missouri et de ses affluents, les Cheyenne pratiquent toujours l’agriculture autour de leurs villages, lançant de fréquentes expéditions de chasse dans les Plaines.
Dans la seconde moitié du XVIIIème siècle, ils acquièrent les chevaux auprès des tribus du sud. Comme les autres nations des Plaines, ils deviennent bientôt des chasseurs-cueilleurs, abandonnant l’agriculture et la poterie. La chasse au gros gibier, en particulier le bison, assure l’essentiel de leur subsistance. Ils délaissent les villages fixes, vivant sous des tipis en peau de bison.
Les dernières années du XVIIIème siècle marquent l’arrivée des Cheyenne dans la région des Black Hills où les Lakota sont déjà installés. A ce moment, un petit peuple algonquin, les Sutayo, peut-être des Blackfeet, se mêle aux Cheyenne et devient l’un des dix clans de la nation. Après les avoir un moment combattus, les Cheyenne s’allient aux puissants Lakota, une amitié qui ne fera que se renforcer au fil des années et des épreuves. Ainsi en 1805, les Cheyenne s’intègrent à l’immense rassemblement des Sioux, quand les Sept Feux de la Grande Nation Sioux se réunissent sur le Missouri.
En 1806, le Canadien Charles Mackensie, qui avait participé à l’expédition Clark et Lewis, est le témoin d’une réconciliation entre les Cheyenne et les Mandan et les Arikara, marquée par des échanges de captifs et de cadeaux. Désormais, les Cheyenne iront chercher leurs adversaires plus à l’ouest, chez les Crow, les Shoshone et les Ute.
Comme toutes les nations indiennes des Plaines du Nord, les Cheyenne concluent en 1825 un « traité de paix et d’amitié » avec les Américains, négocié par le général Atkinson. Le chef qui signe le traité au nom des Cheyenne est High Backed Wolf que George Catlin peindra à plusieurs reprises durant ses voyages chez les tribus indiennes au début des années 1830. Cette vaste réunion de tribus est l’occasion pour les Cheyenne et les Crow de conclure la paix. Les femmes et les enfants captifs sont mutuellement restitués. Les hostilités reprendront cependant entre les Cheyenne du Montana et les Crow, provoquées principalement par le soutien que ces derniers apportent aux Blancs.
Vers 1830, certains clans cheyenne s’éloignent vers le sud, atteignant l’est du Colorado et du Kansas. Ils deviendront les Cheyenne du Sud. Une partie des Arapaho a suivi la même voie. Les Cheyenne demeurés au Wyoming et au Montana sont connus comme les Cheyenne du Nord. Chacun de ces groupes va connaître une histoire différente dans la lutte qu’il devra mener contre l’invasion de ses terres par les Blancs.








LES CHEYENNE DU NORD

Au début des années 1830, tandis qu’une partie des Cheyenne s’éloigne vers le sud, s’alliant aux Kiowa et aux Comanche, les Cheyenne du Nord demeurés au Wyoming et au Montana s’unissent de plus en plus étroitement aux Lakota, combattant les mêmes ennemis, partageant les mêmes territoires de chasse et la même culture.
Vers 1850, les Cheyenne du Nord comptent trois principales divisions : la bande du chef Yellow Wolf, celle des Dog Soldiers qui, de société guerrière, tend à devenir un peuple à part entière et la bande plus petite des Half Breed dont le nom indique probablement qu’elle comporte de nombreux métis.
Les Cheyenne du Nord signent en 1851 avec le gouvernement américain le premier traité de Fort Laramie par lequel les nations des Plaines du Nord autorisent le passage des convois de pionniers se rendant vers les mines d’or de Californie. A l’occasion du grand rassemblement provoqué par le traité, plusieurs nations indiennes ennemies concluent des trêves.


Premiers combats
En décembre 1864, les Cheyenne du Montana entendent parler du massacre de Sand Creek perpétré par l’armée américaine le 29 novembre contre les Cheyenne du Sud du chef Black Kettle. Avec les Lakota Spotted Tail, Red Cloud et Pawnee Killer, les guerriers cheyenne montent une expédition pour venger leurs frères du sud. Le 7 janvier 1865, Cheyenne et Lakota attaquent la petite ville de Julesburg, à la frontière nord du Territoire du Nebraska. Les Indiens incendient et pillent la ville dont la plupart des habitants ont eu toutefois le temps de fuir. Les guerriers indiens remontent ensuite vers le nord et attaquent les établissements blancs le long de la rivière North Platte. Le 26 juillet 1865, les Cheyenne conduits par Roman Nose attaquent, avec leurs alliés lakota, le fort de Platte Bridge. Après un rude combat, ils sont cependant repoussés.
En août 1865, le général Patrick E. Connor lance une vaste expédition militaire contre les Indiens des Plaines du Nord considérés comme « hostiles ». Le général, qui s’est rendu célèbre pour avoir massacré en janvier 1863 près de cinq cents Shoshone sur la Bear River dans l’Utah, est considéré comme un héros de l’Ouest, le « défenseur de la Frontière ». Il déclare que tous les Indiens vivant au nord de la Platte River doivent « être traqués comme des loups », et ajoute : « Attaquez et tuez tous les Indiens mâles de plus de douze ans ! »
Les Indiens harcèlent sans relâche les soldats qui, début septembre, doivent battre en retraite, une défaite qui tient autant à l’incompétence des militaires qu’à l’habileté des combattants indiens. Les Indiens mettent en fuite des chercheurs d’or qui s’étaient aventurés jusque dans les Black Hills.
Conduits par les chefs Dull Knife, Two Moon et Little Wolf, les Cheyenne du Nord participent à la guerre de Red Cloud qui, pour s’opposer à l’installation de forts le long de la Piste Bozeman, débute dans l’été 1866. Cette piste qui passe entre les Black Hills et les Big Horn Mountains coupe en plein territoire cheyenne et lakota et amène au Montana des milliers d’immigrants. Les Cheyenne sont, aux côtés des Lakota, à la bataille de Fort Phil Kearny, le 21 décembre 1866, l’embuscade dans laquelle le capitaine William J. Fetterman trouve la mort et où s’est illustré le jeune Crazy Horse, puis le 2 août 1867 au combat de Hayfield.
C’est en novembre 1868 qu’avec les Oglala de Red Cloud, les Cheyenne du Nord signent le traité de Fort Laramie qui met fin aux combats. Il est convenu qu’ils résideront sur le territoire reconnu à leurs alliés lakota. La totalité de la tribu rejoint les chefs lakota Crazy Horse et Sitting Bull qui continuent à mener la vie indienne traditionnelle sur les territoires de chasse que leur reconnaît le traité, loin de la réserve où se sont installés ceux de Red Cloud et de Spotted Tail. Etroitement associés aux Lakota, les Cheyenne du Nord vont, pendant plus de huit ans encore, conduire l’ultime résistance des Indiens des Plaines du Nord.
Dans l’été 1874, de l’or est découvert dans les Black Hills par une expédition conduite par le déjà célèbre colonel George A. Custer. Ne pouvant contenir la ruée des prospecteurs, le gouvernement cherche, durant l’année 1875, à acheter les Black Hills aux Indiens qui refusent. Ordre est donné en décembre 1875 aux tribus encore libres de rejoindre la réserve avant le 31 janvier 1876, un ordre qui sera totalement ignoré.


Résistance dans les Plaines du Nord
Dès la fin de février 1876, le général Philip H. Sheridan, qui commande l’armée américaine des Plaines, monte une vaste expédition contre les rebelles. Le 17 mars, sur la Powder River, le capitaine Joseph J. Reynolds attaque le camp du cheyenne Two Moon. Les guerriers parviennent à protéger la fuite de leurs familles, puis réussissent à décrocher. Tous leurs biens détruits, les Cheyenne vont chercher secours et abri auprès des Lakota.
En juin 1876, à la tête de plus d’un millier d’hommes, le général George Crook quitte Fort Fetterman et se dirige vers la rivière Rosebud où l’on estime que se cache un grand nombre d’Indiens « hostiles ». Le 17 juin, une centaine de guerriers cheyenne conduits par Little Wolf aide les Lakota de Crazy Horse à protéger le grand village indien établi sur la Rosebud River.
Quelques jours plus tard, les éclaireurs crow et arikara du lieutenant-colonel George A. Custer retrouve la piste des Indiens sur les bords de la rivière Little Bighorn où des milliers de Lakota, Cheyenne et Arapaho sont réunis après avoir conduit les cérémonies de la Danse du Soleil. Au matin du 25 juin, Custer lance son attaque à travers le gué qui mène à l’immense village. C’est là que des guerriers cheyenne se sacrifient pour donner le temps de fuir aux femmes et aux enfants qui étaient au bord de la rivière.
Après leur victoire sur la Little Bighorn et la mort de Custer, les Indiens se dispersent. Tandis que certains acceptent de rejoindre la réserve, la plupart cherchent désespérément à préserver leur liberté.
Le 17 juillet, plusieurs centaines de Cheyenne conduits par Little Wolf quittent la Grande Réserve afin de rejoindre Sitting Bull et Crazy Horse qui combattent au nord. Ils sont interceptés par les troupes du colonel Westley Merritt à Warbonnet Creek au nord de Fort Robinson. L’engagement se réduit à un combat singulier entre le Cheyenne Yellow Hand et Buffalo Bill, éclaireur pour l’armée. Buffalo Bill tue le Cheyenne et le scalpe. C’est du moins la version officielle de l’engagement. Des témoins cheyenne rapportent une toute autre histoire, moins glorieuse pour l’armée. Yellow Hand, l’un des jeunes chefs de guerre des Cheyenne, aurait été abattu alors que, chevauchant à l’avant des siens, il attirait sur lui le tir des soldats, ainsi que le faisaient les braves pour protéger les non-combattants. Il aurait été scalpé et son corps abandonné sur place. Aucun des témoins ne parle de Buffalo Bill. (rapporté par Jerome E. Green dans son ouvrage « Lakota and Cheyenne » chapitre 5 - (University of Oklahoma Press)
Encerclés par l’armée, les Cheyenne sont ramenés sur la réserve. Little Wolf s’en échappe bientôt avec ceux de son clan et rejoint Dull Knife.
Les Cheyenne qui résistent encore se terrent dans les vallées du pays de la Powder River. Le 25 novembre 1876, par grand froid, au confluent de Crazy Woman Creek et de la Powder River, le colonel Ranald S. Mackenzie attaque le camp d’hiver de Dull Knife et Little Wolf. Des scouts shoshone et pawnee ont découvert le village de près de deux cents tipis adroitement dissimulé dans une gorge étroite. Les guerriers reviennent justement d’une expédition contre les Shoshone. La haine entre les Cheyenne et les Shoshone du chef Washakie qui aident les Blancs à traquer les Indiens est à ce moment à son comble. Toute la nuit, les Cheyenne ont fêté leur victoire et n’ont pas posté de sentinelles, tant ils sont sûrs de passer inaperçus.
A l’aube, les cavaliers de Mackenzie lancent leur attaque, lacérant et incendiant les tipis où les Cheyenne dorment encore. Complètement pris au dépourvu, les Indiens fuient dans la neige, la plupart à demi nus. Mais les guerriers s’organisent et parviennent à se retrancher dans un ravin. Se faisant tuer sur place, ils tiennent en respect les soldats. Little Wolf attire sur lui le feu des soldats pour laisser aux femmes et aux enfants le temps de fuir. Il recevra sept blessures. Mackenzie donne l’ordre d’abattre les sept cents chevaux, de mettre le feu aux réserves de nourriture et de détruire systématiquement tout ce qui pourrait encore servir aux Indiens.
Les Indiens laisseront trente morts près de la rivière. Les trois fils de Dull Knife ont été tués. Beaucoup de rescapés sont blessés. Ils fuient sans couvertures, pratiquement sans vêtements, dans le froid mordant. Ils sont obligés de tuer certains des chevaux qu’ils ont pu sauver et de placer leurs petits enfants dans les entrailles encore chaudes. Beaucoup d’entre eux, les enfants, les vieillards, les blessés, mourront de froid et d’épuisement. Ils parviennent au bout de douze jours de souffrances à rejoindre le camp de Crazy Horse qui, lui-même en proie à la famine, les accueille et les réconforte dans la mesure du possible. Black Elk, le saint homme lakota, décrit ainsi l’arrivée des Cheyenne dans le camp lakota : « Je peux me souvenir quand Dull Knife arriva avec ceux qui restaient de son peuple, affamés et gelés. Ils n’avaient presque rien et certains étaient morts en route. Beaucoup de petits bébés étaient morts. Nous avons pu leur donner de quoi se vêtir, mais nous n’avons pu leur donner beaucoup de nourriture car nous en étions réduits à manger nos chevaux quand ils mouraient ». Au dernier degré du découragement, certains Cheyenne décident de faire leur reddition à Fort Robinson.



Redditions
L’armée pourchassera avec acharnement les Lakota et les Cheyenne encore libres pendant tout l’hiver, jusqu’à ce qu’au printemps 1877, à bout de forces, les derniers résistants fassent leur reddition. Ceux de Two Moon se rendent en mars. Les jeunes guerriers sont contraints de s’engager comme éclaireurs dans l’armée. Ils participeront durant l’été à la poursuite des Nez Percé de Chef Joseph. Dull Knife et de Little Wolf, avec neuf cent soixante des leurs, arrivent à Fort Robinson le 21 avril. L’état de maigreur des Cheyenne, les blessures par balles et coups de sabre que beaucoup portent, épouvantent le médecin militaire qui déclare: « Ces gens ont subit une violence innommable ». (cf. p. 50-51 dans « Nous les Dull Knife » de Joe Sarita)
Dès le mois de mai 1877, pour éloigner des éléments jugés particulièrement subversifs, on décide de déporter ceux de Dull Knife et de Little Wolf vers le Territoire Indien (l’actuel Oklahoma) où leurs frères du sud ont une réserve. Les Cheyenne, qui espéraient demeurer près de Fort Robinson avec les Lakota, comme le prévoyait le traité de 1868, tentent de résister. Pour les décider, on leur fait croire que, s’ils ne se plaisent pas en Territoire Indien, ils pourront revenir.
En juillet, ils sont conduits vers le sud sous escorte militaire et sont installés à l’agence de Darlington. Les Cheyenne du Sud, avec lesquels ils ont rompu les liens depuis près de quarante ans et qui ont le plus grand mal à survivre sur une terre ingrate, voient sans plaisir arriver les nouveaux venus auxquels ils trouvent l’air « sauvage ».
« Ils ne reçoivent pas assez de provisions pour échapper à la famine.... Ils ne gardent pas pour eux le peu de provisions que j’ai vu leur être distribué, mais ils le donnent à leurs enfants qui réclament à grands cris de quoi manger. La viande de bœuf qu’on leur distribue est de très mauvaise qualité et ne peut être considérée comme comestible, ni propre à aucun usage » C’est ainsi qu’en septembre 1877, deux mois après leur arrivée, le lieutenant Henry W. Lawton décrit la situation des Cheyenne du Nord installés en Territoire Indien.



La Longue Marche des Cheyenne
Les Cheyenne du Nord, habitués aux plaines verdoyantes et fraîches, aux collines boisées du Montana et jaloux de leur indépendance, ne peuvent s’habituer aux étés brûlants de l’Oklahoma qui ont réduit à néant leur essais d’agriculture, et à l’humiliation de devoir se soumettre au bon plaisir du gouvernement et de ses agents. Les Cheyenne sont bientôt touchés par la malaria, une maladie qu’ils ignoraient jusque-là, et une cinquantaine de leurs enfants sont morts d’une épidémie de rougeole au printemps 1878. Le peuple cheyenne craint réellement pour sa survie.
On comprend ce qui a poussé les Cheyenne déportés à tenter de rejoindre leurs terres du Montana en cet automne 1878. Quelques centaines resteront cependant dans le sud avec le chef Wooden Leg qui gardera les enfants trop petits pour affronter le voyage. Au début de septembre, Dull Knife et Little Wolf font part à l’agent Miles de leur volonté de retourner au Montana. Affolé, l’agent alerte ses supérieurs, mais les Cheyenne ont pris la route du nord dès le 9 septembre. C’est ainsi que commence la Longue Marche des Cheyenne, l’un des exodes les plus héroïques et les plus désespérés de l’Histoire.
Pour l’armée, c’est le branle-bas de combat. De tous les forts de la région, deux mille soldats affluent pour couper la route aux fugitifs. Tandis que les Indiens campent sur les bords de la rivière Cimarron, ils sont attaqués par une unité du 4ème régiment de cavalerie. Après un vif échange de coups de feu, les soldats abandonnent le terrain et se replient sur Fort Reno.
Neuf mille soldats, sous les ordres du général George Crook, sont amenés par chemin de fer. Trois mille miliciens venus de Dodge City rejoignent les forces armées pour traquer les trois cents Cheyenne qui comptent moins de cent hommes en état de combattre. Les Indiens, qui évitent à tout prix l’affrontement avec les Blancs, parviennent à se glisser à travers le plus imposant dispositif jamais mis en place par l’armée américaine.
Au Kansas, ils capturent des chasseurs de bisons qu’ils laissent repartir après les avoir délesté de leurs armes et de la viande qu’ils avaient. Parfois, des guerriers quittent le convoi et reviennent le lendemain avec des chevaux, un fusil, des provisions. Il est vraisemblable qu’ils ont tué quelques Blancs qui leur résistaient pour s’emparer de ce qui était nécessaire à la survie des leurs.
Les Cheyenne franchissent l’Arkansas. Le 26 septembre, ils sont attaqués par les troupes du colonel William H. Lewis. Les soldats abattent des chevaux, mais les Cheyenne parviennent une nouvelle fois à décrocher en protégeant les femmes et les enfants. Désormais, certains d’entre eux doivent aller à pied.
Le 29 septembre, la route des fugitifs est coupée par la Kansas Pacific Railroad. Le passage est particulièrement délicat, car des machines haut le pied chargées de soldats circulent en permanence le long des voies. Les trois cents Cheyenne passeront pourtant, dans un silence absolu, avec leurs chevaux et leurs enfants. Puis c’est la traversée de la South Platte le 4 octobre. Les Cheyenne voyagent dans un pays maintenant largement occupé par les Blancs : les ranchs, les fermes, les clôtures sont pour eux autant d’obstacles redoutables.
Le général Crook ordonne à toutes les troupes disponibles d’arrêter les fuyards qui viennent de s’engager dans les Sand Hills, le désert de sable du Nebraska. Maintenant complètement démunis, épuisés, affamés, les Cheyenne ne sont plus en état de combattre, mais cherchent seulement à échapper aux forces qui les traquent.
Pour donner de meilleures chances à ceux qui semblent en état d’atteindre le Montana, ils décident de se séparer. Le vieux Dull Knife, avec les plus faibles, se dirigera vers Fort Robinson où les Cheyenne croient que se trouve toujours l’agence de Red Cloud, certains que les Lakota leur porteront secours. Little Wolf continuera vers la vallée de la Powder River, vers les terres cheyenne. (Sur les circonstances de la fuite des Cheyenne et les événements de Fort Robinson, voir le livre : « Le Dernier Espoir » de Howard Fast et le chapitre 2 dans « Nous, les Dull Knife de Joe Sarita. » )



Captivité à Fort Robinson
Le 23 octobre, des soldats interceptent ceux de Dull Knife au comble de l’épuisement et les conduisent à Fort Robinson. Les Lakota n’y sont plus depuis un an. Ils ont été transférés sur la réserve de Pine Ridge, à cent kilomètres de là. Pendant deux mois, nourris, bien traités, jouissant d’une relative liberté, les Cheyenne reprennent des forces. Certains de leurs amis lakota sont même autorisés à leur apporter des vêtements et des couvertures dont ils manquent cruellement. Les Cheyenne affirment toujours leur refus de retourner en Oklahoma.
Le jour de Noël 1878, un ordre arrive de Washington : les Cheyenne doivent retourner sans délai en Oklahoma. Les Indiens refusent farouchement, disant préférer la mort à une nouvelle déportation. Ils sont aussitôt consignés dans un baraquement. Dans les premiers jours de janvier, le capitaine Henry W. Wessels qui commande le fort leur fait supprimer le chauffage, la nourriture et même l’eau.
Au soir du 9 janvier 1879, s’ouvrant un passage avec les quelques armes qu’ils ont pu dissimuler, les Cheyenne prisonniers tentent une sortie désespérée. Une cinquantaine, dont beaucoup de femmes et d’enfants, tombent sous les balles des soldats. Quelques dizaines ont pu s’échapper. Le 23 janvier, trente-deux fugitifs sont cernés près de Hat Creek. Les cent cinquante soldats déclenchent sur eux un feu d’enfer. Tous sont tués, à part quelques femmes grièvement blessées qui seront capturées. (les pages 80 à 83 de « Nous, les Dull Knife » révèlent certaines circonstances peu connues du massacre)
Une vingtaine de Cheyenne repris vivants seront ramenés en Oklahoma.
Dull Knife et huit des siens réussissent à atteindre la réserve de Pine Ridge au degré le plus extrême de l’épuisement, après dix-huit jours d’une marche épouvantable. Les Lakota les nourrissent et les cachent durant plusieurs mois. Ils seront ensuite « pardonnés » par les autorités et autorisés plus tard à rejoindre ceux de Little Wolf au Montana.
En janvier, les Cheyenne conduits par Little Wolf ont atteint la Powder River où ils se terrent jusqu’au printemps. Début mars, Little Wolf rencontre Two Moon qui organise sa reddition. Le 27 mars 1879, à Fort Keogh, Little Wolf et ses guerriers remettent leurs armes au colonel Nelson A. Miles.
A l’automne 1879, le clan de Little Wolf rejoint ceux de Two Moon sur la Tongue, au Montana. Certains jeunes Cheyenne deviennent scouts pour l’armée. Les guerres indiennes ayant pris fin, ils sont employés à des travaux de construction et de bûcheronnage. La plupart se mettent à boire pour oublier la perte de leur liberté, de leur fierté, de leur mode de vie. Ce n’est qu’en 1884 que la réserve des Cheyenne du Nord est officiellement créée sur la rivière Tongue, jouxtant à l’est la réserve des Crow, leurs ennemis.
Un autre important groupe de Cheyenne du Nord, celui de Little Chief, avait été déporté en Territoire Indien à la fin de l’année 1877. Ils y avaient rencontré pratiquement les mêmes difficultés que ceux de Dull Knife et Little Wolf mais, instruits par la terrible expérience de ces derniers, ils avaient choisi d’utiliser les voies légales pour obtenir l’autorisation de retourner dans le nord. A la fin de l’année 1879, après un voyage de Little Chief à Washington où il avait plaidé la cause de son peuple, les Cheyenne avaient reçu la permission de s’installer sur la réserve de Pine Ridge près de leurs amis Lakota.



La réserve
Les Cheyenne du Nord se remettent difficilement à vivre, ravagés par la maladie, la tristesse et l’alcool. Ils participent avec passion au mouvement messianique la Danse des Esprits en 1889-1890, dans l’espoir de retrouver leur vie ancienne et de voir revenir leurs morts. Certains des chants qui ont accompagné les cérémonies cheyenne ont été recueillis. Le thème cosmique, celui du renouvellement du monde, apparaît de manière évidente. Le corbeau est ici l’intercesseur entre le monde terrestre et celui des esprits. Le « père » signifie certainement à la fois Wowoka, le prophète de la Danse des Esprits, et Maheo le Grand Esprit.

Notre père est venu,
La terre est venue,
Elle se soulève,
Elle vibre.

La montagne, la montagne,
Elle tourne autour de nous

Le corbeau, le corbeau,
Je l’ai vu quand il s’est posé
Sur la terre.
Il a renouvelé notre vie,
Il a eu pitié de nous.

Le corbeau, le corbeau,
Il danse avec nous.
Son aile, son aile,
Je danse avec elle.

Mon amie, mon amie,
Allons jouer aux dés !
Allons chercher notre mère.
Notre père nous le dit.

Ce dernier chant a un caractère plus personnel. C’est celui d’une jeune femme, Moki, l’épouse du chef Great Left Hand, qui invite une amie à jouer au jeu favori des femmes cheyenne et à rechercher sa mère morte dans le monde des esprits. (voir « The Ghost Religion » de James Mooney)
Terriblement traumatisés par le massacre de Wounded Knee du 29 décembre 1890 qui a touché leurs amis Lakota, les Cheyenne interrompent les cérémonies, mais, au printemps 1901, des journaux du Montana rapportent que les Cheyenne du Nord dansent à nouveau la Danse des Esprits. L’agent de la réserve ordonne que les meneurs soient fouettés et mis aux travaux forcés.

Jusqu’à la fin du XIXème siècle, les Cheyenne du Nord parviennent à vivre encore partiellement de la chasse et de la cueillette sur leur réserve. Puis ils se mettent à cultiver le maïs et certains légumes le long des rivières, comme leurs ancêtres le faisaient deux cents ans au paravent, avant qu’ils ne deviennent chasseurs de bisons dans les Plaines. Ils fournissent du foin et du bois à leurs voisins blancs. Ils se révèlent d’excellents éleveurs et dresseurs de chevaux. A partir de 1900, ils ont un troupeau de bovins. En 1919, le Bureau des Affaires Indiennes décide qu’ils ont trop de chevaux dont la présence nuit au pâturage des bovins. Les chevaux cheyenne sont donc vendus ou abattus, une opération guidée par la malveillance et l’idéologie plutôt que par le souci de préserver les pâturages. De quinze mille, le nombre de chevaux des Cheyenne est tombé à trois mille. Les Cheyenne vivent très mal ce genre d’agression.



Préserver la terre cheyenne
Vers 1920, de fortes pressions s’exercent sur la tribu pour lui faire accepter le lotissement de sa réserve tel qu’il était prévu par la loi Dawes de 1887. Les Cheyenne résistent par tous les moyens possibles au démantèlement de leurs terres et de leur société. Mais en 1932, ils sont contraints d’accepter et l’année suivante le lotissement est effectué. Nous sommes heureusement à la veille de l’adoption par le Congrès de la loi de Réorganisation Indienne (IRA) proposée par le nouveau commissaire aux Affaires Indiennes John Collier, et les Cheyenne obtiennent que les terres « en surplus » ne soient pas mises en vente, mais laissées sous le contrôle tribal. Les Cheyenne s’estiment sauvés et leur situation matérielle et morale s’améliore. Dès 1936, la tribu se dote d’une constitution et d’un gouvernement officiel, un conseil tribal et un président élus, tel que le préconise l’IRA.
Mais dix ans plus tard, la politique américaine opère un nouveau virage : les mauvais jours sont de retour. En 1954, le Congrès vote la « loi de terminaison » qui entend mettre fin à la relation privilégiée des Indiens avec le gouvernement fédéral, une relation qui découle des traités. Les Cheyenne ne seront heureusement pas touchés par ces dispositions qui ont pour effet d’anéantir les tribus, cela, bien entendu, au nom de la « libération des Indiens », comme si les nations indiennes étaient avides de se dissoudre dans la société américaine.
Pourtant, les agents du Bureau des Affaires Indiennes et les spéculateurs fonciers qui convoitent les terres cheyenne n’abandonnent pas la partie. En 1957, le BIA met en vente cinq cent quarante cinq hectares de très belles prairies en parties boisées connues sous le nom de Bixby Tracts. La tribu cheyenne qui veut protéger l’intégrité de sa réserve entend se porter acquéreur. Pour disposer de la somme nécessaire, ils vendent pour quarante mille dollars de bétail, la presque totalité de leur troupeau. La somme n’est pas versée aux Cheyenne, mais retenue dans les caisses du BIA jusqu’au lendemain de la vente, et les Cheyenne désespérés voient Bixby Tracts adjugées à un Blanc. (voir p. 428 dans « Histoire des Indiens des Etats-Unis » de Angie Debo)
A partir de 1959, les Cheyenne, sous la présidence de John Wooden Leg, le petit fils du chef qui avait accompagné Dull Knife et Little Wolf en Territoire Indien en 1877, préparent un projet de « délotissement ». Ils demandent que les lots de terres mis en vente par des propriétaires cheyenne ne puissent être cédés qu’à la tribu elle-même, et sollicitent un prêt à long terme de 500 000 dollars pour effectuer ces rachats. Le ministre de l’intérieur Roger C. Ernst leur donne son accord, mais le directeur local du BIA estime que les Cheyenne doivent laisser des Blancs s’installer sur leur réserve « afin qu’ils puissent voisiner avec ces hommes blancs et apprendre à être pareils à eux », écrit-il dans une lettre à John Wooden Leg, une phrase qui aurait pu être écrite par les « assimilationnistes » du XIXème siècle. Et le BIA local met en vente treize lots qui jouxtent justement Bixby Tracts. Le jour de la vente, plusieurs fermiers blancs sont là, prêts à se porter acquéreurs. « Nous étions si tristes et en colère que nous ne pouvions plus parler », dit John Wooden Leg. Mais un coup de téléphone du ministre Ernst annule la vente. Les Cheyenne garderont ces terres, mais ils ne récupéreront jamais Bixby Tracts. A ce moment, John Wooden Leg déclare : « Être Cheyenne, c’est appartenir à une seule tribu et vivre sur la terre de nos ancêtres. La terre est tout pour nous. Elle est le support de notre mémoire collective .... Elle nous rappelle que nos ancêtres l’ont achetée au prix fort, au prix de leur vie ». (voir p. 430 dans « Histoire des Indiens des Etats-Unis)
Le processus de « délotissement » se poursuit et ne sera achevé que sous la présidence Kennedy. Les Cheyenne obtiennent des crédits qui permettent à la tribu le rachat de terres. Ainsi, les terres cheyenne demeurent entre des mains cheyenne. Dans les années 1960, les Cheyenne du Nord reçoivent des aides pour développer leur élevage, ainsi que leur artisanat traditionnel, le tourisme. Le taux de chômage diminue, ainsi que la mortalité. Les choses vont un peu mieux.









LES CHEYENNE DU SUD .

Entre 1825 et 1830, quittant les terres du Wyoming et du Montana, un important groupe de Cheyenne part vers le sud, atteignant le Kansas et l’est du Colorado. Un groupe d’Arapaho a suivi la même voie. Ils combattent pendant un temps les Comanche et les Kiowa qui suivent les mêmes pistes qu’eux, en particulier à la bataille de Wolf Creek.
Les Cheyenne du Sud ont d’abord de bonnes relations avec les Blancs qui se sont installés sur leur territoire pour faire du commerce. Au début des années 1830, le marchand Charles Bent fait construire un fort sur la rivière Arkansas. Ses fils et lui ont épousé des Indiennes et deviennent les fidèles alliés des Cheyenne. Fort Bent est alors un important centre de commerce entre Blancs et Indiens. En 1840, c’est à Fort Bent que Cheyenne et Arapaho du Sud font la paix avec leurs ennemis comanche et kiowa et fondent avec eux une alliance défensive qui se révélera particulièrement efficace contre les éleveurs blancs qui investissent leurs territoires de chasse.
A ce moment, les ennemis indiens de la nouvelle coalition cheyenne/ arapaho/ comanche/ kiowa sont les Pawnee. Au cours d’une bataille entre Cheyenne et Pawnee, l’une des flèches sacrées des Cheyenne est perdue. Pour venger cet affront, les Cheyenne massacrent un important groupe de Pawnee, avec femmes et enfants.



L’échange inégal
C’est en 1841 qu’un premier combat entre des Blancs et des Cheyenne aidés par des Sioux a lieu au Kansas sur la Snake River. Pourtant, l’année suivante, l’expédition conduite par l’explorateur John C. Fremont a des contacts amicaux avec des Cheyenne qui désirent faire du commerce, proposant l’échanger des fourrures contre des objets manufacturés : fusils, outils, étoffes, ustensiles ménagers, perles, miroirs, etc.
L’échange devient vite extrêmement défavorable aux Cheyenne. Non seulement les Indiens deviennent dépendants des marchandises européennes dont ils ne peuvent plus se passer, mais ils doivent pour les obtenir intensifier la chasse. Le castor, la loutre disparaissent des cours d’eau. Ils échangent ensuite des peaux de bison dont le nombre semble alors illimité. Souvent, hélas, une partie des peaux est payée en alcool. On imagine facilement les conséquences dramatiques de cette pratique sur la société indienne, en particulier sur les femmes et les enfants. Les malheureuses femmes cheyenne, ne pouvant plus se livrer à leurs agréables et valorisant travaux de broderie, s’épuisent à tanner des peaux que leurs frères et maris échangeront contre de l’alcool. Quand, se querellant, les hommes ivres rentrent au village, elles doivent souvent aller se cacher dans les bois avec leurs enfants pour échapper aux violences provoquées par l’alcool, jusque ce que les hommes aient recouvré leurs esprits. Certains commerçants blancs particulièrement « généreux » n’hésitent pas à apporter leurs tonneaux de whisky jusque dans les villages de leurs « amis cheyenne », incitant hommes, femmes et enfants à boire. Leur intention est bien celle de tous les « dealers » du monde : rendre leurs victimes dépendantes de leur drogue.

En 1856, des Cheyenne sont accusés d’avoir volé des chevaux à des colons qui réclament l’intervention de l’armée. Les incidents entre Indiens et Blancs se multiplient. Le 29 juillet 1857, des cavaliers commandés par le colonel Edwin V. Sumner rencontrent sur la Solomon River trois cents guerriers cheyenne qui leur barrent le passage. Forts de l’invulnérabilité aux armes à feu que leurs hommes médecine leur ont promise, les trois cents guerriers font face aux soldats et se mettent à chanter en levant les mains. Contre toute attente, les dragons n’utilisent pas leurs armes à feu, mais chargent sabre au clair. La magie qui devait agir contre les fusils est inopérante et les guerriers cheyenne, surpris, doivent fuir pour éviter d’être taillés en pièces. Une dizaine d’entre eux ont perdu la vie. C’est le premier combat entre les Cheyenne du Sud et l’armée américaine. La même année, de l’or est découvert au Colorado près de Pike’s Peak. Cheyenne et Arapaho subissent de plein fouet la ruée des prospecteurs et des colons.



Des chefs pacifistes
En 1861, Black Kettle, White Antelope et Lean Bear, des chefs « pacifistes » signent le traité de Fort Wise par lequel les Cheyenne du Colorado acceptent d’échanger leur territoire contre des terres en Arkansas. En janvier 1863, les chefs pacifistes se rendent à Washington où le président Abraham Lincoln donne à chacun une médaille en signe de paix et d’amitié. Cependant, la majorité des Cheyenne, avec les guerriers d’élite les Dog Soldiers, refuse de céder ses territoires de chasse et résiste farouchement. Il est devenu pratiquement impossible pour les Indiens de chasser dans un pays maintenant occupé par les troupeaux des éleveurs blancs et l’hiver 1863-1864 est pour les Cheyenne du Sud et leurs alliés arapaho celui de la faim.
John Evans, gouverneur du Colorado, qui veut « ouvrir le territoire à la civilisation et au développement », crée au printemps 1864 une milice qu’il place sous les ordres du colonel John M. Chivington, un ancien pasteur méthodiste, connu pour la haine qu’il porte aux Indiens. En avril, un fermier de la vallée de la Platte signale la disparition de deux chevaux qu’il attribue naturellement « aux Indiens ». Le lieutenant Abel Tanner tombe alors sur un campement d’Arapaho où il tue quarante-trois hommes, femmes et enfants. La presse locale applaudit. En juin, le lieutenant George S. Eayre, agissant sous les ordres de Chivington, rencontre le chef cheyenne Lean Bear et un groupe de guerriers qui chassent le bison près d’Ash Creek. Les soldats tuent Lean Bear qui s’avançait pour parlementer, montrant la médaille de paix du président Lincoln. Des guerriers poursuivent les soldats jusqu’à Fort Larned qu’ils auraient incendiés si Black Kettle n’avait réussi à les retenir.
L’assassinat de Lean Bear excite la fureur des Cheyenne. Avec leurs alliés Arapaho, Kiowa et Comanche, auxquels se sont joints les Lakota de Spotted Tail et de Pawnee Killer, les Cheyenne conduits par le chef Roman Nose lancent de violentes attaques contre les ranchs et les fermes des colons, les diligences, les relais de poste. En deux mois, plus de cinquante Blancs sont tués au Colorado. Les routes menant à Denver sont coupées. La population du Colorado exige du gouverneur John Evans que l’armée intervienne pour la protéger. Les soldats pourchassent les Cheyenne partout où ils se trouvent, combattant non seulement les guerriers des Dog Soldiers mais s’attaquant aussi aux villages pacifiques.
En août, Chivington recrute pour une durée de cent jours un contingent de plusieurs centaines d’hommes, choisis parmi les pires citoyens de Denver, qui constitue le 3ème régiment de Volontaires du Colorado. Pour le colonel Chivington, tuer les Indiens représente une véritable croisade. Chivington met ses talents de journaliste au service de la presse locale qui reflète l’opinion de la grande majorité des Blancs de l’Ouest. Il écrit : « L’Indien doit être exterminé. Il n’a aucun droit sur cette terre que Dieu nous destinait afin que nous la fassions fructifier. Il n’a pas le droit de chasser le bison sur les champs que nous souhaitons labourer et la seule réponse logique à ses déprédations est l’extermination totale. Lui, ses affreuses squaws et ses enfants criminels doivent être exterminés et ce territoire doit s’y employer, et le plus tôt sera le mieux ».
Les Volontaires du Colorado inaugurent leur campagne en détruisant tous les villages cheyenne qu’ils rencontrent, massacrant les habitants qui n’ont pas pu fuir. Cependant, Black Kettle et plusieurs autres chefs font connaître leur désir de rester à l’écart du conflit, conscients de l’immense puissance des Blancs et de l’inutilité de la résistance.
Fin août 1864, Black Kettle et White Antelope se mettent sous la protection du major Edward W. Wynkoop qui commande à Fort Lyon, l’assurant de leurs intentions pacifiques. Le 28 septembre, Wynkoop organise à Camp Weld, près de Denver, un conseil entre les Cheyenne pacifistes et les autorités militaires. Les Indiens reçoivent l’assurance formelle qu’ils ne seront pas inquiétés s’ils installent à Sand Creek, un petit affluent de la rivière Arkansas à l’est de Denver. Un drapeau américain est remis à Black Kettle. Les Indiens promettent de ne causer aucun ennui aux Blancs s’ils reçoivent suffisamment de nourriture pour passer l’hiver. Le major Wynkoop le leur promet. Cependant, l’agent Colley fait le commentaire suivant : « A présent, je pense qu’un peu de poudre et de plomb serait la meilleure nourriture pour eux », ce qui donne une idée des sentiments qui avaient cours à ce moment chez les Blancs à l’égard des Indiens.



Sand Creek
Le gouverneur Evans est déconcerté par le désir de paix exprimé par Black Kettle et White Antelope, ainsi que par les Arapaho de Left Hand et Little Raven qui se sont joints à eux. Il déclare : « Et que ferais-je du 3ème régiment du Colorado si je conclus la paix avec les Indiens ? Les soldats ont été formés pour tuer des indiens et ils doivent continuer à tuer des Indiens ! Je ne veux aucune paix tant que les Indiens n’auront pas davantage souffert ! »
A la demande du gouverneur Evans, Wynkoop, jugé trop favorable aux Indiens, est remplacé en novembre par le major Scott J. Anthony. Les Indiens qui campent autour de Fort Lyon sont incités à s’installer à Sand Creek. Avec la complicité du gouverneur Evans et du colonel Chivington, Anthony élabore un plan destiné à les anéantir. Le contrat d’engagement des Volontaires du Colorado se terminant fin novembre, il n’y a plus de temps à perdre. Le 20 novembre, Anthony autorise les Cheyenne et les Arapaho de Sand Creek à aller chasser à plus de quatre-vingt kilomètres de là, privant le village d’une grande partie de ses défenseurs. A trois de ses officiers qui traite de félonie l'attaque projetée contre les Indiens, Chivington répond : « Il faut collectionner les scalps .... s’y mettre pour que ça saigne .... attendre la bonne occasion pour leur tomber dessus ...Maudit soit tout homme qui sympathise avec les Indiens ! J'ai décidé de tuer des Indiens et je crois juste et honorable d'employer tous les moyens possibles pour le faire. »
Durant la nuit du 28 au 29 novembre, les sept cent hommes de Chivington, munis de quatre obusiers, progressent dans une neige épaisse vers le village cheyenne. A l’aube du 29, les soldats, ivres pour la plupart, se jettent sur le camp endormi. Chivington a donné ses ordres : « N’épargnez personne, même les bébés, car les lentes font les poux » (nits make lice). Avant de tomber criblé de balles, le vieux chef White Antelope avait tenté de protéger des femmes et des enfants en les rassemblant autour du drapeau blanc et de la bannière étoilée qui flottaient sur sa tente. Black Kettle, blessé, parvient à s’échapper. Les soldats massacrent avec une rare sauvagerie plus de deux cents Cheyenne dont une majorité de vieillards, de femmes et d’enfants. Les femmes sont violées et éventrées, les enfants découpés au sabre. Tous les Indiens sont scalpés et affreusement mutilés. Le chef arapaho Left Hand et les siens qui campaient avec les Cheyenne ont également trouvé la mort. Les Arapaho de Little Raven, méfiants, se sont installés le long de la rivière Arkansas. C’est ce qui les a sauvés. Les soldats ont eu neuf tués, tombés pour la plupart sous le feu désordonné des leurs.
Les vainqueurs défilent triomphalement dans les rues de Denver, brandissant les scalps et d’affreux trophées découpés sur le corps de leurs victimes. Sur la scène du grand théâtre de la ville, deux cents scalps et deux cadavres d’enfants sont présentés devant un public hurlant d’enthousiasme.
Une commission d’enquête parlementaire est constituée, car certains citoyens ont été choqués par ce qui s’est passé. L’un des deux soldats qui ont témoigné pour confirmer les atrocités est abattu en pleine rue. L’autre doit s’enfuir pour échapper au même sort. Finalement, on n’aboutit qu’à la destitution du colonel Chivington. Dans les années suivantes, Chivington dirige une entreprise de transport, puis devient journaliste. Il ne craint pas d’affirmer : « J’ai tenu bon à Sand Creek !». A sa mort en 1894, Chivington est honoré « comme un pionnier et un héros » par les habitants de Denver et par l’Eglise méthodiste. Une petite ville de l’est du Colorado porte son nom.



« Une injustice sans pareille »
Le massacre de Sand Creek est un choc terrible pour tous les Indiens des Plaines. Il leur démontre l’inutilité d’une politique de compromis. Les combats redoublent. Des Cheyenne du Nord, des Lakota viennent prêter main-forte à leurs frères du sud.
Comme une certaine accalmie règne sur le Territoire du Colorado en ce début d’année 1866, la général Sherman, en tournée d’inspection durant l’été, déclare : « Je ne vois pas comment nous pourrions trouver une excuse convenable pour déclarer la guerre aux Indiens, et Dieu sait quand nous y parviendrons ». Finalement, le haut commandement renoncera à trouver cette « excuse convenable ».
Au printemps 1867, le général Winfield S. Hancock entame une active campagne militaire. Il a choisi de concentrer ses efforts sur l’extermination des Cheyenne qui, selon lui « méritent, tout autant que les autres, une bonne correction ». Il a sous ses ordres une recrue de choix, le bientôt fameux lieutenant-colonel George A. Custer. Partant de Fort Larned, les mille quatre cent soldats pourchassent sans répit les Indiens et détruisent de nombreux villages dont, à Pawnee Creek le 13 avril, le camp de Bull Bear et Roman Nose que ses habitants viennent heureusement d’abandonner à l’annonce de l’approche des troupes. Hancock déclare voir dans cette fuite une preuve de la « traîtrise des Indiens ».
Mais l’efficacité de cette campagne cruelle et onéreuse reste faible. Voici ce qu’en disait le général Sanborn en tournée d’inspection, dans son rapport au ministre de l’intérieur : « Les opérations du général Hancock ont été tellement désastreuses pour les intérêts publics et me paraissent si inhumaines que je juge nécessaire de vous communiquer mon point de vue à ce sujet. Pour une nation puissante comme la nôtre, poursuivre une guerre contre quelques nomades disséminés qui luttent à la débandade, c’est donner un spectacle des plus humiliants, commettre une injustice sans pareille, perpétrer un crime national des plus révoltants qui doit, tôt ou tard, attirer sur nous et notre postérité le jugement de Dieu ».
Les guerriers indiens poursuivent leurs attaques contre les relais de diligences, les lignes de télégraphe qu’ils arrachent, les voies de chemin de fer dont ils tordent les rails, tentant désespérément d’endiguer l’inexorable avancée des envahisseurs.



Une réserve en Territoire Indien
Les nations des Plaines du Sud signent en octobre 1867 le traité de Medicine Lodge par lequel les Cheyenne et les Arapaho reçoivent, dans le sud du Territoire Indien, une réserve commune bordée par la North Canadian River, tandis que Comanche et Kiowa se partagent une autre réserve. Le centre administratif de la réserve cheyenne/arapaho est Darlington Agency.
La majorité des Cheyenne a rejoint la réserve, mais le traité est à peine signé que des colons s’y installent, tuant le gibier, accaparant les points d’eau, volant les chevaux des Indiens, commettant les plus graves exactions en toute impunité. Les Cheyenne connaissent bientôt les pires conditions de vie, aggravées par les maladies qui frappent particulièrement leurs enfants. L’agent de la réserve s’efforce pourtant d’obtenir la construction de bâtiments, la fourniture de matériel, d’outils destinés à améliorer la vie des Indiens, à les transformer en agriculteurs chrétiens et éduquer leurs enfants à la civilisation. Mais les rations allouées aux Indiens sont insuffisantes et l’agriculture très décevante.
Plus encore que les difficultés matérielles, c’est le sentiment de frustration, la honte de leur liberté perdue qui rongent les Indiens maintenant prisonniers des réserves, et nombreux sont ceux qui rejoignent les Dog Soldiers irréductibles, les guerriers de Tall Bull et Roman Nose qui dévastent les établissements des colons le long des rivières Solomon et Sabine. Le plus violent combat a lieu le 17 septembre 1868 à Beecher’s Island.
Sur l’Arikaree Creek, un petit affluent de la rivière Republican, les Cheyenne de Tall Bull et de Roman Nose et les Lakota de Pawnee Killer attaquent le campement des « Eclaireurs de Forsyth », une troupe d’élite formée par le major du même nom. Les soldats se retranchent dans une petite île au milieu de la rivière asséchée. Après deux charges infructueuses, les Indiens reculent sous le tir meurtrier des assiégés puissamment armés. La troisième charge est conduite par Roman Nose lui-même. Alors qu’il s’approche des retranchements ennemis, il est mortellement touché. Les Indiens décident alors d’assiéger les hommes du major Forsyth. Pendant neuf jours, les Indiens assaillent sans répit les Blancs qui se trouvent à court de vivres et de munitions. Cependant, deux hommes ont pu se glisser à travers les lignes indiennes, rejoindre Fort Wallace et ramener des renforts. A l’arrivée des secours, les Indiens quittent les lieux. S’ils n’ont eu qu’une dizaine de tués, les Indiens ont subi une perte irréparable en la personne de Roman Nose, leur plus grand chef de guerre.



Washita River
A l’aube du 27 novembre 1868, quatre ans exactement après Sand Creek, le village de Black Kettle installé le long de la rivière Washita sur la réserve cheyenne est attaqué par le 7ème régiment de cavalerie du lieutenant-colonel Custer.
Partis de Camp Supply sur la Canadian River, les éclaireurs osage de Custer ont suivi la piste de Dog Soldiers cheyenne qui reviennent d’un raid. Cette piste les conduit à un gros village situé dans la vallée enneigée de la Washita River. C’est celui du chef Black Kettle qui s’efforce depuis toujours de maintenir la paix. Il n’est pas rare que Black Kettle donne asile, plus ou moins volontairement, à des combattants indiens poursuivis par l’armée.
Black Kettle, qui veut à tout prix éviter que le cauchemar de Sand Creek ne recommence, s’avance vers les soldats pour parlementer. En vain. Au son de Garry Owen, la marche du régiment, les cavaliers de Custer chargent le village. Ils abattent les gens sortant des tipis, massacrant hommes, femmes et enfants en fuite. Black Kettle et sa femme sont abattus au moment où ils tentent de passer la rivière. Cent quarante morts gisent dans la neige. Custer fait abattre les neuf cents chevaux des Indiens.
Pourtant, les soldats ne peuvent achever leur œuvre de destruction et doivent se replier rapidement car d’importants renforts cheyenne et arapaho remontent la vallée. Vingt cavaliers conduits par le major Joel Elliot contiennent la vigoureuse contre-attaque indienne. Ils sont tués jusqu’au dernier. Les soldats de Custer emmènent plusieurs dizaines de femmes et d’enfants cheyenne qu’ils garderont prisonniers tout l’hiver à Camp Supply. A la suite du massacre de Washita, Custer passe en conseil de guerre, non pour la brutalité de son attaque, mais parce qu’il a négligé de porter secours au groupe du major Elliot tombé aux mains des Arapaho.

La pression de l’armée se fait plus forte contre les Indiens qui résistent encore. En mars 1869, les chefs Medicine Arrows et Little Robe se rendent. Tall Bull qui a succédé à Roman Nose à la tête des Dogs Soldiers décide de rejoindre les Cheyenne du Nord et les Lakota qui résistent toujours au Wyoming. Le 19 avril, un important groupe de guerriers cheyenne est intercepté à Summit Spring, au Nebraska, par les trois cents soldats du général Eugene A. Carr conduits par cent cinquante éclaireurs pawnees. Le célèbre Buffalo Bill est avec eux. Par deux fois les guerriers cheyenne repoussent les attaques, permettant aux femmes et aux enfants de fuir. Tall Bull, retranché dans un ravin avec une douzaine de guerriers tient tête pendant plusieurs heures aux soldats et aux Pawnees. Il est finalement abattu avec tous ses compagnons. Le lendemain, les soldats incendient le camp indien et tout ce qu’il contient. Les Cheyenne ont perdu plus de cinquante des leurs et le dernier de leurs grands chefs de guerre.



L’ultime résistance
Au Kansas, à partir de 1872, des équipes de géomètres commencent à arpenter le terrain en vue de l’installation des colons et de la construction de voies ferrées. Les résistants cheyenne les attaquent. Au printemps 1873, une équipe d’arpenteurs est massacrée par les Cheyenne près de Camp Supply. Des Dog Soldiers - ils sont moins de deux cents - entrent au Colorado, semant la panique. Sur la réserve cheyenne/arapaho, l’agence de Darligton est un moment menacée, du bétail volé.
Des chasseurs blancs de plus en plus nombreux pénètrent maintenant sur les réserves reconnues aux tribus signataires du traité de Medicine Lodge. Le général William T. Sherman les y encourage, voyant dans l’extermination des bisons le moyen de venir à bout des tribus qui tentent encore de vivre de la chasse et refusent d’adopter le mode de vie des Blancs. C’est avec beaucoup d’inquiétude que les Indiens voient disparaître les bisons qui constituent leur principal moyen d’existence. En juin 1874, ils décident d’attaquer le poste d’Adobe Walls, situé sur la Canadian River, quartier général d’un important groupe de chasseurs de bisons.
Dans la nuit du 26 juin, sept cents guerriers - Cheyenne, Arapaho, Kiowa, Comanche, Apache - se sont dissimulés autour du poste. L’effet de surprise doit jouer. Mais quelques instants avant l’aube, un incident tout à fait fortuit survient qui réveille les vingt-huit chasseurs présents dans le poste. Quand les Indiens lancent l’attaque, ils trouvent des défenseurs prêts à les recevoir. Ce sont des tireurs expérimentés, puissamment armés, bien protégés derrière une palissade et de solides murs d’argile munis de meurtrières, contre lesquels les charges indiennes se brisent les unes après les autres. Les Indiens atteignent le mur d’enceinte, mais sont repoussés par le tir précis des défenseurs. Le chef comanche Quanah Parker est blessé. L’un des Blancs, traversant les lignes indiennes, parviendra à rallier Fort Dodge, mais les secours n’arriveront que deux semaines plus tard. Pendant trois jours, les Indiens assiègent les chasseurs, et finalement décrochent. Ils laissent sur le terrain dix morts dont les têtes seront clouées sur les remparts du poste. Les chasseurs, qui ont perdu quatre des leurs, quittent la région. Les Indiens reviendront plus tard incendier le poste.
Durant toute l’année 1874, de petites bandes de guerriers cheyenne souvent aidés par des Arapaho, des Comanche, poursuivent leurs actions de guérilla contre les fermes, les ranchs, les convois de marchandises. Le général Philip Sheridan reçoit l’ordre de détruire tous les rassemblements indiens qu’il pourra rencontrer en dehors des réserves et de poursuivre les combattants sur les réserves mêmes si nécessaire. Plusieurs villages indiens sont ainsi détruits et leurs habitants qui n’ont pu fuir massacrés. En août, le général Nelson Miles dévaste les villages indiens à la frontière nord du Texas.
Venant de Fort Concho avec sept cents cavaliers guidés par des éclaireurs tonkawa, le colonel Ranald S. Mackenzie traque les Indiens à travers les Staked Plains du nord du Texas. Le 14 septembre, Mackenzie qui a fait torturer un Cheyenne prisonnier, apprend où se cache un important village indien. Les éclaireurs guident les soldats vers le canyon de Palo Duro, quartier général de la résistance. Mackenzie lance ses cavaliers contre le camp de tipis. Les guerriers résistent bravement à l’assaut, mais la pression est trop forte et les Indiens refluent lentement. Mackenzie ne prend pas la peine de les poursuivre. Il fait détruire toutes les provisions d’hiver des Indiens et ordonne d’abattre les deux mille chevaux.
Les Indiens ont perdu une soixantaine des leurs et la destruction du camp de Palo Duro est pour eux un coup terrible. Affamés, épuisés, les clans indiens poursuivis sans relâche par l’armée pendant tout l’hiver se rendent les uns après les autres. La résistance indienne a pris fin dans les Staked Plains.

Afin d’apaiser le ressentiment de la population blanche irritée par la résistance indienne et les déprédations qui en résultent, des dizaines de guerriers cheyenne, arapaho, kiowa, comanche qui ont été capturés au cours des divers combats sont accusés de crimes de guerre, sans qu’on puisse rien leur reprocher d’autre que d’avoir combattu. Déportés à Fort Marion en Floride, ils seront pris en main par le capitaine Pratt qui s’illustrera quelques années plus tard en créant en Pennsylvanie l’école de Carlisle pour l’éducation des jeunes Indiens.
Les combats ont pris fin dans les Plaines du Sud, mais quelques Cheyenne du Sud parviennent à rejoindre leurs frères qui résistent encore dans le nord avec les Lakota. Certains participent à la bataille de Little Bighorn du 25 juin 1876. Les autres ont du se résigner à la vie de la réserve où l’extrême misère régnera pendant de nombreuses années.



Agriculture, élevage et propriété privée
La réserve cheyenne/arapaho du Territoire Indien se prête mal à l’agriculture, un travail que les Indiens détestent. Aussi, au début des années 1880, l’agent de la réserve aide au développement de l’élevage des bovins et des chevaux, une activité qui convient beaucoup mieux aux Indiens qui connaissent aussitôt une remarquable réussite. Mais dès 1886, le nouvel agent entend rendre la priorité de l’agriculture. Une sorte de résistance passive s’organise.
Le coup fatal est porté aux tribus l’année suivante avec l’adoption par le Congrès de la loi de lotissement général des réserves indiennes, dite Loi Dawes. Il s’agit de donner une petite propriété, environ 80 hectares, à chaque « chef de famille », une notion difficile à saisir pour les Indiens. Les terres non-loties dites « en surplus » sont mises en vente auprès des colons. Comme à ce moment, la population indienne est au plus bas, on comprendra facilement qu’il y aura beaucoup de « surplus ». Ainsi, pour la réserve cheyenne arapaho, la superficie de terre restant entre les mains des Indiens se trouve divisée par huit ! L’opération de lotissement s’est faite sans l’accord de la tribu, un accord qui, même théorique, était pourtant prévu par la loi. Une forte résistance s’organise, conduite par les Dog Soldiers dont la société se maintient dans la clandestinité. Ils arrachent les piquets d’arpentage, les clôtures, menacent de mort les Cheyenne qui ont accepté leur lot, abattent leur bétail. Pourtant, le lotissement destructeur se fera inexorablement. La pression est trop forte.
En 1889-1890, c’est le fol espoir suscité par la Danse des Esprits. Cheyenne et Arapaho du Sud poursuivront les cérémonies jusqu’en 1893. Puis ils devront se résigner au nouvel ordre du monde.
En 1914, le gouvernement fédéral interdit aux Cheyenne/Arapaho la possession en commun de leur troupeau de bovins et de chevaux, estimant que l’individualisation de ces Indiens ne progresse pas assez vite. Peu à peu, les Cheyenne du Sud doivent s’adapter à leurs nouvelles conditions de vie. Ils partagent toujours avec les Arapaho des terres sous statut fédéral situées au sud-ouest de l’Oklahoma et dont la capitale est Concho.









LES CHEYENNE AUJOURD’HUI

Au sud
Il y a assez peu de choses à dire sur le présent des Cheyenne du Sud, du moins en tant que Cheyenne.
Les terres qu’ils partagent avec les Arapaho du Sud ont perdu le statut de réserve à la suite de la loi de lotissement des terres indiennes et l’ouverture des terres « en surplus » à l’installation des colons. En 1898, le « Curtis Act » avait dissout les gouvernements autonomes des nations indiennes du Territoire Indien.
Il s’agit plutôt actuellement de communautés indiennes dispersées au milieu d’agglomérations blanches. Leurs communautés ont cependant le statut de « trust lands » gérées par le Bureau des Affaires Indiennes installé à Anadarko. Ils ont conservé certains droits tribaux, en particulier des droits sur le sous-sol.
Les Cheyenne du Sud vivent principalement d’agriculture, d’élevage et des royalties provenant des mines exploitées sur leur territoire. Leur mode de vie est celui des Blancs de la région. Moins traditionalistes que les Cheyenne du Nord, ils se sont relativement bien adaptés à la vie moderne. Pourtant, il y a tout lieu de croire que des sociétés guerrières existent toujours dans une relative clandestinité, exerçant une influence occulte mais non négligeable sur la société cheyenne. Des Danses du Soleil ont lieu tous les ans à Concho, des cérémonies auxquelles se rendent certains Cheyenne du Montana.
Durant l’été se tiennent plusieurs fêtes et pow wow marqués par des danses traditionnelles et des foires à l’artisanat. La ville de Cheyenne, à l’extrême sud-est de l’état de Wyoming, abrite un « Black Kettle Museum » qui retrace l’épopée des Cheyenne du Sud à travers les tragiques événements de Sand Creek et de Washita River.
Le poète Lance Henson est un Cheyenne du Sud.






Au nord
La réserve des Cheyenne du Nord, officiellement ouverte, rappelons-le, le 26 novembre 1884, est située au sud-est de l’Etat du Montana, bordée à l’est sur la Tongue River, traversée par la haute vallée de la Rosebud River et s’appuyant à l’ouest sur la réserve crow. La capitale de la réserve est Lame Deer, un nom donné en hommage au chef minnecoujou qui avait trouvé la mort à cet endroit lors de la rencontre du 7 mai 1877 avec le général Nelson Miles, le dernier combat des Indiens des Plaines.

La terre et le peuple
La réserve, partagée entre les comtés de Rosebud et de Bighorn, compte 177 872 hectares, dont 98% sont entre les mains des Cheyenne, soit comme terres tribales, soit comme propriétés individuelles, un record absolu pour les réserves indiennes des Etats-Unis.
La constitution de la tribu adoptée en 1936 met le pouvoir entre les main d’un conseil tribal de dix-neuf membres renouvelé tous les deux ans et d’un président qui demeure quatre ans en fonction, sans élections primaires, ce qui entraîne une multiplicité de candidatures.
L’enrôlement tribal approchait les 7 000 personnes en l’an 2 000, dont environ 2 500 vivent hors de la réserve, dans les villes voisines pour la plupart. La population cheyenne est extrêmement jeune : 63% a moins de dix-huit ans, ce qui laisse espérer un taux d’accroissement rapide, une situation très prometteuse que les Cheyenne partagent avec les autres Indiens du Montana. Les Cheyenne du Nord sont parmi les moins métissés des Indiens des Etats-Unis. Environ la moitié ont au moins 50% d’ascendance cheyenne. Si l’on y ajoute les personnes issues de mariages avec des Indiens d’autres tribus, le pourcentage de « sang indien » est ici l’un des plus élevé parmi les nations indiennes. Par contre le taux de maintien de la langue tribale est relativement bas (de beaucoup inférieur à celui de leurs voisins crow) le nombre de personnes âgées étant faible.


Forêts et pâturages
Environ 30% de la réserve sont couverts de forêts, essentiellement du pin ponderosa, de faible valeur marchande. La gestion des forêts et leur exploitation conduite avec le souci de préserver la ressource, ainsi qu’une scierie (possédée et exploitée par St. Labre Mission) emploient plusieurs centaines de personnes à temps plein. Vers 1995, plus de la moitié des revenus provenant des activités commerciales de la tribu venaient de l’exploitation forestière. Mais les fréquents incendies mettent en danger les forêts tribales.
L’agriculture, peu favorisée par un climat rude et sec, n’occupe que 3% de la réserve. Les meilleures terres agricoles se trouvent le long de la Tongue où l’irrigation est possible. Le reste est laissé en prairies. La production de fourrage et l’élevage extensif des bovins sont d’importantes ressources pour les fermiers cheyenne.
Les Cheyenne n’ont pas jusqu’à présent une véritable politique de gestion de la faune sauvage. Le nombre de cerfs et d’antilopes a tendance à diminuer, la chasse n’étant pas réglementée. La pêche, à la truite notamment, se développe dans les torrents de la réserve et attire quelques touristes.


Le charbon
La difficile question de l’exploitation du charbon divise les membres de la tribu. Dans les années 1960-1970, des mines à ciel ouvert ont été exploitées sur la réserve. La tribu a profité dans une certaine mesure des revenus de ces mines qui ont cependant entraîné une redoutable pollution de l’air et des eaux, un bouleversement des paysages, une situation que déplorent les plus traditionalistes des Cheyenne qui y voient non seulement une nuisance mais surtout une atteinte à leur culture et à leur spiritualité fondées sur le respect de la terre. D’autres gisements importants existent, notamment dans la région d’Ashland, sur la Tongue, à l’est de la réserve et des propositions d’exploitation ont été faites par North American Coal Corporation. La recherche pétrolière conduite par la compagnie ARCO sur l’ensemble de la réserve n’a finalement pas abouti. Les Cheyenne redoutent de s’engager dans une nouvelle exploitation minière qui aliénerait leurs droits et serait préjudiciable à leur environnement. Ils craignent aussi que ce genre de développement n’attire sur leur réserve un afflux de Blancs, une invasion à laquelle ils ont jusque là résisté. Certains Cheyenne voient pourtant dans une exploitation maîtrisée par la tribu une solution aux problèmes de développement et de création d’emplois auxquels ils sont confrontés.
Comme les autres Indiens des Plaines, les Cheyenne connaissent un taux de chômage élevé (environ 70%) et une pauvreté généralisée. Aucune grande entreprise génératrice d’emplois n’existe sur la réserve, et c’est certainement un choix qu’ont fait les Cheyenne. L’économie met un certain espoir dans la petite entreprise, le commerce, l’artisanat. Il y a quelques belles réussites. « Morning Star Enterprise », une société créée en 1974 par Suzanne Small Trusler, construit des bâtiments tribaux aussi bien que des maisons individuelles. Employant des membres de la tribu, Morning Star étend maintenant ses activités hors de la réserve.


Tourisme
Le tourisme est peu développé, faute d’infrastructures et d’une volonté de s’ouvrir vers l’extérieur - sans doute encore la crainte de l’afflux d’étrangers. Cependant, les « Cheyenne Trailriders », une entreprise gérée par la famille Spang accueille des touristes sur son ranch et organise des randonnées équestres sur la réserve. Signalons la tenue en juin à Lame Deer du « Northern Cheyenne Pow-wow ». Egalement à Lame Deer, le musée tribal présente l’histoire et la culture cheyenne, avec une exposition vente d’objets d’artisanat fabriqués par les membres de la tribu.
La mission catholique de St. Labre installée fondée en 1884 à Ashland, outre une école privée de très bon niveau fréquentée par des jeunes Cheyenne et des Crow, possède un remarquable Musée des Indiens des Plaines qui présente de beaux objets anciens, des documents historiques de grande valeur. La mission, qui fonctionne sur des fonds privés, comporte une clinique, un centre de traitement pour alcooliques, offre des bourses d’études. La nouvelle église, d’une architecture assez contestable - elle a la forme d’un tipi de béton ! - marque probablement le désir des pères jésuites de s’ouvrir à la culture indienne.


L’éducation
L’éducation compte parmi les réussites des Cheyenne du Nord. A Lame Deer, ils ont créé « Dull Knife Memorial College », un établissement d’enseignement supérieur de bonne réputation dont les effectifs sont en constante augmentation. Comme dans tous les collèges tribaux, l’enseignement de la culture, de la langue, de l’histoire tribale donné par des Anciens, comme William Tallbull, occupe une place importante. Norma Bixby, qui a été longtemps directrice du conseil pour l’éducation indienne au Montana, dirige le collège depuis 1987.
Les Cheyenne se battaient depuis les années 1960 pour obtenir à Lame Deer l’ouverture d’une école publique de niveau primaire, alors que le nombre de jeunes Cheyenne en âge scolaire dépassait quatre cents. Les enfants cheyenne devaient aller dans des écoles hors de la réserve, Hardin, Colstrip et Busby, fort éloignées, ou bien à l’école catholique de Saint Labre. En 1984, l’école de Busby fermait faute de crédits, et la scolarisation des jeunes Cheyenne qui la fréquentaient n’était plus assurée. En 1994, les Cheyenne obtenaient gain de cause et l’école de Lame Deer, comprenant l’école élémentaire et le collège, était inaugurée dans l’enthousiasme.


« Native Action »
En 1984, l’association « Native Action » était créée par Gail Small, une nièce de John Wooden Leg qui avait présidé la nation dans les années 1950. L’association joue un rôle important dans tous les aspects de la vie matérielle, politique, sociale et culturelle des Cheyenne du Nord et des Indiens du Montana.
« Native Action » obtenait en 1991, grâce au « Community Reinvestment Act », que les banques accordent les crédits nécessaires à toutes les personnes vivant dans leur secteur d’activité, y compris celles à faible revenu, une initiative étendue aux autres réserves indiennes du Montana. Une active chambre de commerce a été créée à Lame Deer. L’association a mené plusieurs actions en justice, notamment contre les nuisances occasionnées par les mines de charbon exploitées à quelques kilomètres au nord de la réserve et contre la construction de plusieurs centrales électriques au charbon. Le rôle de « Native Action » a été déterminant dans la lutte pour l’ouverture en 1994 de l’école de Lame Deer. L’association a également obtenu du conseil tribal le vote de diverses ordonnances concernant la protection des enfants et des Anciens, la violence domestique, la sauvegarde de l’environnement.
« Native Action » organise à Lame Deer la réunion annuelle de la « Sisterhood Alliance » qui réunit les femmes des Cheyenne, des Lakota et des Arapaho, les trois tribus unies au XIXème siècle dans la lutte contre l’invasion blanche, une réunion durant laquelle les femmes confrontent leurs expériences et discutent de l’avenir de leurs peuples. En 1995, des étudiants de Lame Deer ont créé « Native Reign », un groupe de danseurs et de chanteurs qui mêle la tradition indienne et la musique moderne. Ils font des tournées à travers tous les Etats-Unis et entendent jouer un rôle de modèle pour éloigner les jeunes Indiens de l’alcool et de la drogue.


Se souvenir pour préparer l’avenir
Malgré un fort contentieux historique, les traditionalistes cheyenne ont établi des relations suivies avec certains de leurs voisins crow qui partagent les mêmes valeurs qu’eux, et la méfiance entre les deux nations s’est estompée. Les sociétés de guerriers existent toujours et des Lakota y sont toujours accueillis. Désormais, certains aspects de la société et de la religion cheyenne traditionnelles tentent de se reconstituer dans la discrétion.
Les Cheyenne n’ont pas oublié les souffrances et le courage de leurs ancêtres qui ont lutté pour que la nation cheyenne survive. En 1999 a eu lieu la première « Memorial Breakout Run », une course qui part de Fort Robinson le 9 janvier pour atteindre la réserve cheyenne cinq jours plus tard. Les Cheyenne veulent ainsi faire le parcours que n’avaient pu terminer leurs ancêtres massacrés à Fort Robinson en janvier 1879. Au moins cinq cents participants s’engagent chaque année dans la course. Beaucoup sont des Lakota, amis et frères d’armes des Cheyenne.. Durant la cérémonie de prière célébrée au départ de la course, sur le site même du massacre, le chef oglala Oliver Red Cloud déclarait le 9 janvier 2 000 : « Nous ne devrons jamais oublier ce qui s’est passé ici. C’est important pour les Cheyenne, pour les Lakota, pour tous les Indiens. Il faut que nos enfants et petits enfants comprennent ce qui est arrivé à leurs ancêtres ».
« C’est un événement majeur de l’histoire des Cheyenne du Nord. Plus notre peuple en prendra conscience, plus nous pourrons nous guérir spirituellement et ainsi retrouver notre propre estime pour ce que nous sommes aujourd’hui », déclarait Philip Whiteman, l’organisateur de la course. « Nos enfants sont à la recherche de leur identité. En participant à la course, ils sont réintégrés dans le cercle de prière et apprennent à agir au sein du groupe (...) C’est ce que nous voulons leur enseigner. C’est pour cela que nous courons ».






ENTRE LEGENDES ET HISTOIRE

L’histoire de Sweet Medicine
Sweet Medicine a marché longtemps, jusqu’au cœur de la région des Black Hills vers lesquelles un grand pouvoir semblait l’attirer. Il a fini par atteindre une montagne connue depuis par les Cheyenne sous le nom de Bear Butte. Arrivé là, il a pénétré dans un lieu qui ressemblait à un grand tipi. Des femmes âgées étaient assises d’un côté et des hommes âgés de l’autre. Ce n’était pas réellement des êtres humains, mais des Esprits. Il a vu là quatre flèches qui allaient devenir les Quatre Flèches Sacrées de la tribu cheyenne.
Les Anciens l’ont appelé petit fils et lui ont appris beaucoup de choses qu’il devrait à son tour enseigner à son peuple. Ils lui ont d’abord parlé des flèches parce qu’elles allaient devenir le plus grand pouvoir de la tribu. Deux étaient en rapport avec la chasse et deux autres avec la guerre. De nombreuses cérémonies leur seraient consacrées et elles représenteraient un grand nombre de lois. Ils lui ont enseigné la cérémonie du renouvellement des flèches qu’il faudrait célébrer chaque fois qu’un Cheyenne tuerait un autre Cheyenne. (*) Les flèches devraient être conservées par un gardien particulier dans un tipi sacré et n’être montrées qu’au cours de la cérémonie des flèches.
Sweet Medicine a appris ensuite qu’il lui faudrait donner à son peuple un bon gouvernement composé de quarante-quatre chefs, et un bon système de police et de protection militaire reposant sur quatre sociétés de guerriers : les Renards Rapides, les Wapitis, les Boucliers Rouges et les Cordes d’Arc. Il y avait tellement de choses à apprendre qu’il est resté là pendant presque quatre ans avant que les Anciens ne l’envoient porter les lois à son peuple. L’un des Anciens l’a précédé pour brûler de l’herbe douce afin de purifier l’air au moment de la sortie du sac contenant les flèches. Portant le paquet sacré dans ses bras, Sweet Medicine est retourné vers son peuple.

Extrait de « Cheyenne Memories », par John Stands In The Timber - Cité dans « La Terre pleurera » de James Wilson (Albin Michel)

* Il se peut qu’à l’origine cette cérémonie ait été un rite de purification quand un meurtre se produisait dans la tribu, une situation très rare. Cependant, dans la période historiquement connue, la cérémonie du renouveau des flèches était un rituel annuel impliquant toute la nation.





QUELQUES CHEYENNE DU PASSE

DULL KNIFE : Cheyenne du Nord.
Né vers 1810, son nom cheyenne signifie « Etoile du Matin », mais ses amis Lakota l’appelaient Dull Knife et il est connu sous ce nom.
Encore adolescent, Dull Knife montre pour son peuple un dévouement hors du commun, révélant ses qualités de futur chef. A partir de 1850, il est l’un des principaux guerriers des Cheyenne du Nord.
Dull Knife est de tous les combats que mène son peuple pour sa liberté. En 1865, après le massacre de Sand Creek, il est avec les Dog Soldiers des Cheyenne du Sud qui combattent dans les territoires du Colorado et du Kansas. Puis il revient vers le nord pour continuer la lutte aux côtés des Lakota de Red Cloud. Il est à Fort Phil Kearny où, le 21 décembre 1866, le capitaine William J. Fetterman trouve la mort. En mai 1868, il signe le traité de Fort Laramie au nom des Cheyenne du Nord. Dull Knife est à ce moment moins un chef de guerre qu’un conducteur de son peuple, désireux de la paix. Comprenant à quel point la lutte contre les Blancs est inégale, il recherchera désormais les moyens d’une coexistence pacifique avec eux et ne combattra plus que pour protéger les siens des agressions de l’armée et des milices qui s’efforcent de les exterminer.
Le 17 juin1876, Dull Knife et ses guerriers combattent sur la Rosebud River où, avec ceux de Crazy Horse, ils repoussent les soldats de Crook qui menacent un village oglala, mais Dull Knife ne participe pas personnellement à la victoire indienne sur la Little Bighorn, le 25 juin 1876, car il campait plus loin sur la rivière.
Dull Knife est pourtant considéré par le général Philip H. Sheridan comme l’un des principaux chefs hostiles. Lui et les siens sont activement poursuivis par l’armée. Le 25 novembre 1876, le régiment du colonel Ranald S. Mackenzie conduit par les éclaireurs shoshone du chef Washakie attaque le village d’hiver de Dull Knife sur Crazy Woman Creek.
Le 21 avril 1877, après un terrible hiver, Dull Knife et Little Wolf, à la tête de cinq cent cinquante quatre Cheyenne, font leur reddition au général Crook à Fort Robinson. Ils sont envoyés en Territoire Indien sur la réserve des Cheyenne du Sud où la vie est bientôt intenable pour les eux. Ils décident, au début septembre 1878, de retourner au Montana.
Poursuivis par des milliers de soldats, Dull Knife et Little Wolf conduisent vers le nord trois cent cinquante Cheyenne épris de liberté. Fin octobre, ils décident de se séparer. Tandis que Little Wolf continue sa route vers le Montana, Dull Knife, avec les plus faibles, se dirige vers Fort Robinson où il croit qu’est toujours installée l’agence de Red Cloud, comptant sur l’aide des Lakota. Appréhendée par l’armée, la troupe de Dull Knife est conduite au fort.
Le 9 janvier 1879, les Cheyenne prisonniers tentent de s’enfuir. La plupart sont abattus par les sentinelles. L’une des filles de Dull Knife est tuée. Dull Knife, accompagné de quelques femmes et enfants, dont sa belle-fille et son petit-fils, réussit à échapper aux soldats. Blessés, au dernier degré de l’épuisement, les fugitifs parviennent à Pine Ridge où les Lakota les accueillent et les cachent. A l’automne, il est permis à Dull Knife de rejoindre Little Wolf sur la rivière Tongue au Montana où les Cheyenne ont été autorisés à résider. Il y demeurera jusqu’à sa mort, en mars 1883.
Son plus jeune fils, né en 1875, était resté en Territoire Indien, jugé trop jeune pour affronter le voyage vers le nord. L’enfant qui prendra le prénom de George fera partie d’un groupe de Cheyenne ramené en 1883 du Territoire Indien vers Pine Ridge sous escorte militaire. George Dull Knife demeurera sur la réserve de Pine Ridge où il fondera une famille.
Les Cheyenne du Nord ont fait du 9 janvier une journée du souvenir durant laquelle ils célèbrent la lutte de leurs ancêtres pour leurs terres et pour leur liberté. A Lame Deer, la capitale de leur réserve, ils ont fondé « Dull Knife Memorial College ».




LITTLE WOLF : Cheyenne du Nord.
Né vers 1820, son nom est Ohkom Kakit. Il est le chef des « Bowstring Soldiers », une société de guerriers d’élite parmi les Cheyenne. Aux côtés du chef Dull Knife, il participe activement à la guerre de Red Cloud. Le 21 décembre 1866, près de Fort Phil Kearny, il fait partie, avec Crazy Horse, du petit groupe qui attire dans une embuscade le détachement du capitaine William J. Fetterman.
Avec Dull Knife, il signe le traité de Fort Laramie dès le mois de mai 1868. Grâce à la résistance des Lakota de Red Cloud, les Indiens obtiennent à l’automne l’évacuation par l’armée des forts construits le long de la piste Bozeman. Pendant que les guerriers de Red Cloud mettent le feu au Fort C.F. Smith, ceux de Little Wolf brûlent Fort Phil Kearny.
Pendant l’attaque du village cheyenne sur Crazy Woman Creek, le 25 novembre 1876, Little Wolf attire sur lui le feu des soldats pour couvrir la fuite des femmes et des enfants. Il reçoit sept blessures par balles, mais il réussit cependant à fuir et à se rétablir. Il fait sa reddition, en mai 1877, à Fort Robinson, en compagnie de Dull Knife.
Les Cheyenne sont envoyés en Territoire Indien où ils trouvent aussitôt des conditions de vie très difficiles. Au début de septembre 1878, Little Wolf décide, avec Dull Knife, de quitter la réserve et de tenter de regagner leurs terres du Montana. Ainsi commence la Longue Marche des Cheyenne. Les Indiens en fuite sont activement poursuivis par l’armée et des milices, mais réussissent cependant à passer. Après la traversée de la Platte, ils se séparent. Tandis que Dull Knife tente de rejoindre l’agence de Red Cloud, Little Wolf et les siens réussissent à atteindre la vallée de la Powder River, dans le Territoire du Montana, où ils se cachent jusqu’au printemps 1879. Ils sont alors contactés par le Cheyenne Two Moon devenu éclaireur de l’armée et convaincus de faire leur reddition. Le 27 mars 1879, Little Wolf se rend à Fort Keogh et remet ses armes au colonel Nelson A. Miles.
Little Wolf et certains de ses guerriers doivent signer un engagement comme éclaireurs dans l’armée. C’est la condition imposée pour laisser les Cheyenne vivre dans le pays de la Tongue River. La guerre ayant cessé dans les Plaines du Nord, cet engagement ne contraindra cependant pas Little Wolf et ses guerriers à combattre leurs frères.
Brisés moralement aussi bien que physiquement, Little Wolf et de nombreux Cheyenne sombrent dans l’alcoolisme et le désespoir. En 1880, alors qu’il était ivre, Little Wolf se prend de querelle avec un Cheyenne et le tue. Il s’exclut alors lui-même du conseil des chefs et vivra volontairement à l’écart de la communauté jusqu’à sa mort en 1904.





TWO MOON : Cheyenne du Nord.
L’un des plus jeunes chefs de guerre cheyenne, Two Moon combat avec les Lakota de Sitting Bull et Crazy Horse durant la campagne menée par le général Philip H. Sheridan en 1876-1877 contre les Indiens qui refusent de vivre sur la Grande Réserve créée par le traité de Fort Laramie de 1868.
En mars 1876, sur la Powder River au Wyoming, le colonel Joseph J. Reynolds attaque le camp de Two Moon qu’il a pris pour celui de Crazy Horse. Après un combat acharné, les Cheyenne réussissent à repousser les assaillants. Mais les soldats ont détruit une grande partie du village et ont capturé les chevaux des Indiens. Pourtant, durant la nuit, les guerriers cheyenne réussissent à les reprendre. Sans vivres, sans abri, avec de nombreux blessés, vont demander asile au camp de Crazy Horse. Two Moon est présent, avec un fort contingent de guerriers cheyenne, à la bataille de Little Bighorn le 25 juin 1876.
Le 27 mars 1877, après un hiver de souffrances, Two Moon et son clan se rendent au colonel Nelson A. Miles. Two Moon et ses jeunes guerriers deviennent éclaireurs dans l’armée et participent à la campagne contre les Nez-Percé, coupant la route à ceux de Chef Joseph en fuite vers le Canada. Le fait d’avoir fourni des éclaireurs à l’armée évitera au clan de Two Moon la déportation en Territoire Indien.
Au début de mars 1879, Two Moon rencontre le Little Wolf et ses compagnons qui viennent d’atteindre le Montana après leur dramatique évasion du Territoire Indien où ils avaient été déportés. Il les persuade de faire leur reddition à Fort Keogh, au Montana.
Two Moon passe le reste de sa vie sur la réserve cheyenne du Montana. Il participe en tant qu’informateur à la rédaction de plusieurs ouvrages historiques, en particulier sur la bataille de Little Bighorn. Il meut en 1917 à l’âge de soixante-dix ans.
* Two Moon ne doit pas être confondu avec son oncle dit « Two Moon l’Ancien » qui avait activement participé la campagne de 1865-1868, conduite par le chef lakota Red Cloud pour s’opposer à la construction de la piste Bozeman.





BLACK KETTLE : Cheyenne du Sud
Durant ses jeunes années, Black Kettle (Motavato), né vers 1805, fait une honorable carrière de guerrier. Sa sagesse, sa modération, son éloquence font de lui une voix écoutée durant les conseils que tient la tribu. Au début des années 1860, il se fait l’avocat d’une politique de paix vis-à-vis des Blancs, la seule à ses yeux capable de sauver son peuple de l’extermination. En 1863, il se rend à Washington avec les chefs cheyenne White Antelope, Lean Bear et Yellow Wolf qui partagent ses idées, où il rencontre le président Lincoln.
Dès le printemps 1864, le gouverneur du Territoire du Colorado, John Evans, a constitué une milice ouvertement destinée à tuer des Indiens, placée sous les ordres du colonel Chivington. En juin, le chef Lean Bear, l’un des amis les plus proches de Black Kettle, est assassiné par des soldats placés sous les ordres de Chivington.
Black Kettle, avec White Antelope et Bull Bear, continue cependant à préconiser la paix. Fin septembre, les chefs pacifistes rencontrent à Camp Weld le gouverneur Evans qui leur conseille de s’installer pour l’hiver à Sand Creek et les assure de la protection de l’armée. Pourtant, le 29 novembre, c’est l’affreux massacre des Cheyenne et des Arapaho pacifiques par les troupes du colonel Chivington, auquel Black Kettle, blessé, échappe cependant. Les résistants cheyenne, les Dog Soldiers en particulier, rendent responsable Black Kettle du massacre, provoqué, selon eux, par son lâche et stupide pacifisme. Demeuré malgré tout partisan de la paix, Black Kettle est en 1867 l’un des signataires, pour les Cheyenne, du traité de Medicine Lodge par lequel les Cheyenne du Sud acceptent de se retirer sur une réserve du Territoire Indien. A l’automne 1868, Black Kettle, avec d’autres chefs pacifistes cheyenne et arapaho, se rend à Fort Cobb pour assurer le colonel William Hazen des intentions pacifistes de ceux qui le suivent. En novembre, Black Kettle et les siens campent dans la vallée de la rivière Washita, sur la réserve cheyenne/arapaho. Mais il a du donner asile à un groupe de Dog Soldiers recherché par l’armée, et c’est ce prétexte que prend le lieutenant colonel George A. Custer pour attaquer le campement cheyenne à l’aube du 27 novembre. Black Kettle trouvera la mort, alors qu’il s’avançait pour tenter d’arrêter l’attaque et éviter que ne se reproduise l’horreur de Sand Creek, quatre ans plus tôt.




REFERENCES

* « The Cheyenne Indians » et « The Fighting Cheyenne » par George Bird Grinnel (1915-1922), sur la culture cheyenne et les combats qu’ils ont menés au XIXème siècle. (probablement non traduit en français)
* « Enterre mon cœur à Wounded Knee », par Dee Brown (Editions Stock ), traitant de la résistance des Indiens des Plaines entre 1860 et 1890.
* « Le Dernier Espoir », par Howard Fast (Titre original « The Last Frontier ») paru en français aux Editions Hachette dans les années 1950 et probablement épuisé. C’est le récit très complet et particulièrement poignant de la Longue Marche des Cheyenne du Nord entre le Territoire Indien et leurs terres du Montana.
* « Nous, les Dull Knife », par Joe Starita (Albin Michel) - L’histoire d’une famille cheyenne/lakota dont l’ancêtre est le chef Dull Knife.
* « Histoire des Indiens des Etats-Unis » par Angie Debo (Albin Michel) - Parue en 1970, l’une des meilleures histoires écrites sur le sujet, particulièrement sur la période moins connue du XXème siècle.

2003 – Monique Boisson

Crow

LES CROW



PREFACE

Le peintre et voyageur George Catlin écrivait en 1832 : « Les Indiens qui habitent la région du Haut Missouri ont indubitablement la plus belle prestance et les plus belles tenues de tous leurs congénères du continent nord-américain. Ils vivent dans une région où abondent bisons et chevaux sauvages qui leur procurent un genre de vie sain et aisé. L’air y est pur, ce qui leur assure bonne santé et longévité. De tous les Indiens que j’ai rencontrés, ce sont les plus indépendants et les plus heureux. Ils vivent tous entièrement à l’état de nature et, en conséquence, ils sont beaux et agréables à regarder au-delà de toute description ». Il ajoutait : « Parmi ces tribus, les Crow arrivent peut-être en premier et personne ne saurait apprécier sans les avoir vus dans les contrées qui sont les leurs, l’élégance et le goût avec lesquels certains de ces gens s’habillent ».

J’étais complètement fasciné par la vie de ce grand village de tipis, par les couleurs, la gaieté, la bonne volonté et la gentillesse que je rencontrais partout. [….] J’avais dessellé mon cheval et j’avais posé ma cartouchière, ma carabine et mes jumelles sur ma selle, et j’étais parti visiter le village, abandonnant mon équipement au beau milieu de ce campement de plus de trois mille Indiens. [….] Ma carabine, mes munitions et mes jumelles représentaient une fortune pour un Indien crow, mais on ne m’a pas volé une seule cartouche. (Les Crow) sont riches de tout ce dont un Indien a besoin pour être heureux. Ils portent de magnifiques vêtements à l’ancienne mode, faits de peaux et décorés de perles, de piquants de porc-épic et de queues d’hermine. [….]
On voyait partout de la viande en train de sécher. Tout le monde était insouciant et joyeux. [….] Toute la vie d’une nation indienne se déroulait devant nos yeux. Ici, le chef suprême recevait des ambassadeurs envoyés par une autre tribu. Là, le son des tambours rassemblait les guerriers pour une danse de guerre présageant une expédition contre les Sioux. Là-bas, un shaman s’occupait d’un blessé au son d’un tambour et d’un hochet. Plus loin, une nombreuse assistance entourait deux lanceurs de javelot qui s’efforçaient de faire passer leurs armes au travers d’un anneau. Les paris allaient bon train, certains Indiens jouant tout ce qu’ils possédaient. Le perdant acceptait sa défaite sans un battement de cil, sans contester. Plus loin encore, une foule tout aussi nombreuse assistait à une course de chevaux où s’alignaient vingt cinq cavaliers ».
C’est ainsi que le lieutenant Hugh L. Scott décrit le village qu’il a visité au printemps 1877, quand les Crow menaient encore leur vie traditionnelle, une société heureuse, libre, dynamique, riche d’un merveilleux pays où abondait, pour peu de temps encore, tout ce dont elle avait besoin pour vivre et prospérer.







HISTOIRE DU PEUPLE CROW

LES ORIGINES

D’où venait donc ce peuple crow qui avait si fort impressionné par sa beauté et son courage les voyageurs au XIXème siècle ?
Comme la plupart des peuples indiens des Plaines du Nord, les Crow sont originaires de la région des Grands Lacs où, jusqu’au XVIIème siècle, ils ne forment qu’un seul peuple avec les Hidatsa. Les Crow/Hidatsa vivaient dans l’actuel Minnesota, tirant leur subsistance de la cueillette, de la pêche dans les nombreux lacs et rivières, et de la chasse aux cervidés dans les forêts, organisant occasionnellement des chasses au bison dans les prairies. A cette époque, ils cultivent le maïs, la courge, le haricot, le tournesol et le tabac, et habitent des villages sédentaires faits de vastes huttes rondes recouvertes de terre. Ils sont au contact des ancêtres des « Sioux », des Mandan, des Winnebago, des Iowa et autres peuples de langue siouane.
Dès le milieu du XIVème siècle, un petit groupe appelé Awatixa s’éloigne vers l’ouest et commence à fréquenter la vallée de la Knife River, un affluent du Missouri, dans la partie centrale de l’actuel Etat du Dakota du Nord. Au XVème siècle, ils s’y sont complètement installés, construisant leurs villages sur les berges des cours d’eau et s’adonnant toujours à l’agriculture. La chasse au bison devient pour eux prépondérante.
Au XVIème siècle, ils ont encore progressé vers l’ouest. Ils sont à ce moment au confluent de la rivière Yellowstone avec le Missouri, à la limite orientale de l’actuel Etat du Montana. Semi-nomades, ils vivent à la saison des chasses sous des abris démontables en peau de bison, l’ancêtre du tipi, hivernant dans des villages de huttes. La chasse et la cueillette assurant l’essentiel de leur alimentation, ils ne cultivent plus que le tabac, utilisé à des fins cérémonielles. Les femmes récoltent les nombreuses plantes comestibles qui poussent dans les Plaines et les hommes chassent le bison et l’élan à pied, poussant les troupeaux vers des falaises d’où ils les précipitent ou les dirigeant vers des enclos où ils les abattent.
Les Awatixa abandonnent la vallée du Missouri et, progressant vers le sud, ils s’installent le long de la rivière Yellowstone et de ses affluents, la Tongue, la Powder et le Little Missouri, et atteignent ainsi le nord du massif des Black Hills. A ce moment, ils se heurtent aux Shoshone venant de l’ouest, mais entrent en relations pacifiques avec les Kiowa qui occupent les Black Hills. Les Awatixa prendront le nom de « Crow de la Montagne ».
Au début du XVIIème siècle, à la suite d’un différent, un autre groupe se sépare des Hidatsa, installés près de Devil’s Lake, dans l’est de l’actuel Etat du Dakota du Nord. Remontant le Missouri, ils s’installent au confluent avec la Yellowstone, construisant leurs villages sur les rives du fleuve, comme l’ont fait leurs frères awatixa un siècle avant eux. Ils seront connus comme les « Crow de la Rivière » et garderont encore longtemps des contacts avec les Hidatsa demeurés plus à l’est.
C’est probablement au début du XVIIIème siècle que les Crow de la Montagne troquent des chevaux auprès des Shoshone et des Nez Percé qui les tiennent eux-mêmes des tribus du sud. Les Crow de la Rivière les acquièrent à leur tour. Le cheval, acheté ou volé, se répand rapidement parmi les nations indiennes – Cheyenne, Lakota, Arapaho – qui affluent vers les Grandes Plaines.



UN PEUPLE DES GRANDES PLAINES

L’introduction du cheval va profondément modifier la vie des chasseurs/cueilleurs des Plaines. Avec le cheval, les déplacements des personnes et des biens deviennent beaucoup plus rapides et aisés. La chasse est plus facile et sélective, les Indiens n’abattant que le nombre de bêtes qui leur est nécessaire. L’activité guerrière s’accroît grâce à la facilité des déplacements, sans être forcément plus meurtrière, car la capture de chevaux chez l’ennemi, qui demande adresse et courage, tend à remplacer les combats. Les Indiens délaissent définitivement les villages sédentaires pour vivre toute l’année sous des tentes en peau de bison facilement déplaçables avec l’aide des chevaux et connues sous le nom sioux de « tipi ». Les tipis crow sont les plus grands et les mieux construits des Plaines. Se déplaçant sur de vastes territoires dont ils exploitent judicieusement les ressources, ils suivent les migrations des troupeaux de bisons et d’élans, remplaçant leur ancienne agriculture par la cueillette des plantes sauvages. Les Crow sont les seuls à continuer à cultiver le tabac qu’ils utilisent à des fins cérémonielles.

Au XVIIIème siècle, Crow de la Rivière et Crow de la Montagne ont entre eux des relations étroites, s’identifiant comme les enfants de « l’Oiseau au Gros Bec » - Absaroka. L’expression a été traduite par « Corbeau » (Crow) par les autres Indiens ainsi que par les Blancs, mais sa signification réelle a été perdue.
Les Crow de la Montagne, ceux qui vivent dans la partie nord des Black Hills, sont, à partir de 1760, aux prises avec les Lakota, nombreux et agressifs, qui arrivent de l’est. Pour tenter de résister, ils s’allient aux Kiowa, une tribu amie avec laquelle ils partagent le massif. Mais, après une courageuse résistance, les Crow de la Montagne doivent abandonner leurs collines verdoyantes et leurs belles vallées aux Lakota et rejoindre leurs frères vivant plus au nord, ne formant plus qu’un seul peuple avec eux. A partir de ce moment, le territoire crow est centré sur les Big Horn Mountains et la vallée de la Bighorn. Il est bordé au nord par la rivière Yellowstone et s’appuie à l’ouest sur Absaroka Range, descendant en pente douce vers l’est en direction de la Powder River, leur frontière avec les Lakota, un superbe pays riche et varié que les Crow vont tout faire pour préserver.
L’usage du cheval permet l’exploration sur de longues distances, le contact avec d’autres peuples, l’intensification des échanges commerciaux. Les Crow font du troc avec les Flathead, les Nez Percé et même les Shoshone et les Ute qu’ils combattent à l’occasion. Ils continuent à fréquenter leurs amis kiowa qui, repoussés par les Lakota maintenant alliés aux Cheyenne, se sont éloignés vers le Colorado et les Plaines du Sud.
Les Crow deviennent d’importants partenaires commerciaux pour les marchands de fourrure, souvent des Français, installés au poste de traite de Fort Union, au confluent du Missouri et de la Yellowstone. Une compétition s’installe entre les tribus indiennes qui tiennent à échanger avec les marchands de fourrures auprès desquels les hommes acquièrent des armes, des outils, de l’alcool, ainsi qu’étoffes, perles, miroirs et ustensiles divers convoités par les femmes. Jusqu’au milieu du XIXème siècle, les contacts des Crow avec les Blancs demeurent sporadiques et, à de rares exceptions près, pacifiques. En 1825, les Crow ont conclu avec les Blancs un traité d’amitié, une sorte de pacte de non agression.
Au début du XIXème siècle, les Crow sont environ huit mille. En 1825, puis à nouveau en 1845, des épidémies de variole, apportées par des trappeurs blancs et des marchands de fourrures, touchent durement les Crow des Big Horn Mountains. En 1837, la terrible épidémie de variole qui devait presque entièrement détruire les Mandan et les Hidatsa anéantit les villages crow du Missouri et de la Yellowstone. Moins de trois mille Crow survivront.



« NOUS VOULIONS PRESERVER NOTRE BEAU PAYS »

DEUX TRAITES DE PAIX
De l’or est découvert dans le nord de la Californie en 1848. Aussitôt, les convois de pionniers affluent vers l’Ouest, en particulier le long de la piste de l’Oregon. Les incidents entre Crow et colons ne sont pas rares. Beaucoup de ces pionniers, des fermiers, peu désireux de tenter l’aventure en Californie, s’installent sur place, occupant les terres indiennes, faisant fuir le gibier. Le reflux de certaines tribus repoussées par les Blancs commence à menacer le territoire crow. Les bisons, les élans se font plus rares sur le territoire lakota, entre le Missouri et les Black Hills. A la fin des années 1850, les Lakota chassent en compagnie des Cheyenne jusque dans la vallée de la Powder River, à la limite orientale du territoire crow. Pour des raisons analogues, les Blackfeet Piegan les menacent par le nord. La situation devient difficile pour la minuscule nation crow, pressée de toutes parts. L’équilibre qui s’était créé au cours des siècles entre les nations indiennes est profondément bouleversé par l’invasion blanche.

En 1851, les Crow signent, comme toutes les nations des Plaines du Nord, le premier traité de Fort Laramie. Les représentants du gouvernement ont convoqué les chefs afin de définir un territoire pour chaque tribu. L’intention première est de protéger le passage des immigrants vers l’Ouest. Le gouvernement affiche aussi son désir d’instaurer la paix entre les tribus, mais son but inavoué est d’exercer sur elles un contrôle.
Les Crow se voient reconnaître un territoire bordé à l’est par la Powder River qui les sépare des Lakota, au nord par la Musselshell River, un affluent du Missouri, à l’ouest par les Absaroka Range, au sud par la Wind River. Cela correspond à leur territoire traditionnel, légèrement amputé à l’est par le déplacement récent des Lakota. Pourtant, les Crow, comme les autres Indiens, ressentent cette démarcation comme une atteinte à la liberté de mouvement et d’échanges qu’ils avaient toujours connue, comme une emprise des Blancs sur leur destinée. Par le traité, les Américains obtiennent des Indiens, moyennant des indemnités en nature, qu’ils laissent les convois de pionniers traverser librement leur territoire.
En 1865, la piste Bozeman, une branche de la piste de l’Oregon, est ouverte en direction des mines d’or du Montana. Défendue par des forts, elle passe entre les Black Hills et la vallée de la Powder River, à travers les meilleurs territoires de chasse des Lakota et des Cheyenne qui s’y opposent vigoureusement. C’est le début de la guerre dite « de Red Cloud ».
Les Lakota tentent d’obtenir l’alliance des Crow. Red Cloud en personne se rend chez eux et harangue les jeunes guerriers sur la nécessité pour les tribus de s’unir pour s’opposer à l’avance des Blancs. Beaucoup sont tentés de le suivre et certains l’ont fait. Chez les Indiens, chacun a le choix de sa vie. Mais les chefs crow refusent d’engager la tribu, voulant demeurer à l’écart du conflit et espérant s’attirer la bienveillance des Blancs pour avoir refusé de les combattre. C’est désormais une politique que les Crow font constamment soutenir : demeurer en bons termes avec les Blancs afin de protéger leur pays.

En 1868, ils signent le second traité de Fort Laramie. L’amitié qu’ils montrent aux Blancs est bien mal récompensée. Les Crow perdent toutes leurs terres du sud, celles qui leur avaient été reconnues en 1851 dans le territoire du Wyoming. Ils perdent également toutes celles comprises entre la Musselshell River et la Yellowstone qui devient leur nouvelle frontière nord.



LA RESERVE
Dès le début des années 1870, fermiers, éleveurs et spéculateurs fonciers accusent le gouvernement d’avoir favorisé les Crow en leur accordant beaucoup trop de terres. Les élus du Territoire du Montana réclament une importante réduction des terres crow. La pression s’accroît quand de l’or est découvert à Clark Fork, sur la rivière Yellowstone. Pour accéder à la mine, une ligne de chemin de fer doit être construite à travers la partie nord de ce qu’il faut appeler maintenant la « réserve crow ». Il faut toute l’influence de chefs prestigieux comme Medicine Crow, Pretty Eagle, Old Dog pour que l’intégrité du territoire soit préservée. Mais cela a un prix : l’engagement des Crow aux côtés de l’armée américaine dans sa lutte contre les tribus rebelles.
Un agent indien, c’est-à-dire un représentant du gouvernement chargé de surveiller la tribu et de la mettre sur « la voie de la Civilisation », s’installe dans l’est de la réserve. Les Crow sont fortement incités à occuper la partie orientale de la réserve, une région moins montagneuse, plus propice à l’agriculture et où ils sont aussi plus facilement contrôlés par l’armée et l’administration.
Tandis qu’une partie de la tribu se retire dans les Big Horn Mountains et demeure neutre, en s’efforçant de préserver son mode de vie, des Crow sont engagés comme bûcherons, constructeurs, courriers pour l’armée. Durant la guerre que mènent les Lakota, Cheyenne et Arapaho jusqu’en 1877 pour la défense de leur territoire, les Crow fournissent des éclaireurs à l’armée. Questionné sur la raison de cette attitude, le chef Plenty Coups répondra : « Ce n’était pas par amitié pour les Blancs, ni même par haine des Sioux, c’était seulement parce que nous voulions préserver notre beau pays ».



DES ECLAIREURS POUR L’ARMEE
Des scouts shoshone et crow, dont le chef Plenty Coups, sont avec le général George Crook le 17 juin 1876 à la bataille de la Rosebud où les guerriers cheyenne et oglala conduits par Crazy Horse repoussent les soldats.
Ce sont des éclaireurs crow qui, au matin du 25 juin, découvrent l’immense camp indien sur les rives de la Little Bighorn et avertissent le lieutenant colonel George A. Custer. Devant l’importance des forces ennemies, les Crow déconseillent d’attaquer et, pour impressionner Custer, ils s’assoient sur le sol, tirent leur couverture sur leur tête et commencent à chanter leur chant de mort. Custer les traite de femmes et décide de passer outre. Au moment de l’attaque, Custer renvoie les éclaireurs crow qui assisteront du haut d’une colline à l’anéantissement du 7ème de cavalerie. C’est Curly, l’un de éclaireurs, qui rapportera la nouvelle du désastre. Les éclaireurs guidaient l’armée sur la piste des Indiens ennemis, mais n’étaient pas tenus de participer aux combats. Les Indiens engagés aux côtés de l’armée gardaient toujours leur autonomie de mouvement et de décision. Parfois, en soutien à l’armée, un parti de guerriers crow harcelait les Sioux, mais en combattants libres et non en supplétifs, une subordination que les guerriers n’auraient pas acceptée. Furieux de l’aide que les Crow apportent à l’armée qui les combat, Lakota et Cheyenne attaquent les Crow jusque sur leur réserve.
Le 17 décembre 1876, cinq oglala arrivent devant Fort Keogh pour négocier avec les officiers du fort. Les parlementaires, sans armes et portant un drapeau blanc, se présentent au poste installé en dehors du fort, tenu par des éclaireurs crow. Quelques jours plus tôt, dans une attaque menée par des Oglala contre un camp crow, une femme a été tuée. Son mari est justement parmi les éclaireurs. Ivre de vengeance, il se jette sur les parlementaires. Ses compagnons l’imitent, et les cinq Lakota sont tués.
En juin 1877, les Nez Percé qui suivent Chef Joseph quittent l’Oregon, fuyant l’enfermement dans la réserve de Lapwaï en Idaho. Les Crow sont depuis toujours les alliés des Nez Percé contre les Cheyenne et les Lakota. Pourtant, des éclaireurs crow suivent l’armée du général Howard qui traque les fugitifs.
Début septembre, le chef nez percé Looking Glass qui compte beaucoup d’amis parmi les Crow, se rend auprès d’eux pour les supplier de donner asile à son peuple à bout de forces. A la suite d’une dramatique entrevue, les Crow refusent, la mort dans l’âme. Ils ne veulent pas perdre le bénéfice de leur politique d’amitié avec les Américains et leur donner un prétexte pour réduire leur territoire. Certains Crow considèreront ce refus inhumain comme une tache à leur honneur.
Au printemps 1877, Lakota, Cheyenne et Arapaho ont fait leur reddition. Crazy Horse meurt en septembre. Les Nez Percé se rendent en octobre. Les Plaines sont « pacifiées », les combats ont cessé, et les Crow n’ont plus à redouter les attaques de leurs ennemis indiens. Mais d’autres périls plus grands les menacent.



ASSIMILATION
En 1880, les principaux chefs crow – Medicine Crow, Plenty Coups, Pretty Eagle, Iron Bull – sont convoqués à Washington pour entériner une importante cession territoriale. Les Crow perdent les Beartooth Range, au nord des Absaroka Mountains, la partie occidentale et montagneuse de leur réserve qui est ouverte aux prospecteurs et où doit passer une branche du « North Pacific Railroad ». C’est dans ces montagnes que beaucoup de Crow s’efforçaient encore de vivre de la chasse et de la cueillette, déplaçant leurs tipis et leurs troupeaux de chevaux à la manière traditionnelle. Le gouvernement les incite à nouveau à s’installer dans la partie est de la réserve et à se mettre pour de bon à l’agriculture. Il est demandé aux chefs de « donner le bon exemple ». En 1883, Plenty Coups et Pretty Eagle dirigent les premières plantations de pommes de terre et le fauchage de plusieurs hectares de foin.
En 1884, comme les Crow mettent une évidente mauvaise volonté à suivre les conseils de l’administration, le nouvel agent de la réserve organise, avec l’aide de l’armée, le transfert vers l’est des communautés crow qui s’obstinaient à vivre dans l’ouest, autour de Pryor Creek, la terre des légendes, le pays des rêves, où le Fils du Soleil combattait les monstres. Les Crow vivent cela comme une déportation, la fin de ce qui subsistait de leur vie traditionnelle. L’agent indien installe son quartier général sur la Little Bighorn, à quelques kilomètres du site de la célèbre bataille, à un endroit qui prend le nom de Crow Agency.
Les pressions se font plus fortes pour que les Crow envoient leurs enfants à l’école de l’agence et pour qu’ils fréquentent les églises ouvertes par les missionnaires et se fassent baptiser. Il serait faux de dire qu’ils y sont forcés. Le gouvernement feint de croire qu’il suffit de fournir aux Indiens des opportunités et des incitations pour que l’intérêt que présente pour eux la civilisation leur apparaisse et qu’ils abandonnent leurs « coutumes barbares ». Le gouvernement attend des Crow, « amis de l’homme blanc », qu’ils marquent un enthousiasme particulier à se civiliser. En 1886, deux nouvelles écoles sont ouvertes, à Pryor et à Saint Xavier. Les Crow sont très réticents à y envoyer leurs enfants. Ils redoutent qu’ils y oublient leur langue, ce qui est justement la raison d’être des écoles pour les Indiens. Ces écoles sont fréquentées presque uniquement par des orphelins, nombreux, dont l’agent est le tuteur légal. Dans les années 1890, des jeunes Crow sont envoyés dans des internats à Lawrence au Kansas, à Carlisle en Pennsylvanie, à Chemawa en Oregon. Beaucoup y mourront de maladies, de mauvais traitements et de désespoir.



UNE RESISTANCE SILENCIEUSE
En août 1886, on apprend que Sitting Bull, accompagné d’une centaine de Hunkpapa, vient rendre visite à ses « amis crow ». Le chef hunkpapa était apparemment attendu par des Crow qui avaient pris secrètement contact avec lui. L’agent Williamson qui gouverne la réserve crow télégraphie à Fort Custer pour demander que l’armée intercepte les Lakota, mais il n’obtient pas de réponse.
Sitting Bull et sa suite de guerriers arrivent sur la réserve à la mi-septembre, sans que l’agent puisse endiguer l’enthousiasme de la population crow qui se presse pour l’accueillir. Les Hunkpapa se rendent directement sur le site de Little Bighorn où, dix ans plus tôt, les Lakota et leurs alliés ont anéanti le 7ème régiment de cavalerie guidé par des scouts crow. En présence d’un journaliste de la « Gazette de Billings » qui racontera l’événement, Sitting Bull visite longuement le champ de bataille. Devant le monument érigé à la mémoire de Custer et de ses compagnons, il déclare à ses hôtes : « Regardez ce monument. Cela montre de quoi notre peuple est capable ». Par « notre peuple », il faut certainement entendre « nous, les Indiens, tous les Indiens ». Puis il ajoute : « Voyez comment les Blancs nous traitent. Nous sommes retenus au camp et obligés de travailler comme des esclaves, alors que nous devrions pouvoir chevaucher librement et vivre de manière agréable ». Sitting Bull promet de revenir au printemps suivant. L’impact causé par la visite du prestigieux chef lakota est énorme. Les opposants crow à l’assimilation et à la politique conduite par leurs principaux chefs se découvrent, plus nombreux et déterminés que ne le pensait l’agent Williamson.
A ce moment, des arpenteurs sont à l’œuvre sur la réserve, préparant le partage des terres tribales en propriétés privées, selon le projet de loi déposé devant le Congrès par le sénateur Dawes et que les « Amis de l’Indien » et autres philanthropes espèrent bien faire voter « pour le bien de l’Indien ». On ne doute pas que les Crow, fidèles alliés des Blancs, n’acceptent avec enthousiasme cette disposition qui va dans le sens de la civilisation. Pourtant, quand les chefs crow sont invités à s’exprimer sur le sujet, une vive opposition se fait jour, même chez ceux qui, comme le chef Spotted Horse, semblaient résignés à tout accepter. Il est évident que Sitting Bull leur a ouvert les yeux sur les véritables intentions des Blancs – s’emparer de leurs meilleures terres et casser leurs liens tribaux – et les a incités à la résistance. Il faudra plus d’une année de pressions et de menaces pour que les Crow se résignent aux conséquences de la loi Dawes, adoptée en février 1887 par le Congrès, et acceptent leurs lots individuels.
L’année 1887 va connaître le dernier combat des traditionalistes, peut-être l’unique bataille qu’aient menée des guerriers crow contre l’armée des Etats-Unis. C’est la révolte de Sword Bearer. (voir chapitre suivant)
En 1891, les Crow perdent une belle région de pâturages entre Rock Creek et Stillwater Creek, convoitée par les éleveurs blancs. En 1904, une dernière cession leur retire la partie nord qui touche à la Yellowstone. C’est la « Crow Ceded Strip ». Entre 1905 et 1919, conséquence des dispositions de la loi Dawes sur les terres dites en surplus, une partie de la réserve crow est ouverte aux colons. En 1920, la tribu réussit cependant à sauver les terres non loties qui lui restent en décidant de les répartir entre ses membres dont le nombre a fortement augmenté.
Pressés de toutes parts par les éleveurs qui convoitent leur terres, les conseillers agricoles, les missionnaires, les éducateurs de toutes sortes qui veulent les civiliser, et le monde qui change autour d’eux, les Crow ont, en ce début du XXème siècle, perdu tout espoir de sauvegarder ne serait-ce qu’une parcelle d’indépendance. Repliés sur la communauté, leur identité tribale, la sphère familiale, le seul combat qu’ils pourront mener désormais sera de préserver en secret leur culture, leur langue, leur mémoire, une résistance silencieuse, obstinée, efficace. On peut dire qu’ils y ont assez bien réussi. Les Crow comptent actuellement parmi les plus traditionalistes des Indiens d’Amérique du Nord.



SWORD BEARER, LE DERNIER GUERRIER
Pour les Crow, l’année 1887 allait être marquée par un drame.
La visite de Sitting Bull en septembre 1886, durant laquelle le chef lakota avait incité les Crow à résister aux ordres de l’administration blanche, avait créé une vive émotion, une résurgence du traditionalisme. Elle avait révélé des oppositions qui ne demandaient qu’une occasion pour s’exprimer.
Durant le printemps et l’été 1887, d’âpres discussions se déroulent entre les chefs crow et l’administration des affaires indiennes à propos de la location à des éleveurs blancs de pâturages sur la réserve. Certains chefs s’opposent par principe à autoriser tout empiètement de colons sur la réserve. D’autres exigent d’avoir au moins la possibilité de choisir leurs bailleurs. Une résistance passive, une indiscipline généralisée qui préoccupent beaucoup l’agent Williamson, règnent sur la réserve en cet été 1887.
A cette époque, beaucoup de jeunes Crow connaissent des problèmes d’intégration sociale et des préoccupations d’ordre psychologique, un souci de leur propre identité qui va les pousser à vouloir changer l’avenir sombre auquel ils sont promis.
Comment un jeune Crow peut-il espérer démontrer son courage, ses qualités viriles, voire ses capacités de leader, comme ses ancêtres l’ont toujours fait, maintenant que la guerre, la chasse, les relations normales entre tribus, n’existent plus ? Les ennemis indiens traditionnels sont eux-mêmes parqués sur des réserves, les Plaines sont vides de bisons, la Danse du Soleil durant laquelle les jeunes gens montraient leur courage est interdite, tout comme les Quêtes de Vision qui donnaient un sens à leur vie. Les longues chevauchées à travers les Plaines que les jeunes hommes et les jeunes femmes crow aimaient tant sont considérées par l’agent comme une perte de temps et une persistance de la « sauvagerie ». Les Crow sont incités à diminuer leurs troupeaux de poneys de chasse pour les remplacer par des chevaux de labour. Les récits des exploits passés enflamment l’imagination des jeunes et leur désir de se distinguer. C’est là une grave préoccupation pour les hommes qui ont des fils en âge de faire leurs premières armes. Toutes les tribus captives ont ce souci. Il est rapporté que, dans les années 1880, des pères lakota prenaient secrètement contact avec des hommes d’autres tribus qui se trouvaient dans le même cas, afin que leurs fils participent mutuellement à quelque action d’éclat, même arrangée.
En juin 1887, alors que la crainte de l’avenir étreint la tribu, des Cheyenne invitent de jeunes Crow à participer à la Danse du Soleil qu’ils doivent tenir en un lieu discret de leur réserve de la Tongue qui borde à l’est la réserve crow. Enchantés de cette occasion qui leur est offerte, les jeunes gens répondent à l’invitation de leurs anciens ennemis. Les Crow ont naturellement à cœur de faire honneur à leur nation en montrant leur courage. Leur participation à la Danse du Soleil, que les Cheyenne appellent la Cérémonie du Renouveau de la Vie, est très remarquée, surtout celle d’un garçon portant le nom peu glorieux de Wraps Up His Tail. Le jeune homme n’a pas encore eu l’occasion de se faire un nom de guerrier, un nom d’homme. Cette occasion, les Cheyenne la lui offrent. Pour célébrer le grand courage qu’il a montré durant l’épreuve, ils lui donnent un sabre pris onze ans plus tôt sur le champ de bataille de Little Bighorn et lui attribuent le nom flatteur de Sword Bearer.

Quelques jours plus tard, des Brûlé venant de la réserve de Rosebud, au Dakota du Sud, se présentent à la frontière orientale de la réserve crow. Ils ont reçu de leur agent l’autorisation de se rendre au Montana et ils sont attendus par les Crow.
A la fin des années 1880, l’administration favorise les relations entre Indiens qui, à cette époque, sont censés être « sur la voie de la civilisation » et « avoir renoncé à leurs moeurs barbares ». L’agent Williamson, qui a moins d’illusions, déclare : « Cette visite va signifier deux ou trois semaines de danses, de peintures de guerre et de plumes ». Ce n’est évidemment pas pour discuter agriculture ou s’entretenir des beautés du christianisme que les anciens adversaires se rencontrent, mais plutôt pour se souvenir du bon temps d’autrefois.
Quand des soldats et des policiers crow veulent refouler les visiteurs lakota à Reno Crossing, une foule de jeunes Crow, dont Sword Bearer et ses amis, se rassemble pour exiger que leurs hôtes soient autorisés à entrer. L’agent cède pour éviter une confrontation.
La visite des Brûlé, succédant à celle de Sitting Bull qu’ils ont suivie avec passion, la Danse du Soleil à laquelle ils viennent de participer, éveillent chez Sword Bearer et ses jeunes compagnons une nouvelle détermination, un nouvel espoir.
En août, Sword Bearer fait une recherche de vision dans les Big Horn Mountains. Il y voit sa destinée : il sera un guerrier, comme son père et tous ses ancêtres l’ont été avant lui. Il ne tuera certainement pas d’ennemis, mais il parcourra librement les Plaines que le Grand Esprit a données à son peuple et il défendra les siens. Il refusera l’uniforme humiliant de l’école ou de la police tribale et ne passera certainement pas le reste de ses jours derrière une charrue. Autour de lui se rassemblent les Danseurs du Soleil de l’été. Bientôt, d’autres les rejoignent, des fils de chefs influents, las de la soumission, attirés par le charisme de Sword Bearer auquel certains attribuent des pouvoirs d’homme médecine.
Les jeunes rebelles s’ouvrent de leurs sentiments à leurs pères, aux Anciens de la tribu. Ils le font à la manière indienne, avec respect, recherchant leur conseil et leur appui. Des hommes, pourtant favorables à l’adaptation à la culture blanche, n’hésitent pas à les soutenir ouvertement. Certains ont vu leur bétail volé par des cow-boys, et les troupeaux des éleveurs blancs pâturent en toute impunité sur leurs terres, sans que l’agent censé les protéger fasse quoi que ce soit pour les défendre.

Au début de septembre, des Blackfeet Piegan pénètrent sur la réserve crow et y volent quelques dizaines de chevaux. Pendant que l’agent rédige un rapport sur l’incident, Sword Bearer et son petit groupe de cavaliers – une vingtaine de jeunes hommes – décident de relever le défit que leur ont lancé les Piegan, eux aussi épris d’aventures. Les Crow quittent secrètement la réserve et s’élancent sur les traces des voleurs qui ont sur eux deux ou trois jours d’avance. Pour atteindre la réserve blackfoot, au nord du Territoire du Montana, ils doivent traverser plusieurs rivières, franchir de hautes collines, mais aussi un pays investi par l’homme blanc avec ses voies ferrées, ses routes, ses ranchs et ses clôtures de fils barbelés.
Les Crow ont réussi à reprendre leurs chevaux. Fin septembre, ils sont de retour.
Au soir du 30 septembre, les vingt jeunes cavaliers, poussant devant eux les chevaux qu’ils ramènent, font une entrée fracassante dans Crow Agency endormi. Caracolant bruyamment, poussant des cris de victoire, ils tirent en l’air des coups de feu comme le faisaient traditionnellement les guerriers au retour d’un raid. Certains projectiles atteignent la maison de l’agent et un magasin. On ne saura jamais s’il s’agissait d’un tir accidentel ou d’une provocation délibérée contre l’autorité de l’agent.
Bien que l’incident n’ait duré que quelques instants et n’ait fait aucun blessé, l’émotion est énorme à Crow Agency. L’agent Williamson télégraphie au bureau de Washington, parlant de révolte, et demande le secours de l’armée basée à Fort Custer.
Les rebelles fuient vers les montagnes de l’Ouest, poursuivis par la police crow à laquelle s’est jointe l’armée. La presse locale, la « Gazette de Billings » en particulier, répandent les nouvelles les plus alarmistes. Les Sioux tant redoutés pourraient se joindre à la rébellion, des Indiens canadiens pourraient venir leur prêter main forte. La perspective excitante d’une nouvelle « guerre indienne » incite les habitants du Montana à s’armer, des milices se forment spontanément. Des troupes sont envoyées de l’Est, sous le commandement du général Alfred Terry, un vétéran de la campagne contre les Sioux de 1876-1877. La réserve crow est occupée militairement et les autorités ordonnent à tous les Crow « loyaux » de se rassembler autour de l’agence.
Activement poursuivis par l’armée, les milices et la police crow, les rebelles sont rejoints le 4 novembre dans les Pryor Mountains. Sommés de se rendre, ils refusent et ouvrent le feu sur leurs poursuivants. Ils résisteront plusieurs heures, jusqu’à épuisement de leurs munitions. Huit des jeunes Crow sont tués, dont Sword Bearer, abattu par Fire Bear, l’un des policiers indiens.
Les corps de Sword Bearer et de ses compagnons sont ramenés à Crow Agency. La tribu, en larmes, défile devant ses derniers guerriers morts. Le bruit se répand que Sword Bearer possède des pouvoirs magiques. Des parents demandent à leurs enfants de toucher ses cheveux pour recevoir la protection de son esprit. Le policier qui a tué Sword Bearer reçoit des menaces de mort.
Une dizaine de guerriers de Sword Bearer, dont plusieurs sont blessés, ont été capturés, mis aux fers et envoyés à la prison de Fort Snelling, Minnesota, où ils doivent finir leurs jours. Grâce à l’insistance des chefs crow, ils sont finalement libérés au bout de deux ans.



BEAR TOOTH PARLE : « PERES, ECOUTEZ-MOI ! »
« Pères, écoutez-moi ! Rappelez vos jeunes hommes qui sont dans les Big Horn Mountains. Ils ont parcouru le pays, ils ont détruit les arbres qui poussaient et l’herbe verte, ils ont incendié nos terres. Pères, vos jeunes hommes ont détruit la contrée et tué nos animaux, l’élan, le daim, l’antilope et le bison. Ils ne les tuent pas pour les manger, ils les laissent pourrir où ils tombent.
Pères, si j’allais dans votre pays tuer votre bétail, que diriez-vous ? Ne me feriez-vous pas la guerre. Pourtant, quand les Sioux m’ont offert des centaines de chevaux et de mules pour aller en guerre avec eux, je n’y suis pas allé. [….] Nos grands chefs des temps anciens, nos grands pères, nos grands-mères nous ont dit : « Soyez amis avec les Blancs car ils sont puissants ». Nous, leurs enfants, nous avons obéi, et voilà ce qui est arrivé.
Il y a plus de quarante ans, alors que les Crow campaient sur le Missouri, notre chef a reçu un coup de pistolet d’un chef blanc.
Un jour, sur la rivière Yellowstone, il y avait trois chariots avec trois hommes blancs et une femme blanche. Quatre Crow se sont approchés pour leur demander à manger. Un des Blancs a pris un fusil et il a tiré. Notre chef, Cheval Alezan, a été touché et il est mort.
J’ai appris que vous aviez envoyé des courriers aux Sioux, mais ils m’ont dit qu’ils ne viendraient pas car vous les aviez déjà trompés une fois. (*) Ils m’ont dit : « Ah, les Blancs vous ont appelés et vous allez les voir. Ils vous traiteront comme ils nous ont traités. Ils vous séduiront par de douces paroles et de belles promesses qu’ils ne tiendront pas. Allez ! Ils se moqueront de vous ! »
Pères, je n’ai pas de gêne à parler devant vous. C’est le Grand Esprit qui nous a tous créés, mais il a mis l’Homme Rouge au centre et les Blancs tout autour.
Ah ! Mon cœur déborde d’amertume ! [….] Vous m’avez parlé de labourer la terre et d’élever du bétail. Je ne veux pas qu’on me tienne de tels discours ! J’ai été élevé avec le bison et je l’aime. Depuis ma naissance, j’ai appris à être fort, à déplacer ma tente quand il en est besoin et parcourir la prairie selon mon bon plaisir.
Pères, ayez pitié de moi, car je suis fatigué de parler.
Source : Extrait d’un dossier sur les Indiens des Plaines paru dans le magazine « Pilote » vers 1975.

Ce sont là quelques passages du discours prononcé par le chef crow Bear Tooth à Fort Laramie en novembre 1867, devant les commissaires du gouvernement venus négocier un traité de paix avec les tribus des Plaines du Nord. Les Sioux ne s’y rendront qu’à partir d’avril 1868. On remarque que des tribus ennemies se rencontraient et discutaient de leurs affaires, montrant que la guerre indienne n’avait pas un caractère implacable.
(*) Il fait probablement allusion aux négociations de juin 1865 entre les commissaires du gouvernement et les Lakota qui exigeaient la fermeture de la piste Bozeman. Pendant les pourparlers, l’armée avait poursuivi la construction des trois forts qui protégeaient la piste. C’est alors qu’avait commencé la guerre de Red Cloud. Le chef oglala avait en effet tenté d’obtenir l’alliance des Crow contre les empiètements des Blancs sur les terres indiennes.






LA SOCIETE CROW

La société crow traditionnelle est tout à fait représentative de celles des Indiens qui vivaient dans les Plaines du Nord aux XVIIIème et XIXème siècles. Elle a beaucoup de traits communs avec celles des Cheyenne et des Lakota dont les cultures sont souvent mieux connues. Elle comporte cependant des particularités que nous nous efforcerons de souligner.



MODE DE VIE
L’économie traditionnelle des Crow repose essentiellement sur la chasse au bison et à l’élan qu’ils pratiquent dans les Plaines, en utilisant, depuis le XVIIIème siècle, les chevaux acquis auprès des tribus de l’Ouest. Leur territoire montagneux permet aussi aux hommes de chasser le cerf, la chèvre des montagnes, le mouflon bighorn, de pêcher dans les nombreux torrents et rivières qui descendent des Rocheuses. Une végétation naturelle extrêmement riche fournit une multitude de plantes comestibles, fruits, baies, racines, des récoltes dont se chargent les femmes.
La nation crow possède, au milieu du XIXème siècle, un beau troupeau de chevaux qui excite la convoitise des tribus voisines. Aller voler des chevaux aux Crow est devenu pour les jeunes Lakota et les jeunes Cheyenne une initiation presque incontournable à la vie de guerrier. Comme tous les autres Indiens des Plaines, les Crow sont de remarquables cavaliers. Les jeunes hommes crow et certaines jeunes filles montent sans selle, sur une simple peau de loup ou de puma, ce qui leur laisse une grande liberté de mouvement. Les femmes, les personnes âgées, moins sportives, utilisent des selles à pommeau et troussequin très relevés et de larges étriers, ce qui leur assure une bonne sécurité durant les nombreux déplacements à travers les Plaines.
Les tipis crow sont très grands et bien construits, demandant l’intervention des hommes pour leur montage. Contrairement aux tipis lakota ou cheyenne, la peau de bison qui les recouvre n’est jamais peinte. Les femmes crow tannent des peaux douces comme le velours, et leurs broderies en piquants de porc-épic, ou de perles où domine le rose, ont acquis une grande réputation.
Les vêtements des crow sont confortables, élégants, richement décorés. Ils aiment orner le cuir brun foncé des robes et des chemises de bordures de fourrure blanche, souvent de l’hermine. Des queues d’hermine pendent aux coiffures de guerre des hommes, encadrant le visage. Alors que Lakota, Cheyenne et Arapaho partagent leurs longs cheveux par une raie médiane, les hommes crow portent leurs cheveux coupés courts au-dessus du front, maintenus dressés par de l’argile, une coiffure qui permet de les identifier facilement sur les dessins qui figurent sur les peaux de bison. Les Nez Percé ont une coiffure semblable. Les hommes crow laissent à l’arrière leur longue chevelure traîner derrière eux, parfois jusqu’au sol, utilisant souvent, dit-on, des mèches postiches.
Tous les observateurs blancs s’accordaient à placer les hommes crow parmi les plus beaux des Indiens, peut-être même au-dessus des Cheyenne, pourtant qualifiés de « beaux hommes ». Par contre, les femmes crow, et les Indiennes en général, étaient jugées « plutôt laides », une opinion que dément pourtant la plupart des photos que nous possédons. Il est vrai que leur type physique, et surtout leur manière de s’habiller, étaient fort éloignés de l’idéal féminin du XIXème siècle.



ORGANISATION SOCIALE
Comme pour toutes les tribus indiennes, la société crow repose avant tout sur les liens de clan, les solidarités familiales. L’homme ou la femme appartient avant tout à son clan familial avant d’appartenir à la nation crow, un clan déterminé par celui de la mère. La situation la plus difficile que puisse connaître un Crow est d’être sans parents. C’est heureusement une situation assez rare, les oncles et tantes étant considérés comme des pères et mères, les cousins et cousines comme des frères et sœurs. Un étranger, un captif, doit être adopté dans une famille pour s’assurer un statut dans la tribu.
La solidarité familiale est le moteur de la vie des Crow. Elle s’exerce en particulier entre frères et sœurs, cousins et cousines. Elle assure la protection des femmes contre la brutalité éventuelle d’un mari. Elle pousse les femmes à fournir leurs frères et cousins en mocassins et chemises brodées, et à exalter leurs exploits.
Aucune structure centralisée ne limite la liberté des clans. Ce n’est que par la gloire acquise au combat, par la sagesse au conseil et par la générosité envers les siens qu’un chef peut être reconnu. Aucun chef, si prestigieux qu’il soit, ne peut imposer sa volonté au peuple. Il n’y a pas de « grand chef » chez les Crow, pas plus d’ailleurs que chez les autres tribus des Plaines. Toutes les décisions d’importance sont discutées en conseil où chaque homme peut s’exprimer. Un consensus est recherché. C’est toujours de cette manière que fonctionne la démocratie crow.

La répartition des tâches entre hommes et femmes marque l’organisation sociale.
Aux hommes la chasse, la pêche, la capture et le dressage des chevaux, les déplacements à caractère commercial ou diplomatique et, bien entendu, la guerre et la défense des camps. Ils fabriquent les selles qu’utilisent les femmes et les vieillards, ainsi que les armes et la plupart des outils.
Les femmes crow sont, comme toutes les femmes indiennes, chargées de tâches lourdes et nombreuses. Elles s’occupent des enfants, font la cuisine, tannent les peaux, fabriquent et décorent vêtements et mocassins, portent l’eau et le bois, ramassent les plantes comestibles, installent les campements, et trouvent encore le temps de se livrer entre elles à des jeux de hasard comme le jeu de dés. Les enfants, même les garçons jusqu’à environ treize ans, ont le devoir d’aider leurs mères, grands-mères et tantes dans leurs travaux. Les femmes participent aux nombreuses fêtes et danses qui réunissent fréquemment la tribu. Dans les cérémonies et les rituels, elles sont souvent au côté de leur époux.
Certains hommes, peu désireux d’affronter les dangers de la guerre, choisissent de vivre comme des femmes, vêtus comme elles et accomplissant leurs travaux, sans être forcément homosexuels. On les appelle couramment des « berdaches ». Ils sont considérés comme porteurs de pouvoirs spirituels, en particulier d’un don de divination. Il arrive aussi que des jeunes femmes se mêlent aux chasseurs et même aux guerriers par goût de l’aventure ou, le plus souvent, pour accomplir une vengeance, après la mort d’un frère par exemple, quand aucun homme de la famille n’est susceptible de le faire.
Contrairement à ce qui a été dit sur « l’oppression tribale », chacun dispose d’une grande liberté pour mener sa vie, dans le respect de ses devoirs familiaux et des valeurs traditionnelles de son peuple.



LA GUERRE
Le courage, les vertus guerrières des hommes sont essentiels à la défense du territoire dont dépendent la survie et l’honneur de la tribu.
Dès l’âge de douze ou treize ans, les jeunes Crow servent de guetteurs près des villages, en particulier pour la surveillance des chevaux. A quatorze ans, ils accompagnent les expéditions de guerre en territoire lakota, cheyenne, shoshone, blackfeet, comme assistants des guerriers. A seize ans, ils capturent des chevaux, prennent des scalps, marquent de coups. Ils sont entrés dans la société des hommes.
Les chefs de guerre n’exposent pas inutilement leurs guerriers. La véritable victoire est celle où tous les hommes reviennent sains et saufs. Comme l’adversaire est dans le même état d’esprit, les combats entre Indiens font relativement peu de morts. La vie de chacun est précieuse. Les guerriers indiens, jamais très nombreux, combattent rarement en masse, mais plutôt dans une série de duels où la valeur personnelle peut s’exprimer. Il n’est pas question qu’un chef de guerre exige de ses hommes qu’ils se sacrifient pour des raisons stratégiques, emporter une place forte, par exemple. Personne n’est contraint d’exposer sa vie. Le sacrifice, l’accomplissement d’exploits, sont toujours un choix personnel.
Certains guerriers, comme ceux appartenant à des confréries comme celles des « Big Dogs » et des « Crazy Dogs » ont fait vœu de mettre leur courage et leur dévouement au service de leurs compagnons. Ils sont appelés « porteurs de ceinture » car, sur le champ de bataille, ils fixent au sol à l’aide d’une lance leur longue ceinture en peau d’ours, et combattent sans possibilité de fuir, se faisant tuer sur place et protégeant ainsi la retraite de leurs camarades. D’autres se sont engagés à venir en aide aux guerriers crow en difficulté, combattant à leurs côtés ou leur offrant leur monture.
Ces braves jouissent dans la tribu de grands honneurs et de certains privilèges. Dans les banquets où l’on chante leurs louanges, ils sont servis en premier, et il n’est pas rare que des femmes se glissent auprès d’eux pendant la nuit, généralement avec l’assentiment de leur mari qui en tire de la fierté. Par contre, s’ils manquent à leur promesse, ils sont traités de lâches et fouettés par leurs compagnons et deviennent la risée de la tribu. Normalement, ces vœux ne sont prononcés que pour une saison, du printemps à l’automne, et l’obligation cesse avec les premières neiges qui marquent la fin de la saison des combats. Aussi, les engagements n’étant pas très fréquents, beaucoup de ces braves survivent.

L’exigence de la vengeance apparaît pour les Crow comme le moteur principal de la guerre – mise à part la capture de chevaux qui parfois tourne à l’affrontement.
La petite tribu crow, très affaiblie après les épidémies du début du XIXème siècle, dont le riche et beau territoire est convoité par de puissants ennemis, ne peut se permettre de laisser des provocations impunies. Il y va de sa survie, de sa « crédibilité » pourrait-on dire. Normalement, toute mort d’un Crow doit être suivie de la mort d’un ennemi, de préférence de la tribu du meurtrier, sans que cela soit une obligation. Le deuil, marqué par de violentes manifestations d’affliction, ne prend fin qu’une fois la vengeance accomplie. Cependant, les guerriers vainqueurs savent s’arrêter et ne pas tuer plus d’ennemis que ne le demande une juste vengeance.
Les Crow, comme les autres Indiens des Plaines font rarement prisonniers les hommes adultes qu’ils affrontent à la guerre. Ils les tuent sur place, bien que la passion du combat, le désir de vengeance les portent parfois à donner à leurs ennemis une mort cruelle, sans qu’on puisse pourtant parler de torture au sens où les Iroquois, par exemple, torturaient leurs captifs. On cite des prisonniers cheyenne ou lakota accrochés à un arbre et percés de flèches et de bâtons pointus. Les morts sont systématiquement mutilés. Il est très probable que des mutilations sur les vivants se produisaient aussi, comme couper les doigts, les oreilles. Toutefois, la générosité est admirée et l’extrême cruauté plutôt mal vue par la société crow. Femmes, enfants et adolescents sont traditionnellement adoptés par la tribu.

Nous possédons quelques témoignages de voyageurs français sur la manière dont les Crow traitaient les étrangers.
Au printemps 1805, François Antoine Laroque, un marchand d’origine française rencontre des Crow rendant visite à leurs parents hidatsa installés sur le Missouri. Désireux d’en connaître plus sur la vie indienne, il accompagne les Crow jusqu’à leur village de la Yellowstone et demeure avec eux jusqu’à l’automne, s’initiant à leur langue et notant tout ce qu’il observe, se liant d’amitié avec de nombreuses personnes de la tribu.
En 1858, un jeune Français de dix huit ans est capturé par un parti de chasseurs crow. Le chef Yellow Leggins décide de l’adopter comme son fils. Quelques mois plus tard, il épouse une jeune fille crow et passe plusieurs années passionnantes avec son nouveau peuple. « J’étais devenu un Indien crow », dira-t-il.
L’adoption plutôt que la mort du prisonnier était la norme chez les Indiens. Les récits, les contes crow recueillis, et dont nous donnons plus loin des exemples, confirment ces faits.




RELIGION

UNE SPIRITUALITE MAL CONNUE
Il faut d’abord remarquer que la vision que nous avons de tel ou tel peuple, dont la spiritualité et la culture ont été sciemment anéanties, dépend beaucoup des personnes qui ont recueilli les témoignages et surtout de la qualité de leurs informateurs.
Les informateurs indigènes des ethnologues peuvent se montrer déficients pour diverses raisons. D’abord, ils peuvent tout simplement ignorer les choses de la spiritualité qui sont particulièrement subtiles à concevoir et délicates à exprimer, surtout si l’interprète n’est pas à la hauteur. Ils peuvent vouloir les cacher, voire chercher à tromper celui qui les interroge. Beaucoup d’informateurs interrogés dans la première moitié du XXème siècle ne sont plus déjà que des témoins de seconde main, ne connaissant de la spiritualité traditionnelle que ce que leurs parents ou leurs grands parents leur en ont dit. Il est probable aussi que la religion chrétienne imposée par les missionnaires depuis une ou deux générations a imprégné les mentalités, effaçant peu à peu les aspects les plus profonds de la spiritualité indienne.
Alors que pour certains peuples comme les Lakota, les Hopi, une grande masse d’informations, probablement fiables, a été recueillie sur les notions les plus fondamentales de leur religion, on est beaucoup plus démunis en ce qui concerne les Crow.

Le soleil semble être pour les Crow l’essence spirituelle la plus importante.
Dans la mythologie crow, le soleil est le créateur du monde par l’intermédiaire d’Old Man Coyote. Les récits de création qui ont été recueillis parlent de la façon dont Old Man Coyote a aménagé la terre entièrement recouverte d’eau pour permettre aux animaux non aquatiques et aux êtres humains d’y vivre. On est frappé par la naïveté du récit qu’on lira plus loin. D’ailleurs, le soleil, agissant sous les traits d’Old Man Coyote, n’est pas appelé le Créateur, mais le Transformateur, c’est-à-dire celui qui organise ce qui existe déjà. A notre connaissance, aucun de ces récits ne remonte plus avant, à l’origine même de l’univers, comme le font les mythes lakota, pawnee ou hopi. Cela ne veut pas dire que les Crow n’avaient jamais eu une telle conception. Elle a pu être perdue, oubliée. Cela n’avait probablement pas une grande importance pour la majorité des Crow, leur pratique religieuse étant totalement libre, personnelle, éminemment pratique.
Le soleil est invoqué comme la divinité suprême, mais chaque Crow cherche à se mettre sous la protection d’esprits plus subalternes, les esprits animaux, ceux qui animent les grands phénomènes du monde. Cela se fait à travers la recherche de vision qui, chez les Crow, est particulièrement éprouvante. En plus des rigueurs du jeûne et de l’isolement, le jeune homme s’inflige souvent des tortures qui rappellent celles de la Danse du Soleil afin d’apitoyer les Esprits et de recevoir leur aide et leur protection. L’implorant demande la réussite de ses projets, de ses ambitions, de ses entreprises guerrières. Ce sont des demandes très matérielles, immédiates, personnelles. Chacun est à la recherche d’un bon esprit protecteur.



LA PIPE
La Pipe Sacrée cérémonielle – i’ptse waxpe – semble avoir été apportée aux Crow par leurs parents les Hidatsa seulement au début du XIXème siècle. Son origine mythique, si elle existe, ne nous est pas connue, à la différence de la Pipe Sacrée des Lakota. D’introduction récente, elle apparaît comme un rituel étranger, pas encore totalement assimilé.
La pipe est utilisée, comme chez les autres tribus des Plaines, pour ramener la paix et créer des relations entre les personnes. Une pipe présentée devant l’ennemi lors d’une bataille met fin au combat. Elle peut être utilisée pour ramener la concorde au sein de la tribu et sceller des liens entre les personnes lors d’une cérémonie d’adoption. La pipe est, pour les Crow, liée au pouvoir du soleil.
Le nombre de possesseurs de pipes était faible chez les Crow, quelques dizaines pour toute la tribu. Le possesseur de pipe, considéré comme un « père », pouvait adopter des « enfants », souvent un homme avec sa femme. Une personne malade demandait son adoption, offrant à son « père » d’importants cadeaux. Le possesseur de pipe ne pouvait toutefois adopter plus de quatre « enfants ».



LA SOCIETE DU TABAC
Le rituel le plus spécifique des Crow est lié au tabac. Le tabac cérémoniel des Crow est le « petit tabac » (Nicotiana multivalvis), alors que le tabac à fumer est le « grand tabac » (Nicotiana quadrivalvis).
Les graines de ce tabac rituel, qui sont considérées comme provenant des étoiles, sont plantées au printemps par les membres de la Société du Tabac (bacu’ sua). Cette importante société est divisée en plusieurs chapitres où l’on entre par adoption – toujours le modèle « familial ».
Au printemps, les membres de chaque chapitre déterminent le lieu où seront plantées les graines. On procède au défrichage du terrain par brûlage et arrachage de la végétation. Au début de mai, quand est venu le moment de planter, les graines de tabac sont mélangées à divers ingrédients à la fois nutritifs et symboliques, dont de la bouse de bison, et mises à tremper dans de l’eau. Les sacs de graines sont portés en cortège vers le terrain préparé. Chaque membre de la société, avec l’aide de sa femme, plante son rang de graines. Avec un bâton, la femme fait une série de trous de quelques centimètres de profondeur et l’homme y dépose des graines. Diverses cérémonies ont lieu entre les semailles et la récolte. Le désherbage se fait d’une manière rituelle. Un arrosage est prévu au cas où les pluies viendraient à manquer. Une étroite surveillance des plantations est assurée par les membres de la société qui viennent régulièrement annoncer à la tribu que tout se passe bien.
La cueillette des feuilles de tabac commence à la mi-juillet. Elle se poursuit sur plusieurs semaines car toutes les feuilles ne sont pas à maturité en même temps. Chaque couple récolte le rang qu’il a semé avec, à ce moment, un minimum de cérémonie. Les feuilles sont alors hachées, mélangées à de la graisse de bison et du tabac à fumer, mises en petits paquets et jetées dans un ruisseau, sans cérémonie particulière. Les graines sont soigneusement recueillies pour les prochaines semailles.
L’importance de ce rituel, qui s’est perpétué jusque dans les années 1920, semble résider toute entière dans le fait de semer et de mener ce tabac à maturité. Ce qui est fait après a peu d’importance. Il est difficile d’en saisir le sens profond.



LA DANSE DU SOLEIL
La Danse du Soleil des Crow – acki’cirua – est très différente, tant dans ses motivations que dans son déroulement, de celle des Cheyenne ou de celle des Lakota qui est devenue maintenant l’archétype de cette cérémonie et qui a fourni le nom de « danse du soleil » – littéralement « Ils dansent en regardant le soleil ».
Plutôt qu’une cérémonie d’action de grâce à caractère cosmique, la cérémonie des Crow est une préparation à la vengeance après la mort d’un proche. C’est une demande d’assistance adressée aux Esprits dans les combats qu’on va engager et la recherche à travers une vision des moyens à mettre en œuvre pour assouvir cette vengeance. Elle n’a donc aucune périodicité, mais se déroule quand le besoin s’en fait sentir. Elle est aussi, naturellement, une occasion pour les hommes de montrer leur courage aux yeux de tous.
La mise en œuvre de la cérémonie est si difficile et si lourde que seul un deuil exceptionnel – un enfant, un fils bien-aimé tué par l’ennemi, par exemple – peut pousser une famille à en assumer la charge. Un Crow de quatre-vingt ans disait n’en avoir connu que six durant sa vie. Etant donné son caractère strictement guerrier, la Danse du Soleil crow était tombée en désuétude dans les années 1880.
L’homme en deuil décidé à célébrer une Danse du Soleil va trouver un homme médecine possesseur d’une « poupée sacrée » et lui demande son aide. Le demandeur devient alors le « fils » et l’homme médecine est son « père ».
Une chasse au bison est organisée afin de recueillir un grand nombre de langues qui seront offertes aux divers participants à la cérémonie. Les langues, souvent plusieurs centaines, sont entreposées dans une hutte de branchages. La viande et les peaux des bisons abattus sont distribuées aux vieillards, aux malades, aux nécessiteux.
Le « père » demande à une femme particulièrement vertueuse de découper pour le « fils », dans une peau de bison, une longue jupe ouverte sur les côtés et de lui fabriquer des mocassins. Ceux-ci sont teints en noir et des poils de bison figurant des scalps y sont cousus. Quand l’homme en deuil a revêtu ses vêtements cérémoniels, le « père » lui donne un sifflet dont il devra se servir durant la cérémonie puis, avec de l’argile blanche, il dessine sur sa poitrine et sur son dos la croix qui représente l’Etoile du Matin et il marque ses joues avec des points blancs figurant les larmes du deuil. A ce moment, devant le tipi du « fils », défilent des guerriers qui racontent leurs exploits.
L’homme en deuil passe la nuit dans son tipi, étendu sous une peau de bison. A partir de ce moment, il lui est interdit de manger et de boire. Le « père », et souvent aussi sa femme, commencent à jeûner afin de soutenir leur « fils » dans son épreuve.
Une seconde chasse au bison est organisée. Il s’agit d’abattre deux bisons mâles dont les peaux serviront à recouvrir la Loge de la Danse. Chaque bison doit être tué d’une seule flèche et mourir sur le coup. Quand les bisons sont repérés, le meilleur tireur est envoyé. Un dépeceur très expérimenté l’accompagne pour prélever les peaux dès que les bisons sont abattus.
Un autre groupe part à la recherche des arbres nécessaires à la construction de la Loge de la Danse. Parmi eux se trouvent obligatoirement une femme vertueuse, un « berdache » et, dans la mesure du possible, un captif appartenant à la tribu qui a causé la mort qu’on cherche à venger – il est à remarquer que les Crow ne songent pas un instant à venger cette mort sur le captif lui-même. Chacune de ces trois personnes donne quatre coups symboliques à l’arbre choisi qui est ensuite abattu par les autres participants. L’arbre est noirci avec du charbon de bois mélangé à de la graisse. La couleur noire, très présente dans cette cérémonie, est la couleur de la victoire et, par conséquent, celle de la vengeance qui est ici recherchée.
L’arbre est rapporté par un groupe de guerriers comme s’il s’agissait d’un ennemi tué, et le peuple se réjouit. En fait, un seul arbre est abattu de cette manière. Les autres poteaux de la Loge de la Danse, qui en compte vingt, sont abattus et transportés sans cérémonie.
La Loge de la Danse des Crow a la forme d’un grand tipi. Tous les poteaux sont passés au noir et des guerriers se lancent au galop contre l’armature de la Loge et y comptent des « coups » comme sur un ennemi. Les deux peaux de bison mâle sont disposées sur le sommet, et la partie basse refermée avec des branchages, laissant entre les deux un large espace qui permet aux spectateurs qui se pressent nombreux de voir ce qui se passe à l’intérieur.
Le matin suivant, le possesseur de la « poupée sacrée », accompagné de sa femme, vient chercher son « fils » à son tipi, portant la « poupée» accrochée à un cerceau de saule. Des groupes de guerriers se livrent à des simulacres de combats, créant l’atmosphère guerrière recherchée. Puis ils reçoivent des langues de bison que des femmes ont fait cuire.
Le « fils » est alors conduit par son « père » au centre de la Loge de la Danse où il s’étend sous une peau de bison. A ce moment, des hommes qui recherchent des visions, ou qui veulent se distinguer aux yeux de tous, se font suspendre aux poteaux de la Loge par des lanières de cuir passées dans la chair de leur poitrine ou de leur dos, ou bien ils s’attachent à des crânes de bison qu’ils traînent derrière eux autour de la Loge. Ils subiront leur épreuve jusqu’au coucher du soleil, à moins que leur chair n’ait cédé avant et ne les ait libérés.
C’est maintenant au « fils », l’homme en deuil, d’entrer en scène. Il commence à danser, affaibli par le jeûne et la soif, soufflant dans le sifflet pendu à son cou, les yeux fixés sur la « poupée ». Il s’agit d’une figurine de forme humaine en peau de bison bourrée d’herbes et de poils, au corps en forme de triangle, la tête recouverte de plumes et portant le signe de l’Etoile du Matin.
Le danseur doit suivre le rythme du tambour et des chants qui s’accélèrent. Souvent, pour le soutenir, des hommes de sa parenté viennent danser à ses côtés, imitant des combats. Quatre repos seulement sont prévus durant toute la journée. Il n’est pas rare que le danseur tombe d’épuisement et qu’on doive le relever. En théorie, il doit danser jusqu’à ce qu’on apprenne la mort d’un ennemi et que la vengeance soit ainsi accomplie. Il n’est pas nécessaire que l’homme tué appartienne à la tribu qui a causé la mort du parent qu’on désire venger. N’importe quel ennemi peut faire l’affaire.
Mais les choses ne se passent pas toujours ainsi et, souvent, la « bonne nouvelle » tarde à venir. Alors, au bout de plusieurs heures, voire de plusieurs jours, le danseur, au comble de l’épuisement, fixant toujours la « poupée sacrée », entre dans une véritable transe et finit par perdre connaissance. Durant son évanouissement, la « poupée » est censée lui avoir parlé. Quand il revient à lui, il déclare avoir eu la vision de sa vengeance. A ce moment, l’homme en deuil peut se reposer et recevoir de l’eau. Tout le village attend alors l’annonce qu’un ennemi a été tué. Certains « fils » ne fixent la date de la cérémonie qu’après le départ d’un parti de guerriers en direction d’un territoire ennemi, ce qui accroît évidemment les chances de réussite. D’autres, revenus à eux, se contentent de dire qu’ils sont satisfaits, et les choses en restent là. Mais c’est à l’évidence la situation la plus frustrante pour la communauté, car la vengeance de l’homme en deuil est ressentie comme la vengeance de tous.






LES CROW AUJOURD’HUI

LE PEUPLE ET SA TERRE
On pourrait croire qu’une tribu qui a toujours marqué son amitié aux Blancs et les a même aidés à soumettre les autres tribus aurait mieux accepté que d’autres l’assimilation à la culture blanche et aurait depuis longtemps abandonné son indianité. Nous nous sommes même laissé dire que certains touristes arrivent chez les Crow en croyant y trouver des « amis des Blancs » qui leur réserveront, ils n’en doutent pas, un accueil particulièrement chaleureux. Ils s’aperçoivent assez vite qu’il n’en est rien.
Penser cela serait méconnaître les raisons qui ont poussé les Crow à adopter cette politique. Relisons les paroles de Plenty Coups, celles de Bear Tooth. Les Crow étaient prêts à tout pour préserver leur pays et leur mode de vie traditionnel, même au prix de ce qui peut apparaître comme une trahison de la Nation Rouge, comme le disent les Indiens actuels.
Ce n’est que récemment que s’est dégagée clairement pour les Indiens la notion de solidarité de race, d’unité indienne. Autrefois, les Indiens voyaient rarement au-delà de leur propre tribu et de ses alliés proches. Il leur était difficile de ne pas se réjouir de l’affaiblissement de leurs ennemis traditionnels. Il faut aussi reconnaître que les Crow n’avaient aucune raison de se montrer amicaux envers les Cheyenne et les Lakota qui les avaient chassés des Black Hills au XVIIIème siècle et de la vallée de la Powder River au milieu du XIXème siècle.
Les Crow n’ont pas été « bien traités » par les Blancs, mais ils ne l’ont pas été aussi mal que d’autres. N’ayant jamais donné au gouvernement américain de raisons particulières de sévir contre eux, la construction de forts sur leur réserve, une présence militaire lourde, la déportation en Territoire Indien leur ont été épargnées. Mais, considérés comme « amicaux », un effort particulier de christianisation et d’éducation à la culture blanche a été déployé contre eux, et il a fallu aux Crow tout leur attachement passionné à leur terre et à leur culture pour parvenir, en partie, à y résister.
A la différence de beaucoup d’autres tribus affaiblies par une longue résistance et un lancinant sentiment de défaite, les Crow ont maintenu fermement leurs traditions, leur langue. Leur système clanique, celui des familles étendues, est demeuré particulièrement vivant. Une grande solidarité se manifeste entre les membres d’un clan. La loi sur le lotissement des terres en propriétés privées a dispersé bien des familles, mais les Crow ont réussi à maintenir leurs liens par de fréquents rassemblements, fêtes, célébrations de toutes sortes.

Bien que le territoire qui leur avait été reconnu par les deux traités de Fort Laramie ait été très fortement déduit, les Crow ont pu conserver dans l’est du Montana une belle réserve relativement vaste de près de 900 000 hectares qui préserve le cœur de leur pays, la vallée de la rivière Bighorn. Environ 178 000 hectares sont la propriété de la tribu et les propriétés crow individuelles couvrent environ 664 000 hectares.
Une part importante des terres de la réserve est occupée par des Blancs, propriétaires ou locataires, qui cultivent les vallées les plus fertiles et font de l’élevage sur les meilleurs pâturages. La tribu s’efforce de racheter ses terres, en particulier le long de la rivière Bighorn. Mais le manque de fonds fait toujours obstacle à ces acquisitions. Des organisations indiennes de première importance comme le Congrès National des Indiens d’Amérique (NCAI) tentent actuellement d’obtenir du Congrès l’octroi de fonds qui permettraient aux tribus de racheter les terres de réserves qui leur avaient été reconnues par traité au XIXème siècle et qu’elles ont peu à peu perdues par des ventes forcées, voire la spoliation pure et simple. Le vote d’une telle loi serait de la première importance pour les Crow. Mais, au début des années 2000, rien n’avait encore été fait dans ce sens.
Au recensement de 1995, la tribu crow comptait 9 150 membres, dont les trois-quarts vivaient sur la réserve, les autres s’étant installés dans les villes voisines comme Harding et Billings afin de trouver du travail. Plus d’un millier de non-membres tribaux vivent sur la réserve, essentiellement des Crow fortement métissés ou des familles blanches qui ont acheté ou loué des propriétés indiennes. Depuis 1953, il est exigé au moins un quart de « sang crow » pour être membre de la tribu.

Les principales agglomérations ou communautés de la réserve sont Crow Agency sur la Bighorn, qui fait office de capitale, Saint Xavier, Lodge Grass, Wyola et Pryor. Près de Lodge Grass, sur le site de la rivière Little Bighorn où s’est déroulée en 1876 la célèbre bataille, les Crow ont ouvert un casino et créé « Little Bighorn College », un établissement d’enseignement secondaire de très bon renom.
Jusque dans les années 1980, plus de 80% des Crow parlaient leur langue tribale. En une vingtaine d’année, ce taux de rétention de la langue, le plus élevé des Etats-Unis avec celui des Hopi, est tombé à environ 50%. Alors qu’une large majorité des plus de quarante ans parle le crow, enfants et adolescents sont moins de 20% à le parler. La pression de la « société dominante », en particulier à travers la télévision, est trop forte.

La Nation Crow compte actuellement dix clans, dont on remarquera les noms souvent humoristiques : Whisling Water, Bad War Deeds, Greasy Mouth, Sorelip, Big Lodges, New Made Lodges, Piegan, Filth Eaters, Ties The Buddle et Bring Game Without Shooting.
Au niveau de la tribu, la compétition existe entre les différents clans, notamment au niveau politique et sportif. Les Crow s’efforcent toujours de se marier à l’extérieur de leur clan familial, ce qui, étant donné le nombre réduit de membres de la tribu, est souvent difficile. Ils se marient alors avec d’autres Indiens, en particulier avec les Cheyenne du Nord, leurs voisins et anciens ennemis, voire avec des Blancs, au risque que leurs descendants perdent leur nationalité crow.

Le gouvernement crow comporte une particularité remarquable. Le pouvoir législatif est exercé par un « conseil général » (general council) composé de tous les membres adultes de la tribu qui se réunit quatre fois dans l’année. Le conseil élit à main levée quatre personnes, un président, un vice-président et deux secrétaires qui constituent l’exécutif, auquel s’ajoutent des commissions spécialisées : éducation, santé, police, finances, gestion des terres, etc. Les propositions de loi, émanant soit de l’exécutif, soit du conseil, sont présentées à la discussion et au vote du conseil. C’est la procédure la plus démocratique qui soit. Elle permet à chacun de se faire entendre et de se sentir impliqué dans la vie de la tribu, et beaucoup de Crow y sont attachés. Mais c’est une procédure très lourde qui souvent bloque des décisions importantes et urgentes. Cela permet aux factions tribales de dominer les réunions, voire d’influencer le vote. C’est une procédure peu adaptée aux exigences actuelles de l’exercice du pouvoir. En 1990, une modification de la constitution tribale a donné au président des pouvoirs accrus qui lui permettent de gérer les affaires de la tribu sans en référer constamment au conseil.



DES RESSOURCES POUR VIVRE
Les terres de la réserve crow se prêtent peu à l’agriculture, mis à part quelques vallées où l’irrigation permet de cultiver le maïs et la betterave. Dans les zones plus arides, on cultive le blé et la luzerne. La réserve compte de bonnes prairies et l’élevage est une ressource importante. Mais le climat trop sec favorise peu la forêt, si ce n’est le pin douglas et le pin poderosa dans la région montagneuse à l’ouest de la réserve.
Jusque dans les années 1960, les Big Horn Mountains étaient l’habitat de beaux troupeaux d’élans, de cerfs et de mouflons bighorn. Mais le manque de lois de protection de la faune et la construction de routes à travers la réserve, décidée par le Bureau des Affaires indiennes, ont permis l’accès des terres crow à un trop grand nombre de chasseurs, et les troupeaux ont rapidement décru.
Les lois sur l’autonomie des nations indiennes adoptées au milieu des années 1970 ont autorisé les Crow à protéger leurs ressources naturelles. En 1992, la tribu prenait des mesures énergiques de restauration de la faune sauvage, réglementant les zones et les périodes de chasse et de pêche, même pour les membres de la tribu. La tribu a également fait l’acquisition d’animaux. Ainsi, en 2000, les Crow avaient décidé d’employer une somme destinée par le BIA à la « modernisation » de la réserve à l’achat d’élans et de chevaux sauvages, une acquisition qui leur avait été vivement reprochée par l’administration des Affaires indiennes. Depuis ces dernières années, on remarque une augmentation sensible du nombre de cervidés sur la réserve.
La réserve crow compte de nombreux cours d’eau où la pêche, en particulier à la truite, est excellente. Assez curieusement, selon une décision de la Cour Suprême des Etats-Unis, c’est l’Etat du Montana, et non la tribu, qui continue à réglementer la pêche dans la rivière Bighorn sur laquelle a été construit en 1968 le barrage de Yellowtail.
Les Crow espèrent avoir bientôt suffisamment restauré la vie sauvage sur leurs terres pour envisager des chasses sélectives (trophy hunts) destinées aux non Indiens disposés à payer fort cher le droit d’abattre deux ou trois élans, sous la conduite d’un guide de chasse crow. « Little Bighorn College » assure la formation de guides de chasse et de pêche.
Le charbon est une importe ressource économique pour les Crow. La tribu a gardé des droits sur le sous-sol de la « Crow Ceded Strip », un territoire de 400 000 hectares au nord-est de la réserve, où la compagnie Westmoreland exploite des mines de charbon depuis 1974. Les royalties versées par Westmoreland représentent la plus importante source de revenus de la tribu. Depuis la fin des années 1990, une prospection minière est faite au sud-est de la réserve crow.
Comme sur toutes les réserves indiennes, le chômage excède largement la moyenne nationale. Mais, sur la réserve crow, il n’est, si l’on peut dire, que de 44%, alors qu’il est de 73% sur la réserve voisine des Cheyenne du Nord, et qu’il approche 80% sur les réserves lakota.

La réserve crow possède un énorme potentiel touristique non encore complètement exploité, comme c’est le cas pour les autres tribus des Plaines, toujours réticentes à attirer des étrangers sur leurs terres, par crainte d’une exploitation commerciale de leurs ressources naturelles, de leur culture, de leur spiritualité.
Outre la beauté de ses montagnes et de ses fraîches vallées, la réserve crow offre un site connu au niveau national, pour ne pas dire mondial : le site de la bataille de Little Bighorn du 25 juin 1876 (Little Bighorn Battlefield National Monument) encore appelé « Custer Battlefield » il y a peu de temps, et situé entre Crow Agency et Lodge Grass. Un vaste monument destiné à rendre hommage aux combattants indiens, devrait y être bientôt érigé. Entre 40 000 et 50 000 personnes visitent le site annuellement. L’affluence est à son comble en juin, au moment de la reconstitution de la célèbre bataille, durant laquelle des Crow figurent les combattants indiens, Lakota et Cheyenne, au grand mécontentement de ces derniers, on s’en doute.
En 1993, la tribu a ouvert « Sun Lodge Casino » entre Crow Agency et le site de Little Bighorn, une initiative critiquée par les Anciens et les traditionalistes de la tribu. Fréquenté presque exclusivement par une clientèle estivale, le casino crow est d’un assez bon rapport, sans pouvoir cependant rivaliser avec les casinos indiens situés près des villes ou sur les grandes voies de communication.
Depuis les années 1930, la « Crow Fair » se tient près de Crow Agency durant le troisième week-end du mois d’août. Un millier de tipis est dressé et au moins 25 000 personnes assistent à la fête qui se déroule sur trois jours, des Indiens venant de toute l’Amérique du Nord et de nombreux touristes. Les concours de danses indiennes, les rodéos se succèdent, les plus prestigieux groupes de musique et de danse traditionnelles s’y produisent.
Depuis quelques années, les Crow ont remis à l’honneur des jeux indiens qui se pratiquaient dans toutes les tribus des Plaines, comme le « hand game » et le « stick game », des jeux demandant une grande adresse manuelle, une grande capacité d’attention et une excellente mémoire. Des tournois, suivis avec passion, opposent les différents clans de la tribu. Des équipes d’autres tribus, en particulier cheyenne, sont invités à se mesurer aux joueurs crow.



2002 – Monique Boisson