mercredi 5 novembre 2008

Lakota 1

DES INDIENS AMERICAINS
EN GENERAL
ET DES SIOUX LAKOTA
EN PARTICULIER




LES SIOUX LAKOTA,
LE GRAND PEUPLE DES PLAINES

Les Lakota, les Sioux de l’Ouest, servent de point de départ et de fil conducteur à ce récit. Ils sont certainement les plus représentatifs des Indiens des Plaines sur le plan culturel, et l’histoire particulièrement tragique de leurs luttes symbolise la résistance des indigènes d’Amérique du Nord à l’invasion blanche. Ce sont les Indiens les plus connus du grand public qui aurait tort d’ailleurs de réduire toute l’histoire indienne à la leur.
Depuis la fin du XIXème siècle, la politique indienne du gouvernement américain a touché l’ensemble des Indiens des Etats-Unis, et c’est cette histoire que nous avons tenté ici de retracer, sans perdre de vue cependant la manière particulière dont les Lakota l’ont vécue.









QUELQUES ELEMENTS DE L’HISTOIRE ET DE LA CULTURE DES SIOUX-LAKOTA

LES SIOUX, UN PEUPLE DES FORÊTS
Peut-être ont-ils vécu dans l’Est, Caroline ou Virginie, avant que Christophe Colomb ne touche les Antilles. Des petites tribus de cette région, Catawba, Biloxi, Yuchi, en gardent encore des traces linguistiques. Pourquoi ont-ils émigré en direction du nord-ouest ? Est-ce de leur propre volonté, ou bien sous la pression des grandes nations des Creek ou des Cherokee qui s’installaient dans la région ?
C’est la région des sources du Mississippi qui constitue la base territoriale historique d’Oceti Sakowin Oyate, le Peuple des Sept Feux, les « Sioux », comme on les nommera d’après un mot de la langue des Chippewa, leurs voisins et ennemis.
C’est là que, vers 1680, les Jésuites français ont avec eux les premiers contacts. Ils sont décrits comme puissants et redoutés à cause de leur nombre et de leur dynamisme, mais « ayant la réputation d’être moins cruels que les autres Indiens ». Ils protègent une bande de Huron poursuivis par les Iroquois et, en 1713, ils donnent asile aux Fox, leurs ennemis menacés par les Français. Ils ont cependant de bonnes relations avec les Français, missionnaires, marchands, trappeurs ou coureurs des bois, encore peu nombreux et souvent désireux de s’intégrer à la vie indienne.

Les tribus « sioux » mènent une guerre d’embuscades et de coups de main, avec parfois des trêves de plusieurs années, contre les Illinois, les Sauk, les Fox et les puissants Chippewa, malgré les efforts déployés par les Français pour établir entre eux une paix définitive. A cette époque, les Sioux sont des Indiens des bois et des rivières, chassant le cerf et l’ours, cultivant près des villages de petits champs de maïs, de haricots et de courges et se déplaçant en canoë. Cependant, dès les années 1650, les bandes sioux qui allaient devenir les grandes tribus des Titonwan, commencent à se détacher du groupe principal et à lancer des incursions vers l’Ouest.
Dans les premières années du XVIIIème siècle, ils repoussent les Mandan et les Hidatsa qui se trouvent sur leur passage, commençant à aborder les plaines à bisons. Le long du Missouri, les puissants Arikara constituent pour eux un sérieux obstacle sur la route de l’Ouest. Mais une terrible épidémie de variole anéantit presque la nation arikara, permettant aux Sioux de traverser le Missouri et leur ouvrant définitivement la route des Grandes Plaines. Il se peut que cette migration ait été provoquée par la pression de leurs redoutables voisins de l’Est, les Iroquois, et surtout des Chippewa, leurs ennemis du Nord qui avaient acquis des fusils auprès des Français, eux-mêmes repoussés par l’avancée des Blancs. Ce n’est qu’une fois dans l’Ouest que les Sioux ont acquis les chevaux auprès des tribus déjà installées dans les Plaines, probablement dans la première moitié du XVIIIème siècle.

Cependant, quatre groupes des Sioux demeurent dans la région du Minnesota et du Wisconsin, entre forêts et prairies, là où les rivières et les lacs constituent le meilleur moyen de communication. Ce sont les Santee, un nom venant de Isanati, qui signifie « ils habitent (où l’on fait) les couteaux ». Les noms de chacun de ces quatre groupes sont caractéristiques du milieu de forêts et d’eau où ils vivent. Ce sont les Sisseton, dont le nom fait allusion au poisson, puis les Mdewakantonwan, (Ils habitent le lac sacré), les Wahpeton (Ils habitent sous les feuilles) et les Wahpekute (Ils chassent sous les feuilles).
Les Santee continuent pendant plusieurs dizaines d’années à affronter les Chippewa. En 1768, dans la région de Mille Lacs, les guerriers chippewa puissamment armés infligent une cuisante défaite à une flottille de canoës santee. Les Santee se voient bientôt pressés par les tribus de l’Est repoussées par l’inexorable avancée des Blancs.


LE CHEVAL
Des clans de la Nation des Sept Feux, les Titonwan/Lakota, se sont avancés vers l’Ouest jusqu’au Missouri, puis au-delà. Aucun obstacle, géographique ou humain, ne les arrêtera plus.
Dès le milieu du XVIIème siècle, des chevaux se sont répandus dans les Plaines. Ce sont les descendants des chevaux échappés durant les expéditions espagnoles dans le Sud. Ces petits chevaux arabes, rendus à la rude liberté des Plaines, prendront peu à peu l’aspect un peu trapu, rustique et résistant du « poney indien. » Les tribus du Sud de la Prairie, Ute et Comanche, s’en emparent, l’échangeant avec d’autres peuples. Ainsi, capturé, vendu, le plus souvent volé, le nouveau venu dans la Prairie, dont l’origine est mystérieuse, gagne les Plaines du Nord, permettant aux clans sioux des Titonwan et des Iyanktonwan (Yankton), ainsi qu’aux Cheyenne, Arapaho, Crow, Blackfeet, d’investir totalement les prairies à bisons qui s’étendent jusqu’aux contreforts des Montagnes Rocheuses.
Les gros villages faits de grandes huttes rondes en terre comme en avaient encore au XIXème siècle les Mandan, les Arikara, les Minitaree installés le long du Missouri, ainsi que les Pawnee plus au sud, sont abandonnés. Sioux, Cheyenne, Shoshone, Ute, Arapaho, Omaha, Crow, Blackfeet adoptent comme unique habitation la tente conique en peau de bison qui était jusque là un simple abri d’été durant la période des grandes chasses. Ces tipi, aisément déplacés grâce au cheval, permettent aux tribus de tourner sur de vastes territoires, s’assurant ainsi l’abondance des ressources et la propreté des villages. Dès qu’un site est surexploité, un campement sali par les activités humaines, on s’installe plus loin, laissant à la nature le temps de la régénération et de la purification.
Les Cheyenne, venant de l’Est avec les Arapaho aux côtés desquels « ils marchent sur le sentier de la vie » depuis un temps immémorial, abandonnent la petite agriculture qu’ils pratiquaient le long des cours d’eau. La récolte des baies et des racines, et surtout la chasse au gros gibier, en particulier le bison, assurent désormais leur subsistance. Certains Titonwan pratiquent toujours l’agriculture sur les terres alluviales le long du Missouri. Quand l’insécurité croissante provoquée par l’invasion blanche les obligera à abandonner leurs champs, le nom leur restera, Minnecoujou (Mnikuwojupi), « Ils plantent le long de l’eau ».
Ce passage, délibérément choisi, d’un habitat sédentaire et d’une économie agricole à une économie de chasse et de cueillette, plus « primitive », va totalement à l’encontre des idées que se font les Blancs sur « l’évolution inéluctable des sociétés humaines » et « le sens de l’Histoire ».
Sunka Wakan, le Chien Mystérieux - le Cheval - donne aux nouveaux habitants de la Prairie les chasses abondantes, faciles, exaltantes. Avec lui, ce sont les coups de main hardis des jeunes braves, les déplacements rapides et aisés de la tribu, la découverte de nouveaux horizons, le plaisir pur du galop à travers les Plaines immenses, sous le grand ciel, un sentiment nouveau de folle liberté et de puissance, d’appartenance au monde. Bien qu’on ne puisse totalement transférer les caractères d’une culture dans une autre, on peut dire qu’un « esprit chevaleresque », exaltant le courage, l’honneur et la générosité, assez semblable à celui des chevaleries d’Europe, mais sur un mode plus égalitaire, se développe à ce moment chez les tribus des Plaines, et en sera désormais la marque culturelle la plus évidente.


PAHA SAPA
La prise de possession par les clans Titonwan et Yankton d’une partie des Plaines du Nord entre le Missouri et les Bighorn Mountains n’a évidemment pas été une simple promenade. Il est difficile de savoir quelles résistances ils ont rencontrées, quelles alliances ils ont conclues. Il est probable que des petites tribus faibles et dispersées ont eu le bon sens de s’écarter sur le passage de peuples nombreux et déterminés. La place ne manquait pas, les ressources étaient partout abondantes. Vers le Sud, ils se sont heurtés aux puissants Pawnee, installés de longue date dans leurs gros villages faits de huttes de terre et entourés de champs où leurs femmes cultivent le maïs et le tabac. Il s’agit probablement d’un peuple iroquoien installé dans la Prairie, comme en témoignent certaines ressemblances linguistiques et la coiffure rasée caractéristique des guerriers, ainsi qu’un sentiment de parenté qui a subsisté durant des siècles.

Un jour, à l’horizon de l’Ouest, un haut massif de terres sombres, un îlot dans l’océan infini de la Prairie, apparut aux Titonwan. C’était les Collines Noires, Paha Sapa, les Black Hills. Désormais toute la vie de ce peuple allait tourner, au sens propre, autour des collines sacrées. Mais d’autres tribus en défendaient l’accès et les nouveaux venus ont du combattre pour la conquérir. Personne n’a gardé un souvenir clair, historique, de ce qui s’est réellement passé, et surtout pas les Lakota qui disent maintenant avoir été créés dans les Black Hill, et que c’est de Wind Cave, l’une des grottes des Black Hills, qu’est sorti Tokahe, le premier homme. C’est à l’évidence historiquement faux. Les Titonwan n’ont pu aborder cette région avant les années 1750-1760. Mais c’est profondément vrai culturellement et spirituellement. Le peuple titonwan s’est réellement « créé » au contact physique et spirituel de ce lieu exceptionnel. (°)
Les Crow-Absaroka se souviennent d’avoir été repoussés vers le nord par les Lakota, puis par les Cheyenne, après une résistance acharnée, alors qu’ils occupaient le nord-ouest du massif jusqu’aux Big Horn Mountains. Peu nombreux, chassés vers le territoire des puissants Blackfeet, les Crow se trouvaient à la fin du XVIIIème siècle dans une position difficile, devant se battre sur tous les fronts. Ce petit peuple courageux ne mérite pas le discrédit qui s’attache à lui parce que des chefs clairvoyants, dont il serait ridicule de dire qu’ils étaient lâches, ont fait ce qu’ils pouvaient pour protéger leur merveilleux pays et sauver leur peuple d’un anéantissement prévisible. Ils ne pouvaient guère demeurer neutres et refuser de fournir à l’armée américaine des éclaireurs contre les Indiens « hostiles ». Ils avaient aussi toutes les raisons d’en vouloir aux Lakota et aux Cheyenne. Un petit nombre d’hommes crow ayant pris le parti de la résistance ont rejoint, avec leurs familles, les combattants lakota et cheyenne durant la guerre de Red Cloud, entre 1866 et 1868, faisant le sacrifice de leur appartenance tribale.
Les Kiowa, qui tenaient la plus grande partie des Black Hills, ont résisté aux Lakota jusqu'à la fin des années 1770, puis ont abandonné la région pour aller vivre dans les Plaines du Kansas. C’est là qu’ils ont fait alliance avec les Comanche aux côtés desquels ils ont mené jusqu’en 1875 une résistance héroïque, en particulier contre les éleveurs du Texas qui massacraient le gibier dont les tribus dépendaient et mettaient à prix les scalps des Indiens, tous considérés comme assassins et voleurs, afin de « nettoyer les Plaines du Sud de leur vermine indienne » pour y installer leurs troupeaux de vaches.
Les Kiowa ont été, comme leurs alliés comanches, pratiquement anéantis, affamés, déportés, massacrés. Un groupe de Kiowa avait fait alliance avec un petit clan apache qui, quittant ses montagnes de l’Ouest, entrait dans les Plaines, domaine convoité des bisons et des chevaux sauvages. Les deux peuples, d’origine très différente, tenaient conseil ensemble, tout en gardant leur identité tribale, et sont connus sous le nom de Kiowa-Apache.
Ces alliances, respectueuses de l’identité de chacun, apportent un démenti formel à ceux qui affirment que les Indiens se faisaient perpétuellement la guerre, que toute tribu étaient ennemie de toute autre et que les Indiens n’ont jamais été capables de s’unir contre l’envahisseur blanc.


DE NOUVEAUX ALLIES
Les Cheyenne et leurs frères arapaho sont-ils arrivés dans la région des Black Hills avant les Lakota, ou juste après ? Ils tenaient à la fin du XVIIIème siècle la région de Bear Butte, au nord-est du massif, qu’ils considèrent toujours comme leur terre sacrée, ce qui n’empêchait pas certains de leurs clans d’aller chasser à l’ouest jusque dans la vallée de la Powder River, à la limite du territoire crow.
Avec la facilité de mouvement que donnait le cheval, les tribus se déplaçaient ou plutôt tournaient annuellement sur une certaine aire, exploitant au mieux leur territoire. Les sites sacrés n’étaient pas habités en permanence, mais des lieux cérémoniels accessibles à tous. Il était courant que des tribus qui se faisaient la guerre participent aux mêmes cérémonies, en particulier à la Danse du Soleil. Les Omaha, très appréciés pour leurs chants et leurs danses, allaient de tribu en tribu, bien reçus partout. Les Lakota dansent toujours les « Omaha Dances ».
Ainsi, la grande roue-médecine du Wyoming, près de Sheridan, a été utilisée par la plupart des tribus de la région. Les participants aux cérémonies n’étaient plus alors Lakota, Cheyenne, Arapaho, Shoshone ou Crow, mais les enfants du Grand Esprit et de la Terre-Mère rassemblés autour de l’Arbre de Vie et de la Pipe Sacrée.
Toujours est-il que les Lakota ont rencontré les Cheyennes et les Arapaho. Il est possible qu’ils se soient un moment affrontés avant de devenir alliés. Pourtant Grinnel, le grand historien des Cheyenne, affirme que c’est par des Assiniboine, et non par des Lakota, que les Cheyenne ont été attaqués à leur arrivée dans les Plaines de l’Ouest.
Les Assiniboine sont un groupe transfuge des Yankton dont ils seraient séparés au début du XVIIIème siècle et dont ils parlent encore la langue. Ils étaient considérés comme des ennemis par les Lakota qui les appelaient Hohe, les rebelles, et qui leur faisaient la guerre. Sitting Bull, le grand chef hunkpapa, avait, lors d’un combat, sauvé la vie d’un jeune Assiniboine remarquable par son courage et l’avait adopté comme son frère. D’abord appelé Petit Assiniboine, le jeune homme avait reçu le nom de Jumping Bull, le nom du propre père de Sitting Bull.
Dès la fin du XVIIIème siècle, Lakota, Cheyenne et Arapaho, les trois tribus soeurs, faisaient la guerre ensemble, chassaient ensemble, campaient ensemble, se mariaient ensemble. Leurs femmes échangeaient leurs techniques de tannage, leurs modèles de broderie au point qu’il est souvent difficile de savoir si tel objet ancien est cheyenne, lakota ou arapaho.
Pourquoi cette séduction mutuelle entre des tribus aux langues totalement différentes - Cheyenne et Arapaho sont des Algonquin venant de l’est du Canada - et qui semblaient devoir se disputer les mêmes territoires ? Mais ce sont rarement des questions d’intérêt qui causent les guerres entre Indiens. Les Lakota admiraient les guerriers cheyenne qu’ils jugeaient supérieurs pour leur courage au combat, leur stoïcisme devant la douleur, leur mépris de la mort et les risques insensés, qu’ils prenaient par simple bravade. Les femmes cheyenne, grandes, fortes et sculpturales, avaient une réputation de beauté et de vertu qui n’était pas usurpée.
Les Cheyenne étaient un petit peuple comparé aux Lakota qui, au début du XIXème siècle avant que les maladies apportées par les Blancs ne les déciment massivement, devaient compter entre cinquante mille et soixante mille personnes. Les Cheyenne ont toujours du être moins de dix mille et les Arapahos à peu près autant. Aussi, quand à la fin des années 1870, ils tenteront d’échapper à l’anéantissement, les Cheyenne du Nord chercheront-ils désespérément la protection du grand frère lakota.


PIERRE ROUGE
Vers 1770-1780, les territoires du Peuple des Sept Feux s’étirent du Minnesota à l’est du Wyoming.
Les Santee demeurés dans l’Est continuent à mener une existence forestière, déjà plus ou moins touchés par l’avance des Blancs. Certains clans santee ont été contraints de participer à la Guerre d’Indépendance américaine. Une importante responsabilité leur est confiée : la garde de la carrière de pierre rouge, Inyan Sa, qui sert a fabriquer les Pipes, Cannunpa, le lien entre l’homme et le Grand Esprit, utilisée par tous les peuples indiens de l’Est et des Plaines du Nord.
Cette pierre d’un beau rouge éteint, proche de la couleur de peau des Indiens, est connue sous le nom de catlinite. En effet, lors de ses voyages parmi les tribus indiennes encore libres, entre 1832 et 1840, le grand voyageur et peintre George Catlin avait été le premier homme blanc à visiter cette carrière. Il avait entendu parler cette pierre rouge remarquable qui se trouvait sur le territoire des Sioux et qui était accessible à toutes les tribus. Au moment où il avait voulu s’y rendre, il avait appris que les Sioux en interdisaient, depuis peu, l’accès à quiconque. Après de longues négociations, durant lesquelles les Santee avaient exprimé leurs craintes d’une profanation du site, ils avaient néanmoins autorisé Catlin à le visiter, sous l’engagement formel qu’il n’y toucherait pas. Le libre accès avait rétabli quelques temps après.
Mais dès la fin des années 1850, repoussés sur des territoires de plus en plus petits, puis enserrés dans les limites d’une réserve, les Santee n’étaient plus en mesure d’assurer la protection du site de Pipe Stone. Cette pierre, que les Sioux considéraient comme les restes pétrifiés du sang de leurs ancêtres morts lors d’une très ancienne catastrophe, échappa aux Indiens à une époque où les missionnaires auraient vu d’un très mauvais œil que l’on continua à sculpter des « calumets », signe d’obscurantisme et de sauvagerie. Pipe Stone devint un lieu de curiosité pour les touristes qui, étant blancs, estimaient que tout leur appartenait et qui ne manquaient pas d’en prendre quelques morceaux en souvenir.


LE PEUPLE DES SEPT FEUX
Les Yankton et les Yanktonnai établirent leur territoire juste à l’est du Missouri que pour la plupart ils ne franchirent pas. Affaiblis par leur scission d’avec ceux qui étaient devenus les Assiniboine partis s’installer plus au Nord, c’était un peuple moins nombreux, moins conquérant que leurs frères lakota. Précocement christianisés, ils ont peu résisté à l’envahisseur blanc. Le nom Yankton vient de Ihanktonwan, « ils habitent au bout », et le nom Yanktonnais signifie « les petits Ihanktonwan ».

Les clans Titonwan/Lakota, ceux qui avaient poussé le plus loin vers l’Ouest, disputant la région des Black Hills aux Crow et aux Kiowa, uniquement limités au sud par la puissance pawnee, constituaient à eux seuls plus de la moitié de Oceti Sakowin Oyate, le Peuple des Sept Feux, la Grande Nation Sioux.
Peuple fort et conquérant, marchant à travers l’océan infini des Plaines, nation du Bison et du Cheval, du Soleil et des Quatre Vents de l’Espace, ils possèdent un centre cérémoniel, Paha Sapa, « le cœur de leur terre et la terre de leur cœur », dans lequel ils voient le reflet terrestre du Monde des Esprits. Ils possèdent un lien avec Wakan Tanka, le Grand Esprit. C’est Cannunpa, la Pipe, ou plutôt Ptesan Win Cannunpa Wakan, la Pipe Sacrée de la Femme Bison Blanc, jusque là conservée à Green Grass, sur la réserve de Cheyenne River, par une longue lignée de gardiens.

Le mot Titonwan, souvent réduit en Titon ( Teton en anglais ) n’est certainement pas le vrai mot lakota, car il signifierait seulement : « ils vivent ... où ils habitent ». Ce serait plutôt la contraction de Tintatonwan qui, lui, a un sens : « ils habitent les Plaines » (tonwan : habiter ; tin : les Plaines ; ta : aller vers) ce qui décrit parfaitement le peuple marchant à travers les Prairies. La langue lakota est pleine de mouvements et de connexions complexes qu’il est difficile, voire impossible, de traduire.
Le mot Titonwan, ou Titon, n’est presque plus employé, sauf par de petits groupes de traditionalistes très militants. D’où vient donc ce mot « Lakota » qui sert couramment à désigner les Titonwan ? Il vient de la langue, d’une légère différence de prononciation entre les différents groupes de la Grande Nation Sioux, acquise au cours du temps et de l’éloignement des clans émigrant vers l’Ouest.
Si le terme Oceti Sakowin Oyate, (oyate : le peuple ; sakowin : sept ; oceti : le foyer) désigne l’ensemble de la Nation Sioux, il existait dans chacun des dialectes un terme pour désigner les autres groupes de la nation, ceux qui se reconnaissaient comme alliés, parents d’une même origine. Ce mot est « Lakota » dans la langue des Titonwan, « Dakota » dans la langue des Santee et « Nakota » dans la langue des Yankton et Yanktonnai, ainsi que des Assiniboine et des Stoney, des Sioux canadiens. Ce mot signifie dans chacun des trois dialectes « les alliés, ceux avec qui on est en paix parce qu’ils sont nos parents ». « La paix » se dit Wolakota dans la langue des Titonwan, et Wodakota dans la langue santee. On voit qu’il s’agit d’une simple différence de prononciation entre les sons « L », « D » et « N ». Il en existe d’autres. Ainsi, ble veut dire « lac » en lakota, mais se dit mde en santee/dakota. De minimes différences existent entre les trois langues qui sont pourtant parfaitement compréhensibles mutuellement.

Revenons sur la notion de parents, d’alliés, si importante dans les cultures indiennes. Des tribus amies, ou anciennement ennemies, pouvaient parfaitement être adoptées, tout comme les familles indiennes adoptaient facilement et fréquemment des individus. L’un des sept rites apportés aux Lakota par Ptesan Win la Femme Bison Blanc, est prévu pour cela. C’est Hunka Kagapi, « ils font des parents (par adoption) ». Bien que parentes, les diverses nations sioux avaient une totale autonomie les unes par rapport aux autres. Par de « grand chef » comme les Blancs auraient tant aimé en trouver. Les Indiens ignoraient les despotes. Simplement, ils se réunissaient périodiquement pour discuter des affaires importantes et formaient entre eux une grande aire de paix.

Le terme « Lakota » pour désigner les Titonwan est assez récent. Le Père Buechel, un Jésuite auteur de remarquables ouvrages sur la langue lakota, l’emploie dans les années 1940. Il est curieux de voir un peuple désigné par le terme qui lui sert justement à désigner les autres clans de la Nation. Le terme « Lakota » aurait été imposé par les jeunes militants de l’ « American Indian Movement » (AIM) dans les années 1970, pour remplacer le terme « Sioux » jugé offensant. On voit cependant des traditionalistes soucieux d’instaurer des contacts institutionnalisés entre les Sioux réintroduire le terme Titon (Teton) qui se place au même niveau que Santee (Isanati) ou Yankton (Ihanktonwan).
Il n’y a aucune raison de penser que « Dakota » ait été le nom d’origine de la Nation des Sept Feux. C’est improprement que les états des Dakotas ont été nommés par les Américains, alors qu’ils sont le pays des Lakota. Les Santee qui parlent la langue dakota ayant été les premiers parmi les Sioux à voir leurs territoires investis par les Blancs, le nom Dakota a prévalu. De même, on ne peut dire que la langue dakota a été la langue d’origine de tous les Sioux. Elle est simplement la langue des Santee, les Sioux de l’Est, et elle a certainement évolué au cours de temps autant que l’ont fait celles des Titonwan et des Ihanktonwan.
Le mot « Sioux », bien qu’il n’appartienne pas à la langue du Peuple des Sept Feux, demeure un terme bien commode pour désigner l’ensemble d’Oceti Sakowin Oyate, les alliés. D’ailleurs beaucoup de tribus se désignent elles-mêmes comme « Sioux ». On connaît « Oglala Sioux Tribe », « Rosebud Sioux Tribe, « Standing Rock Sioux Tribe », « Cheyenne River Sioux Tribe », « Lower Brule Sioux Tribe ». « Sioux » est un terme politique commode pour marquer l’unité de la Nation des Sept Feux.

Avant l’apparition du cheval, les Plaines n’étaient pas vides d’hommes. Elles étaient parcourues, à la saison des grandes chasses, par des groupes comportant souvent femmes et enfants, à la recherche de gibier. Ces chasseurs emportaient avec eux des tentes de peau de petite dimension et quelques bagages traités par des chiens. Les déplacements étaient longs et difficiles. Les villages permanents demeuraient le long des fleuves, là où les terres alluviales permettaient l’agriculture, les déplacements se faisant surtout par voie d’eau.
Les Mandan, que George Catlin a longuement visités en 1832-1833 avant que deux épidémies de variole plus ou moins délibérément provoquées ne les réduisent de plusieurs milliers à quelques dizaines d’individus, vivaient le long du Missouri dans des villages faits de grandes huttes rondes construites en bois recouvert de terre. Ils lançaient dès les beaux jours des expéditions dans les plaines environnantes pour chasser le bison, l’élan et l’antilope. Ils représentaient certainement la situation qui avait été celle des Titonwan quatre-vingt ans plus tôt.
Pourquoi les Mandan, ainsi que les Arikara, Hidatsa, Minitaree, qui possédaient pourtant des chevaux depuis des générations, n’avaient-ils pas encore choisi la grande liberté des nomades des Plaines ? Certainement bloqués par les Lakota, et peut-être affectés par l’exode des tribus de l’Est repoussées par l’avancée des Blancs qui manifestaient déjà leur présence par des postes militaires et de nombreux comptoirs commerciaux. Ainsi le poste de Fort Laramie, installé sur la rivière Platte, attirait depuis les années 1830 de nombreux Lakota désireux de faire du commerce et d’échanger leurs peaux de bison, de loutre et de castor contre les objets manufacturés qu’ils convoitaient : fusils, haches, outils, étoffes, marmites, perles, et aussi, hélas, alcool.
Convergeant vers les Plaines et les Prairies grâce à la mobilité que leur donnait le cheval, munis d’une habitation mobile parfaitement adaptée, le tipi, voici des peuples de chasseurs nomades qui, en quelques dizaines d’années, vont inventer une nouvelle culture, totalement originale, la grande et brillante civilisation des Indiens des Plaines d’Amérique du Nord.


PRIMITIFS ?
Il est habituel d’appliquer à la société indienne des Plaines le terme de « primitive », auquel on ajoutait encore récemment « barbare et païenne », comme allant de soi pour une majorité de gens.
Primitifs ? Oui, si l’on veut dire « premier, primordial », plus près de la source. D’ailleurs les Indiens disaient : « Nous nous souvenons des instructions que le Grand Esprit a données à nos ancêtres au commencement des temps. Il leur a dit comment vivre et nous continuons à vivre selon ses instructions. Les Blancs, eux, les ont oubliées ». Ils se considéraient comme plus anciens, plus sages, plus près des origines, confortés dans cette idée par les folies criminelles qu’ils voyaient les Blancs commettre, tel que massacrer le gibier, couper les forêts, arracher l’herbe de la Prairie pour y faire naître d’énormes tempêtes de poussière, ou éventrer les montagnes pour y trouver de l’or.
Primitifs à cause d’un manque de technique ? Leur a-t-on assez reproché de ne « même pas avoir su inventer la roue ! » Disons que, sans gros animaux de trait, ce n’était peut-être pas là une invention de la première urgence.
« Encore à l’âge de pierre ! » Oui, ce qui ne veut pas dire qu’ils étaient au XIXème siècle exactement au même niveau mental et technique que les Magdaléniens d’il y a 20 000 ans. Le temps avait passé pour eux aussi. Les tribus des Grands Lacs connaissaient la métallurgie du cuivre, abondant dans leur région, et qu’ils travaillaient par martelage pour en faire des armes, des bijoux. Les Blancs ont été surpris de voir comment certains Indiens avaient vite assimilé les techniques de la forge qui leur permettaient de réparer leurs fusils et de façonner de petits objets métalliques, ainsi que le fonctionnement complexe d’une arme à feu. Les Indiens avaient des arcs et des flèches si élaborés, si performants que des armes semblables n’ont été inventées sur l’Ancien Continent que bien après l’âge de pierre. Ces armes n’étaient guère inférieures en portée et en puissance aux premiers fusils des Européens, elles étaient beaucoup plus rapidement rechargées, et les Indiens les ont longtemps préférées à cause de leur silence et de leur facilité de fabrication. Elles étaient les armes des embuscades auxquelles les Blancs se sont bien souvent laissés prendre. Une flèche tirée de près par un chasseur entraîné pouvait transpercer un bison de part en part.
Les techniques des Indiens étaient simples et permettait à chaque groupe d’être indépendant. Plutôt que de les traiter avec mépris, on ferait mieux d’admirer leur capacité à tirer directement et immédiatement du milieu naturel tout ce qui était nécessaire à leur vie.
Songeons à la situation des quelques cent cinquante Cheyenne du Nord conduits par le chef Little Wolf, atteignant enfin les Black Hills à la fin de février 1879, après une marche épouvantable de mille cinq cent kilomètres, fuyant la réserve d’Oklahoma où on les avait déportés et où ils mouraient de faim. Voici des gens absolument épuisés, ayant connu la famine, le manque d’abri et de vêtements durant tout un hiver dans les Plaines du Nord, certains blessés, poursuivis jour et nuit par l’armée et les milices que les bons citoyens américains levaient sur leur passage. Ils n’avaient presque plus de chevaux, plus de munitions pour leurs vieux fusils. Pourtant, avec leurs couteaux, quelques haches, des outils simples, les savoir-faire des hommes et des femmes et leur courage, ils ont rapidement reconstitué leur vie en tirant parti du milieu naturel riche qui s’offrait à eux. De l’eau, du bois, des plantes sauvages qu’ils savaient utiliser et, surtout, du gibier en abondance, et ils avaient tout ce qu’il fallait pour se nourrir, se vêtir, s’abriter, se chauffer, dans des conditions où des Blancs, même au XIXème siècle, se seraient trouvés complètement démunis. Il suffit de rappeler le drame de cette caravane de colons allant vers la Californie dans les années 1850 qui s’était trouvée bloquée par la neige durant tout un hiver dans les Rocheuses. Bien que possédant des armes et des outils et, pourrait-on le penser, des savoir-faire bien supérieurs à ceux des Indiens, ces malheureux avaient été incapables de chasser, de se déplacer et avaient fini par s’entre-dévorer. On ne voit pas bien là quelle est la supériorité des Blancs et l’infériorité des Indiens.
Pourtant, à la fin du XIXème siècle, et bien plus récemment, quand leur terres et leurs moyens d’existence leur ont été enlevés, on a fait honte aux Indiens d’être des assistés, tributaires des rations que la nation américaine leur octroyait généreusement, incapables de se suffir à eux-mêmes parce que paresseux et ignorants.


EQUILIBRE ET MODERATION
S’ils tiraient tout du milieu naturel, ils n’en abusaient pas pour autant. Il y a tout lieu de penser que la vie humaine aurait pu ainsi se perpétuer indéfiniment en Amérique, pour peu que ses habitants originels aient pu continuer à développer leur culture de manière modérée et respectueuse de la création comme ils le faisaient depuis quelques milliers d’années. Le monde moderne est loin d’être aussi assuré de son avenir que l’était le monde indien il y a seulement deux ou trois siècles ....
Les premiers Européens débarquant en Amérique ont découvert avec émerveillement un continent débordant d’une vie riche et variée que beaucoup n’hésitèrent pas, avec une justesse qu’on ne mesure que maintenant, à comparer au Paradis Terrestre d’avant le Péché Originel. Les récits des premiers voyageurs sont pleins de descriptions enthousiastes dans le style « ... ces rivages où la main de la Nature a répandu ses bienfaits ». Jusqu’au milieu du XIXème siècle, là où vivaient les tribus libres, le gibier était abondant, les forêts intactes, les eaux pures. Il aurait été évidemment suicidaire pour les Indiens de ruiner le milieu naturel où ils puisaient leur vie. Mais tous les peuples sont-ils capables d’une telle modération, d’une telle capacité à se projeter dans l’avenir, jusqu’à la septième génération ?
Ce que nous voyons se dessiner à l’échelle mondiale incline à penser que non. Plutôt que de développer la religion du Progrès qui fait croire aux sociétés modernes qu’on ne sait quel « miracle de la Science » va les sauver de la surpopulation, de la pollution de l’air et des eaux, de l’épuisement des ressources et des conflits qui vont fatalement en résulter, les Indiens avaient la sagesse de ne prélever pour leur vie que ce qui était nécessaire, sans entamer ce capital vivant que le Grand Esprit avait confié à la garde de la race humaine en tant qu’espèce possédant la plus haute conscience parmi les êtres vivants, les enfants de Maka, la Terre.
Quand les Lakota disent dans leurs prières Mitakuye oyasin « Nous sommes tous parents », ils ne se disent pas seulement liés aux personnes présentes, ni même à l’ensemble des hommes, ils se disent solidaires de toute la création. C’est cette dimension universelle, cosmique, prenant en compte la totalité du vivant, qui fait l’originalité des religions indiennes et les distinguent du christianisme ou, plus largement, des religions du livre issues du Moyen Orient, totalement centrées sur l’homme.

Il est vrai que les Indiens d’Amérique du Nord étaient peu nombreux, surtout après que les guerres et les épidémies les aient fortement réduits. Sélectionnés depuis la nuit des temps par une vie rude qui ne laissait subsister que les plus forts, ils résistaient plus que tous autres à la faim, au froid, à la douleur, à la fatigue, même aux blessures. On connaît des cas presque incroyables d’Indiens ayant récupéré de blessures graves et multiples. Ils pouvaient se tenir à cheval, marcher et combattre avec plusieurs balles dans le corps, ce qui permettait de dire que les guerriers blessés « vendaient chèrement leur vie ». On sait combien de temps certaines victimes lakota du massacre de Wounded Knee du 29 décembre 1890 ont mis à mourir, blessées par les balles explosives des mitrailleuses Hotchkiss et exposées au blizzard durant plusieurs jours et plusieurs nuits. Pourtant, ces pauvres gens menaient depuis plusieurs années la vie misérable et débilitante de la réserve. Mais le bon fond de force et de vitalité subsistait.

Les médecins indiens, les pejuta wicasa des Lakota, maîtrisaient une pharmacopée efficace et des techniques de soins physiques et psychologiques qui suffisaient généralement à faire face aux maladies peu nombreuses qui affectaient leur peuple. George Catlin les a vus, au milieu du XIXème siècle, sains, résistants, vigoureux, « beaux au-delà de toute description » et manifestement heureux. Catlin pensait qu’ils avaient une longévité supérieure à celle des Blancs, ce qui ne manquera pas de surprendre.
Il est communément admis que les « primitifs » ne bénéficiant pas de la médecine moderne et vivant, croit-on, dans des conditions constamment précaires, à la limite de la survie, ne dépassent pas trente ou quarante ans. Ce n’était pas vrai pour les Indiens d’Amérique du Nord, alors que cela peut l’être pour des peuples tropicaux exposés à de nombreux parasites. Les Lakota considéraient qu’à partir de cinquante ans, on commençait à « descendre l’autre versant de la colline », c’est-à-dire qu’entre quarante et cinquante ans, on avait seulement atteint la plénitude de ses forces et de ses capacités, le « sommet de la colline ». Cela est en contradiction avec une population mourant massivement avant quarante ans, comme le prétendent ceux qui veulent à tout prix faire croire que ces peuples indiens vivaient dans le malheur et l’ignorance, jusqu’à ce qu’un peuple « civilisé et chrétien » ne vienne les sauver.
On sait ce qu’il en est actuellement. Malgré les soins dont ils sont censés bénéficier, la mortalité des Indiens aux Etats-Unis et au Canada est effroyable. L’espérance de vie masculine est officiellement de 61 ans pour les Indiens des Etats-Unis, alors qu’elle est de 69 ans pour les Noirs et de 75 ans pour les Blancs. Mais ce chiffre prend en compte les nombreux métis urbains dont les conditions de vie se rapprochent de celles des Blancs. En fait, elle est de 49 ans sur certaines réserves, en particulier les réserves lakota, extrêmement touchées par la misère, l’alcoolisme, les accidents, le suicide, en fait tous les maux qu’engendre le désespoir. Quel « progrès » pour ces gens qui n’ont jamais demandé à être civilisés !


FEMMES ET ENFANTS
La société lakota était divisée en société des hommes et société des femmes. Chaque sexe travaillait en une parfaite complémentarité. Les activités des hommes n’étaient pas supérieures à celles des femmes, elles étaient simplement différentes.
Les femmes indiennes ont été souvent décrites comme les esclaves de leurs maris, de leurs frères. Avant l’arrivée des chevaux, elles portaient en effet les enfants et une partie des bagages qui ne pouvaient être traînés par les chiens lors des déplacements des camps, les hommes devant pouvoir à tout moment utiliser leurs armes pour la chasse ou la défense du groupe. Elles montaient les tipis, tannaient les peaux, portaient l’eau, le bois, des travaux de force et de pénibilité. L’explorateur George Catlin, qui a voyagé parmi les tribus dans les années 1830, remarque pourtant que les femmes indiennes des Plaines accomplissaient leurs rudes travaux avec une bonne volonté et un même enthousiasme qui l’étonnaient. Chacun avait le sentiment d’être utile à ses proches, de participer au bien-être du groupe.
Les femmes lakota n’accomplissaient pas que des travaux pénibles. Elles disposaient de temps consacré à la fabrication de beaux vêtements, de couvertures, de sacs, de parures, superbement décorés de piquants de porc-épic ou de perles, admirés et valorisés à l’égal des exploits des hommes. George Catlin signale encore que les jeunes femmes indiennes étaient de remarquables cavalières, d’excellentes nageuses et qu’elles se livraient souvent entre elles à des jeux d’adresse et de vitesse. L’accomplissement de chacun, homme ou femme, garantissait la bonne santé de la tribu. Certaines femmes lakota, reconnues pour leur expérience et leur sagesse, devenaient des guérisseuses, maîtrisant l’usage des plantes et de nombreuses techniques de soins.
Les femmes indiennes n’étaient pas « vendues en mariage » comme l’ont dit les détracteurs systématiques des Indiens. Un rituel social très élaboré permettait aux jeunes gens et aux jeunes filles de se rencontrer et de se connaître. L’avis de la jeune fille, aussi bien que celui du jeune homme, était écouté. Il est bien certain que des pressions pouvaient être exercées sur les jeunes gens, le mariage étant tout autant une alliance entre deux familles qu’entre deux personnes, et que le prestige des individus comptait beaucoup. Les jeunes Indiennes subissaient probablement des pressions comparables à celles que les familles européennes ont exercé sur leurs filles jusqu’au XIXème siècle, quand l’aspect patrimonial du mariage était très important.
Quand la famille du jeune homme estimait avoir ses chances, la demande en mariage se faisait par l’offre d’un ou plusieurs chevaux que le prétendant attachait discrètement près du tipi de la jeune fille. S’il s’agissait de chevaux pris à l’ennemi, le don prenait une valeur particulière, étant la preuve vivante des qualités de courage et d’adresse du jeune homme. Si le père de la jeune fille les prenait et les conduisait dans son troupeau, la demande était acceptée. Les futurs époux étaient alors autorisés à se fréquenter officiellement, durant les longs mois que requérait la préparation du mariage, sous la discrète surveillance de quelque chaperon. Tout un échange de cadeaux et de services avait lieu entre les deux familles, ayant pour but de fournir aux jeunes mariés ce qu’il fallait pour s’installer dans la vie. La famille de la jeune fille fournissait le tipi, la pièce principale de l’installation, qui demeurait la propriété personnelle de l’épouse Les deux familles participaient aux importants frais du mariage qui était l’occasion non seulement d’un vaste banquet, mais aussi d’une distribution de cadeaux aux membres du clan, une pratique qui marquait tous les événements familiaux importants chez les Indiens des Plaines. C’est ce que l’on appelle couramment le « give away » et auquel sont toujours attachées les familles indiennes traditionalistes.
Le divorce était facile chez les Lakota. Un homme pouvait « jeter » sa femme, mais à condition de s’être assuré que sa famille acceptait de la reprendre, ou qu’un autre homme était disposé à se charger d’elle. Les divorces et les remariages étaient fréquents, les Indiens ne donnant pas au lien matrimonial un caractère sacré comme le font les chrétiens. La femme pouvait mettre son mari à la porte du tipi en déposant simplement dehors ses armes et ses effets personnels. Cela se compliquait évidemment en cas de polygamie, qui ne touchait à l’origine qu’un petit nombre d’hommes. Souvent une sœur plus jeune devenait la seconde épouse. Des hommes importants qui menaient un grand train de vie devaient obligatoirement avoir plusieurs femmes, la domesticité étant inconnue. Le nombre d’épouses, comme celui des chevaux, était un élément de prestige.
Chez les Indiens des Plaines, le nombre d’hommes a toujours était inférieur à celui des femmes, les chasseurs guerriers menant une vie beaucoup plus dangereuse que celle des femmes. Cette différence n’a fait que croître avec l’état de guerre permanent que l’invasion des Blancs a imposé aux sociétés indiennes. Dans la seconde moitié du XIXème siècle, la polygamie s’était par nécessité fortement accrue, au moment même où les autorités américaines, voulant « moraliser » les Indiens, avaient entrepris de l’interdire.
Des peuples nomades, disposant de ressources irrégulières, ne pouvaient se permettre de traîner derrière eux une nombreuse progéniture, ni des femmes perpétuellement enceintes. Aussi les Indiens avaient-ils relativement peu d’enfants, deux ou trois en moyenne par femme, alors que les Blanches en avaient au moins le double. Les Blancs se flattaient de cette prolifération, estimant qu’elle marquait la force de leur race et les bénédictions du Seigneur. Les Indiens s’efforçaient de réduire, ou du moins d’espacer fortement les naissances par une certaine modération sexuelle contrôlée par toutes sortes d’interdits, et que les Blancs ont vite considérée comme une faiblesse et un manque de virilité. Les fréquentes expéditions de chasse, de guerre ou de commerce tenaient les hommes longuement éloignés de chez eux et brûlaient leur surcroît d’énergie. On considérait qu’un enfant devait, au moins, se déplacer aisément tout seul avant la naissance du suivant. Les mères pratiquaient l’allaitement prolongé et il paraît qu’il existait des plantes contraceptives dont les femmes indiennes usaient en cas de besoin. La mortalité infantile chez les Blancs demeurait forte, même au XIXème siècle. Celle des Indiens vivant dans un milieu sain, était faible. Ils connaissaient surtout une mortalité due aux accidents d’une vie de nomades et de chasseurs.
Les enfants lakota sont appelés wakanhejapi (ils sont sacrés), ce qui témoigne de leur importance dans la société traditionnelle. Ils sont traités avec une extrême affection par leur mère et les femmes de la famille. Les pères, les grands pères, les oncles participent à l’éducation des jeunes enfants. Quand l’enfant atteint six ou sept ans, les femmes s’occupent plus particulièrement des filles et les hommes des garçons. Tous les enfants, même les garçons jusqu’à l’adolescence, ont le devoir d’aider les femmes à monter le tipi, ramasser le bois, récolter les baies et les racines.
Les enfants lakota sont libres, mais responsables de leurs actes. Ils ne sont jamais frappés, ni même directement punis. Les Lakota ont été indignés de voir des enfants blancs fouettés par leurs parents. L’adhésion à la morale de la société lakota doit être librement consentie, la contrainte et la crainte ne pouvant créer que des frustrés, des ennemis de leur propre peuple. La cohésion familiale, l’adhésion aux valeurs tribales, le consensus social sont absolument essentiels. La société lakota éduque ses enfants par l’exemple de la pratique des valeurs de courage, de générosité, d’endurance et de sagesse.


GUERRIERS
Une société uniquement orientée vers la guerre ? Oui, on peut certainement dire : dont la guerre était le moteur principal. Mais il faudrait d’abord s’entendre sur la notion de « guerre » dans les sociétés indiennes des Plaines.
Les Indiens ne faisaient pas la guerre comme les Blancs, ni de la même manière, ni pour les mêmes raisons. Certaines guerres ont été des guerres de conquête, quand une tribu se déplaçait et cherchait à prendre la place d’une autre, comme cela s’est produit à l’arrivée des Titonwan dans les Plaines de l’Ouest. Les Crow qu’ils ont repoussé, les Shoshone dont ils ont arrêté la progression vers l’est, les Kiowa qu’ils ont contraints à partir vers le sud, ont été affaiblis, certainement réduits, mais il existait toujours des Crow, des Kiowa, des Shoshone. Aucune guerre à outrance ayant pour but de les anéantir n’a été menée contre eux par les Lakota qui, alliés aux Cheyenne et aux Arapaho, constituaient une puissance qui leur aurait permis d’anéantir la plupart des tribus de la région. La totale destruction de l’ennemi n’était pas dans les moeurs indiennes. Même les nations notoirement hégémoniques comme les Iroquois qui ont mené des guerres implacables et extrêmement cruelles contre les Huron, les Erié, les Neutral, adoptaient les vaincus qui avaient échappé à la fureur de leurs attaques. Au XVIIIème siècle, environ le quart de la population iroquoise était constituée d’ennemis adoptés.
Les Lakota ne voyaient aucun intérêt à la destruction de leurs ennemis. La tribu avait besoin d’adversaires valeureux et forts. A qui seraient-ils allés lancer des défis, voler des chevaux et enlever des femmes ? La guerre indienne était un combat dangereux et rude qui permettait aux hommes de faire preuve des qualités valorisées par la société : courage, habileté, mépris de la mort, force d’âme dans l’adversité, dévouement à ses frères d’armes, générosité envers l’ennemi.
Un ennemi en fuite qui reconnaissait sa défaite et avait perdu la face n’était jamais poursuivi. Les femmes et les enfants n’étaient jamais systématiquement tués. Quand un village était attaqué, les non-combattants couraient se cacher sur les rives d’un cours d’eau, ou dans un petit bois afin de se mettre à l’abri du combat et des accidents toujours possibles, les hommes ne prenant pas, il faut le reconnaître, de précautions particulières pour les épargner. Il n’était pas exceptionnel que des scalps de femmes soient pris si c’était la preuve d’une audace remarquable comme d’avoir pénétré seul dans le camp ennemi. La prise d’un scalp de femme était aussi admise de la part d’un tout jeune guerrier qui faisait ses premières armes. Mais il ne fallait pas y revenir trop souvent. Personne n’aimait se voir moquer et traiter de « tueur de femmes », surnom infamant donné par les Indiens au général William S. Harney après le massacre d’Ash Hollow en 1855 et au lieutenant-colonel George A. Custer après celui de Washita River en 1868. Les grands guerriers se flattaient de ne jamais tuer de femmes.
C’était avant tout la prise de risque, le mépris du danger, les actes de dévouement, souvent au détriment de l’efficacité, qui importait dans les combats - disons combats plutôt que guerre. La guerre comporte une intention forte, une implacabilité, une mise en œuvre de moyens importants, un suivi et une discipline tout à fait étrangers aux Indiens. La technique de combat était celle des petits groupes de guerriers conduits par un chef de guerre occasionnel qui a réuni autour de lui des hommes qui se sont engagés à le suivre pour venger une quelconque injure ou simplement pour l’aider à capturer les chevaux qu’il veut offrir à ses futurs beaux-parents.
Il est rapporté que, lors d’un mariage, les mariés, accompagnés des jeunes hommes et des jeunes femmes de la noce, partaient à cheval dans la prairie à la recherche d’un ennemi de bonne volonté avec lequel les hommes de la troupe s’affrontaient, donnant aux femmes rassemblées sur une colline le spectacle et les émotions du combat au cours duquel tout était fait pour mettre en valeur le jeune époux. Un père dont le fils arrivait à l’âge de ses premiers exploits s’entendait avec d’autres pères pour que son fils, avec quelques uns de ses jeunes compagnons, traverse au galop un camp ennemi en poussant des cris de guerre, ou s’empare de quelque trophée sans pour autant y laisser la vie. A charge de revanche .... Cela s’est fait surtout à la fin du XIXème siècle, quand l’invasion blanche et l’enfermement progressif dans les réserves avaient cassé les relations de guerre traditionnelles entre tribus.
La pratique bien connue des « coups » est révélatrice du système de valeurs des Indiens au combat. Il s’agissait de toucher un ennemi encore armé, ou au moins vivant, avec la main, ou le bois de l’arc, ou un bâton spécialement destiné à ce genre d’exploit. C’était là un acte infiniment plus valorisé, donc socialement plus rentable, que la prise de scalps. C’est le risque pris lors d’un combat, en particulier en sauvant un compagnon, qui assurait la gloire d’un homme avec toute la promotion sociale qui s’y rattachait. Il serait naïf de penser que de grandes cruautés n’étaient jamais commises, mais la méchanceté gratuite, hors de toute justification de vengeance, était mal vue et considérée comme venant d’un mauvais cœur. Les Indiens se vengeaient, si l’on peut dire, de manière personnalisée. Un père, dont le fils avait été tué, cherchait à abattre le fils de son ennemi, et non pas tout son clan. « Œil pour œil » certes, mais pas au-delà. On est bien loin de cette boucherie atroce et systématique que les Blancs ont toujours voulu voir dans la guerre indienne.
Les Indiens n’éprouvaient aucun plaisir à faire la guerre aux Blancs. Ils ne comprenaient pas leur façon de combattre. Ils étaient déconcertés par le comportement mécanique et déshumanisé des soldats, et s’étonnaient que les Blancs puissent voir tomber leurs compagnons avec une telle indifférence, comme si de rien n’était, alors que pour eux, toute mort était marquée par des cris de douleur, de rage et de défit, souvent suivis par une charge intrépide pour venger un frère. Ils accusaient les Blancs d’abandonner leurs morts, voire leurs blessés, sur le champ de bataille. Les Indiens prenaient les plus grands risques pour ramener leurs morts et leurs blessés. Tout guerrier était capable, de son cheval lancé au galop, de ramasser un corps étendu sur le sol. Il n’existait pas entre les soldats les liens forts de l’amitié et de la parenté qui soudaient entre eux les guerriers indiens.
Indiens et Blancs n’avaient pas les mêmes valeurs au combat. Le soldat sur lequel un brave venait de « compter un coup » ne se sentait nullement humilié et potentiellement mort et n’hésitait pas à tirer dans le dos de son vainqueur. Dans les combats entre Indiens, les duels entre quelques guerriers valeureux étaient fréquents. Ils constituaient un spectacle très apprécié des deux partis et décidaient souvent de l’issue de la rencontre. On pense au combat des Horaces et des Curiaces, et George Catlin décrit un duel entre le Mandan Mato Tope et un chef cheyenne qui n’a rien à envier aux combats des héros de l’Iliade. Les soldats poursuivaient les Indiens quand ceux-ci étaient à court de munitions, fatigués, affamés et désiraient se retirer, ce qui est un manque certain de courtoisie. Les combats entre Indiens avaient rarement un acharnement extrême et ils cessaient avec la nuit, ou le trop mauvais temps, quand les hommes en avaient assez. Ce manque d’opiniâtreté et de suivi dans leurs actions les a beaucoup desservis dans leur lutte contre les Blancs, menée par ailleurs avec courage et habileté. L’invasion massive et généralisée d’un ennemi très déterminé, techniquement supérieur et dénué de scrupules a mis les Indiens devant une situation totalement nouvelle à laquelle ils ne pouvaient faire face.
Le guerrier indien n’était pas un soldat. Les combattants indiens n’ont jamais constitué une armée. Il n’y avait chez eux aucune caste de combattants qui aurait pu se mettre au service d’un pouvoir oppresseur. Tout homme était à la fois guerrier et chasseur, dresseur de chevaux, protecteur de sa famille, éducateur de ses enfants et voix au conseil. Il arrivait que, par choix ou par nécessité, à un certain moment de leur vie, des hommes se consacrent à l’artisanat comme la fabrication d’outils, de flèches, de boucliers, ou à la visite d’autres peuples ou à des activités cérémonielles. Beaucoup d’hommes, après quelques expéditions de guerre qui leur avaient acquis une honorable réputation, se contentaient d’être de bons chasseurs, pourvoyeurs de leurs familles et de tous ceux qui se trouvaient dans le besoin. Quand un guerrier partait en expédition, il confiait sa famille à un chasseur restant au camp.
Si la tribu perdait ses guerriers, sa survie était menacée. Aussi, les chefs de guerre ménageaient la vie de leurs hommes et ne les exposaient pas inutilement. Rien n’est plus éloigné de la vérité que ces films où l’on voit les Indiens lancer ces charges aussi stupides qu’inutiles où ils périssent par dizaines. Dominés par un ennemi supérieur en nombre et en armement, les Indiens rompaient le combat sans aucune honte. Par contre, acculés, sans possibilité de fuir, ils combattaient jusqu’au bout plutôt que de se rendre. Les chefs étaient comptables auprès des familles, en particulier des mères, de la vie des hommes qui leur avaient fait confiance. La véritable victoire était le retour sain et sauf de tous les guerriers. Si un chef avait la réputation d’envoyer ses hommes à la mort, il ne restait pas longtemps chef. On exigeait de lui autant de discernement et de sagesse que de bravoure.


CRIMES, TRAHISONS ET MENSONGES
Contrairement à ce qui a été constamment prétendu, les Indiens n’étaient nullement « assoiffés du sang des Blancs ». Avant que les envahisseurs ne deviennent pour eux une menace claire et directe, les Indiens n’éprouvaient pour eux aucune hostilité et l’on peut même dire qu’ils ont souvent montré à leur égard une patience et un désir de paix tout-à-fait remarquables.
On ne rappellera jamais assez que, depuis leur premier débarquement sur la côte atlantique au XVIème siècle, les Blancs ont partout été accueillis en hôtes par les Indiens. On a vu la reconnaissance que ces Puritains anglais ont eue pour ces gens qui les nourrissaient et les faisaient asseoir à leur feu. Les colons n’ont jamais mis cet accueil généreux au crédit des Indiens. Pour eux, « le Seigneur avait bien voulu rendre ces sauvages amicaux », poursuivant sans doute ainsi un grand dessein qui annonçait la « Manifest Destiny » dont le peuple américain n’allait prendre clairement conscience qu’au milieu du XIXème siècle.
Clark et Lewis, qui conduisaient la grande expédition ordonnée par le président Jefferson pour reconnaître les territoires de l’Ouest, et qui d’ailleurs méprisaient totalement les Indiens, ont été sauvés par les Nez Percé qui leur avaient fourni des vivres et des guides durant leur difficile traversée des Montagnes Rocheuses durant l’automne 1805. L’amitié avec les Blancs était devenue traditionnelle chez les Nez Percé. Pourtant, on sait ce qu’il est advenu de la tribu de Chef Joseph soixante-dix ans plus tard.
Fremont, Bodmer, Catlin, le capitaine Bonneville qui alla jusqu'à traiter les Indiens de « peuple de saints », les pères Hennepin, de Smet, tous sont revenus sains et sauf de leurs voyages chez les tribus indiennes. Le Père De Smet voulait finir sa vie chez les Indiens qu’il aimait et dont il disait qu’ils étaient « tous des gentilshommes ». Sitting Bull a gardé jusqu'à sa mort le crucifix que lui avait donné le Père qu’il respectait profondément.
« Je n’ai jamais craint ni pour mes biens, ni pour ma vie », déclarait le peintre George Catlin qui avait passé des années au milieu des nations indiennes de l’Ouest, sans autre protection que l’hospitalité et la générosité de ses hôtes. Il semble qu’il était moins dangereux de parcourir l’Ouest au milieu des « peuplades sauvages », qu’il ne l’est de nos jours de traverser de nuit Central Park, en pleine ville de New-York. Où est la sauvagerie ?
La liste est longue des trahisons honteuses et des crimes commis par les Blancs contre des Indiens qui ne demandaient rien d’autre que de pouvoir continuer à vivre dans leur propre pays. Limitons-nous à quelques exemples pris dans l’Ouest au XIXème siècle.
Cochise, le chef apache chiricahua, avait été pendant de nombreuses années l’ami des Blancs qui s’étaient installés près de son village, jusqu'à ce qu’un lieutenant félon ne tente de le capturer sous un prétexte mensonger et ne fasse assassiner sa famille, afin de provoquer la guerre et de justifier la conquête du territoire chiricahua.
Mangas Coloradas, le vieux chef apache mimbreno, visitait un camp de mineurs en 1851 quand ceux-ci l’avaient saisi et, « pour s’amuser », l’avaient attaché, fouetté et laissé pour mort. Le même Mangas Coloradas, venu en 1863 parlementer avec un officier, était capturé puis abattu par les soldats qui le gardaient, après avoir été torturé avec des baïonnettes rougies au feu.
Lors de ce stupide incident dit « de la vache du Mormon » qui, le 19 août 1854, allait déclencher la guerre dans les Plaines du Nord, le chef brûlé Conquering Bear avait réussi à retenir ses guerriers, alors que le lieutenant avait déjà fait tirer au canon sur son village. La seconde salve, mieux ajustée, blessait mortellement le chef et tuait plusieurs guerriers. Les Brûlé anéantissaient alors la troupe du lieutenant Grattan. Non contents d’avoir été les agresseurs, les soldats américains commandés par le général William Harney se « vengeaient » un an plus tard à Ash Hollow sur un camp de brûlé innocents, perpétrant contre les femmes et les enfants des atrocités qui, avec neuf ans d’avance, annonçaient le massacre des Cheyenne à Sand Creek.
Black Kettle et White Antelope des Cheyenne du Sud passaient avec raison pour des hommes de paix et d’une grande humanité. Ces Cheyenne ne demandaient pour leur peuple que le droit de vivre, un droit que leur refusaient les officiers, les politiciens ambitieux et la population blanche du Territoire du Colorado. Le malheureux White Antelope mourut à Sand Creek, chantant son chant de mort, scalpé, mutilé, alors qu’il tentait de protéger les femmes et les enfants rassemblés autour de lui sous le drapeau blanc. On a du mal à croire que Black Kettle, ayant échappé à l’horreur de Sand Creek, ait encore après cela parlé de paix. Et pourtant, c’est encore sous un drapeau blanc qu’en novembre 1868, le régiment du déjà fameux lieutenant-colonel Custer massacrait à Washita River sur la réserve cheyenne, un camp de femmes et d’enfants, de vieillards et de malades, confiés à la garde du pacifique Black Kettle, pendant que des guerriers, suivant de jeunes chefs déterminés à se battre, tentaient désespérément de contenir la marée montante de l’invasion blanche. On peut dire que si les Cheyenne s’étaient donné pour chefs des hommes comme Black Kettle et White Antelope, ils ne pouvaient pas être tout-à-fait mauvais.

Il paraît certain, maintenant qu’une grande masse de documents se trouve accessible, témoignages de toutes sortes aussi bien que documents officiels, que les Indiens ont été volontairement et systématiquement calomniés. En 1885, à la conférence annuelle de Mohonk Lake où les « Amis de l’Indien » décidaient de la politique indienne des Etats-Unis, Philip Garrett, un avocat de Philadelphie peu suspect de sympathie pour les Indiens, le reconnaît formellement. Il dit : « Une opinion publique hostile, inhumaine, prêtant l’oreille aux fausses accusations portées contre les Peaux Rouges existe le long de la Frontière ». Il parle de ceux qui dans l’Ouest « exigent réparation d’outrages et de torts imaginaires imputés aux Indiens ». On ne saurait être plus clair. Il fallait montrer les Indiens sauvages et cruels à l’encontre des braves pionniers afin de justifier leur élimination, en particulier le massacre de femmes et d’enfants qui paraissait choquant à certaines personnes, du moins dans l’Est. « Des bêtes sauvages à éliminer », tel est le portrait que faisaient d’eux les chercheurs d’or, les promoteurs des chemins de fer, les éleveurs qui voulaient remplacer les bisons par du bétail, les chasseurs de scalps hommes de main des éleveurs, ainsi que les militaires avides de victoires et de promotions.
Cette campagne calomnieuse était orchestrée par le général Philip Sheridan (vous savez, l’homme de « l’Indien mort »….) avec la complicité active du général William Sherman, commandant en chef de l’armée des Etats-Unis dans les années 1860-1870, autre héros de la Guerre de Sécession durant laquelle ils s’étaient l’un et l’autre fait la main en ravageant le Sud.


PRISONNIERS
Les Blancs sont persuadés que toutes les tribus indiennes torturaient leurs prisonniers, que c’était là le sort inévitable réservé au malheureux tombé entre leurs mains. Aussi était-il recommandé aux Blancs sur le point de succomber lors d’un combat de « garder la dernière balle pour eux-mêmes » ou pour ceux qu’ils aimaient afin de leur éviter « un sort pire que la mort ». Des hommes abattaient leurs compagnons, des maris tuaient leur femme, des pères leurs enfants. Qu’en était-il vraiment ?
Des tribus de l’Est, en particulier les Iroquois, les Huron et beaucoup d’Algonquin, avaient fait de la torture une véritable cérémonie se déroulant devant le peuple assemblé, à laquelle les femmes participaient activement, et comportant des scènes d’anthropophagie. Il y a trop de témoignages concordants pour en douter. Qui étaient les malheureux promis aux effroyables tourments du poteau de torture ? D’abord, des prisonniers sur lesquels des mères, des épouses, aveuglées par le chagrin, avaient décidé de venger la mort d’un guerrier. Rappelons que beaucoup plus fréquemment ces femmes en deuil adoptaient un prisonnier à la place de l’époux, du fils, du frère mort et qu’elles le traitaient avec l’affection qu’elles auraient montrée à leur parent décédé. Il y avait aussi les hommes très braves qui refusaient l’adoption, ne voulant pas abandonner leur identité tribale s’il s’agissait d’Indiens, ou refusant de devenir indien dans le cas des Blancs. Comme l’adoption comportait souvent l’obligation d’épouser une femme indienne, on a vu des cas, rares il faut le dire, d’hommes blancs préférant une mort horrible à un mariage imposé. Il s’agissait surtout de prêtres catholiques. On cite le cas des pères Jean de Brébeuf et Gabriel Lalement, des Jésuites torturés à mort par les Mohawk en 1649 en compagnie de Huron christianisés.
En ce qui concerne les Indiens des Plaines, et les Sioux en particulier, rien n’accrédite la torture des prisonniers. George Catlin, qui avait été un témoin privilégié des cultures indiennes des Plaines, n’en parle pas. Il serait étonnant que, durant les huit années de voyages durant lesquelles il a vu du monde indien tout ce qu’il voulait voir, il n’ait jamais vu torturer de prisonniers si cela se pratiquait. Il en aurait au moins entendu parler. Ce n’est pas là un sujet mineur pour ceux qui auraient pu craindre d’en être victimes. Le prince Maximilien de Wied qui a voyagé dans l’Ouest à peu près à la même époque que Catlin, affirme que les Indiens des Plaines ne torturaient pas leurs prisonniers. La raison qu’il en donnait était le caractère sacré du camp indien, lieu de paix, qui ne pouvait être souillé par le sang, ce qui laisse supposer que certaines atrocités pouvaient être commises à l’extérieur.
En effet, il paraît que des Cheyenne du Nord, avaient, dans les années 1850, écorché vif un homme blanc sur une colline, maintenant appelée Rawhide Butte. Il faut dire que ce personnage n’avait rien d’une victime innocente. Il avait assassiné une famille cheyenne en voyage, père, mère et enfants, qui lui avait donné asile à son campement. Les Cheyenne avaient alors exigé que le meurtrier leur soit livré, ce qui fut fait, les Indiens ayant menacé de brûler la petite ville où il s’était réfugié.
Le Prince Maximilien, beaucoup moins favorable aux Indiens que ne l’était Catlin, moins en sympathie surtout, reconnaît à ceux qu’il persiste à traiter de sauvages et de barbares, certaines qualités morales et intellectuelles, comme s’il constatait ces choses malgré lui et s’en étonnait. Il dit par exemple que les Indiens « aimaient à converser de choses élevées », à caractère religieux et philosophique.
On a parlé de « prisonniers esclaves ». Il ne s’agissait pas d’un esclavage vrai, comme l’esclavage antique, ou celui pratiqué sur les Noirs par les Blancs du Sud, ni même celui, plus libéral, des Aztèque. Les « esclaves » des tribus des Plaines n’étaient que des prisonniers en voie d’assimilation. Les hommes adultes n’étaient que rarement faits prisonniers. Ils étaient tués. Par contre, femmes, enfants et adolescents étaient épargnés et adoptés dans la tribu, généralement par la famille de celui qui les avait capturés. Le sort des prisonniers était rude. Cette rudesse avait une fonction précise : tester les capacités et surtout le courage et la force d’âme de la personne. On n’exigeait pas les mêmes qualités d’un homme que d’une femme, mais tout prisonnier qui montrait de la dignité dans l’épreuve, la capacité à s’intégrer en apprenant la langue et les façons de se comporter dans la société tribale, avait toutes les chances de devenir un membre respecté de la tribu. Il arrivait aussi que des prisonniers étaient renvoyés chez eux, bien vêtus, montés sur de bons chevaux, couverts de cadeaux, afin d’humilier l’ennemi.

Si Catlin est muet sur le chapitre de la torture, la question ne s’étant probablement jamais posée, il ne l’est pas sur celui du viol. Il affirme que les Indiens ne violaient pas leurs prisonnières, contrairement, dit-il, à ce que faisaient les armées civilisées. Il semble que les femmes indiennes couraient plus de risques d’être violées, et souvent tuées, par les Blancs que les Blanches de l’être par les Indiens qui n’avaient pas encore fait du viol un moyen de terreur.
On doit rapporter l’affreuse histoire d’une jeune femme blanche captive que les Indiens voulaient échanger contre cinq chevaux. Le général Philip Sheridan avait fait répondre : « Cette femme a évidemment subit la bestialité horrible de toute la tribu et je n’ai pas envie de donner cinq chevaux pour récupérer ce qui reste d’elle ». L’interprète avait porté la réponse. Quand les Indiens avaient compris non seulement l’accusation, qui était fausse, mais aussi le mépris insondable que révélait la réponse du général, l’un d’eux, fou de rage s’était précipité sur la malheureuse et l’avait tuée. Il aurait été surprenant que les Indiens proposent de rendre une femme s’ils l’avaient aussi gravement molestée que ne le pensait le général. Des femmes blanches qui avaient eu des relations - réelles ou supposées - avec des Indiens étaient tuées par des Blancs qui voulaient « laver la souillure ». On ne saurait aller plus loin dans le racisme.
A un moment précis, le comportement de certains Indiens a changé. Après le massacre de Washita River, en novembre 1868, des femmes cheyenne survivantes - ainsi que quelques enfants, mais ceux-là n’avaient pas survécu longtemps - avaient été emmenées au fort et violées par les soldats. Les Cheyenne s’étaient alors vengés en enlevant trois immigrées allemandes qui avaient été traitées « comme les femmes cheyenne l’avaient été ». D’autres cas de viols de femmes blanches avaient été signalés à ce moment. Toutes cependant avaient été récupérées en bonne santé.
A cette époque et dans cette région marquée par les massacres de Sand Creek (novembre 1864) et de Washita River (novembre 1868) des femmes et des enfants blancs avaient été enlevés par des Cheyenne et des Arapaho du Sud afin de les échanger contre des prisonniers indiens. Les captifs étaient restés plusieurs mois dans des familles cheyenne qui s’étaient attachées à eux. L’un des garçons blancs avait déclaré au moment de sa libération « qu’il serait resté volontiers chez les Indiens » et les petites filles pleuraient au moment de la séparation. Bien plus : les familles cheyenne qui s’étaient occupées des enfants durant leur captivité avaient demandé la permission de continuer à voir « leurs enfants » au fort où ils avaient été emmenés, leur apportant des cadeaux et leur prodiguant toutes sortes de marques de tendresse. L’autorité militaire avait du mettre fin à ces visites jugées indécentes.


LES VIEILLARDS
Il est souvent rapporté que les Indiens abandonnaient leurs vieillards. Quelle était la situation des personnes âgées dans la société indienne des Plaines ?
Les couples âgés vivaient ensemble jusqu’à ce que la mort les sépare. Les filles et les brus aidaient la vieille femme dans ses tâches quotidiennes. Les hommes de la famille ne laissaient jamais leurs vieux parents manquer de viande, de chevaux ou de couvertures. S’ils ne pouvaient être aidés par leurs proches, c’était un honneur pour les jeunes de leur apporter le produit de leur chasse, pour les femmes de leur offrir vêtements et mocassins. Se montrer généreux avec les faibles et les déshérités était un moyen de promotion sociale, la générosité étant une qualité fort prisée aussi bien pour les hommes que pour les femmes. Aucun homme, même le plus prestigieux des guerriers, ne pouvait prétendre à une position en vue dans la tribu s’il ne savait se montrer généreux et soucieux du bien de tous. On dit que Crazy Horse ne mangeait pas tant que quelqu’un de son camp était sans nourriture, et il en était de même de Sitting Bull et de la plupart des chefs.
Les grands parents rendaient service à la famille en se chargeant de l’éducation de leurs petits enfants, libérant ainsi les jeunes parents occupés à d’autres tâches. C’est le grand père qui fabriquait le premier arc et les premières flèches du petit garçon, qui le mettait sur un cheval, qui lui faisait suivre ses premières pistes et l’aidait à observer et à comprendre le monde qui l’entourait, à savoir y vivre, à connaître et à respecter les pouvoirs de l’univers. C’est la grand mère qui initiait ses petites filles à tout ce qu’une femme doit savoir : le tannage des peaux, la fabrication des mocassins, le perlage, mais aussi la bonté, la discrétion, la générosité.
Quand l’un des vieux parents mourait, l’autre, pour honorer le mort, faisait don de tous ses biens, ne gardant rien pour lui-même, puis il allait vivre chez l’un de ses enfants ou de ses neveux. Si c’était impossible, le vieillard se retirait alors dans un petit tipi au bord du camp. Il bénéficiait de la générosité générale, mais il est certain que sa situation devenait précaire et difficile. Il n’était pas rare qu’une vieille femme ne se pende, ou qu’un vieil homme n’aille rechercher la mort dans un dernier combat.
Les clans familiaux se déplaçant fréquemment, le transport des vieillards, comme celui des malades et des blessés, posait un difficile problème. Quand les Indiens n’avaient encore que des travois à chiens, ce transport n’était pas impossible, mais il était malaisé. Aussi des vieillards, malades et épuisés, sentant la mort proche, acceptaient-ils d’être abandonnés afin de ne pas être une charge pour les leurs. Les Indiens voyaient venir la mort avec beaucoup de sérénité et s’y préparaient.
Avec l’apparition des chevaux, tous les transports ont été beaucoup plus faciles. On pouvait aisément transporter une personne couchée sur un travois tiré par un cheval. Les vieillards ont donc pu être emmenés. Mais il se trouvait parfois des familles qui ne possédaient pas assez de chevaux pour transporter un vieux parent, donnant, on peut le comprendre, la priorité au transport des enfants et du matériel indispensable à la vie de la famille. C’était un cas de force majeure. Abandonner sa vieille mère alors qu’on aurait pu l’emmener était socialement très mal considéré. En fait, ces abandons étaient fort rares. Il se trouvait toujours quelqu’un qui offrait le cheval manquant. C’était le rôle des chefs et des akicita, les gardes tribaux, que d’y veiller. C’était là une occasion où la générosité d’un homme possédant beaucoup de chevaux pouvait se manifester.


HARMONIE ET PARTAGE
Il y avait dans la relation de celui qui donne à celui qui reçoit tout un jeu subtil et fortement émotionnel de mise en dépendance, de provocation à la générosité. Une famille qui se dépouillait de ses biens à l’occasion d’un deuil remettait totalement son sort entre les mains de la communauté. Elle testait ainsi l’affection que les autres lui portaient. Ainsi, on resserrait les liens de solidarité entre les membres du groupe. On voit bien dans ce genre de pratiques, ainsi que dans les souffrances volontaires que s’infligeaient publiquement les Danseurs du Soleil, le goût du drame et de la souffrance, avec toutes les émotions violentes que cela entraîne, et qui est certainement l’un des caractères profonds de cette société.
Acquérir des biens, en particulier les chevaux qui, pour les Indiens des Plaines, constituaient au XIXème siècle la véritable richesse, n’avait pas d’autre sens que de pouvoir les redistribuer. Celui qui, chez l’ennemi, réussissait à s’emparer de nombreux chevaux était doublement gagnant. Il montrait son courage et son habileté dans une action valorisée comme un fait de guerre et il détenait le moyen de se montrer généreux. Le cheval donné à la pauvre famille qui avait du mal à déplacer ses biens, pour un vieillard, pour un enfant, était évidemment remarqué par la communauté et constituait un capital de reconnaissance engrangé par le donateur. On ne voulait pas pour autant humilier celui qui recevait. Il était censé donner quelque chose en retour, même une chose très modeste, souvent une chanson de louange qu’il avait composée pour son bienfaiteur. Toujours ce souci de maintenir un équilibre. Quand, enfermés dans les réserves, privés de leurs terres, de leurs moyens d’existence, de leurs relations sociales traditionnelles, les Indiens n’ont plus rien eu à donner, ils ont vraiment atteint le fond de la frustration et du désespoir. En fait, être riche, être pauvre, était une situation transitoire. Les biens s’échangeaient, circulaient, comme circulaient les clans dans la Prairie autour de Paha Sapa, comme les Quatre Vents autour du monde, les astres du ciel. La fixité, l’accumulation étaient synonymes de mort.

Beaucoup de Blancs qui côtoyaient les Indiens s’étonnaient de la violence de leurs manifestations de deuil : lamentations, cheveux coupés, vêtements lacérés, automutilations. Ces signes de violent désespoir à la mort d’un parent paraissaient surprenants de la part de « sauvages sanguinaires » par définition insensibles et cruels.
On a voulu voir les Indiens comme des gens froids, impassibles, simplement parce qu’ils entouraient l’accueil et les rencontres d’un certain cérémonial et que l’idée qu’ils avaient de la politesse exigeait qu’on prenne son temps avant de répondre, qu’on ne parle qu’après les aînés et qu’on limite les manifestations d’impatience ou de curiosité. Des observateurs de la vie indienne les ont cependant vus joyeux, insouciants, aimant rire et plaisanter.
Il est certain que les malheureux chefs que l’on emmenait à Washington pour les impressionner par l’étalage de la puissance des Blancs, et dont on exigeait lors de la signature des traités qu’ils entérinent la spoliation de leur peuple, ne pouvaient maintenir leur dignité et cacher leur honte et leur chagrin qu’en montrant un visage impassible. C’est surtout à travers eux que les Blancs se faisaient une opinion sur les Indiens.

On peut dire que ces sociétés indiennes avaient atteint le but ultime, jusqu’ici largement utopique, du socialisme : « A chacun selon ses besoins ». Alors que les sociétés modernes civilisées, regorgeant de biens, se débattent dans des difficultés sociales de plus en plus inextricables et que les exclus se comptent par millions, on a peine à croire que ces petites communautés, sans moyens techniques, constamment décrites comme sauvages et barbares et « privées des lumières de la civilisation et du christianisme » aient pu atteindre cet équilibre enviable.
C’est cette société harmonieuse, basée la solidarité, la confiance, une stricte honnêteté qui avait frappé les regards des visiteurs européens du XVIIIème siècle. Le mythe du Bon Sauvage, tant ridiculisé, n’est pas né de rien. Le Bon Sauvage - qui n’était d’ailleurs ni bon ni sauvage - est parfaitement déterminé. Ce n’est pas n’importe quel primitif. C’est l’Indien d’Amérique du Nord, plus particulièrement Delaware ou Huron.
L’erreur des gens du Siècle des Lumières a été d’attribuer cette situation qu’ils constataient à un simple « état de nature ». Ils pensaient que l’Indien n’avait fait qu’obéir à son penchant « naturel » qui le portait au bien. L’Ingénu .... Rien n’est certainement plus faux. Il a fallu au contraire un effort difficile, constamment renouvelé, pour maintenir la solidarité, la cohésion, la paix intérieure entre les clans, imposer des notions de dévouement et de partage qui vont à l’encontre des penchants « naturels » de l’individu qui le poussent à l’égoïsme. Cela ne pouvait être réalisé qu’à travers la notion de parenté étendue à la famille, au clan, à la tribu, aux alliés, à l’ensemble des hommes, au monde.
Il faut bien reconnaître que ceux qui vivaient dans ces petits groupes tribaux où tous se considéraient comme parents, où chaque individu était important et reconnu, liés par de fortes solidarités de vie et de sentiments, bien intégrés dans le grand tout de la création, étaient bien plus authentiquement humains que tant de gens vivant anonymes et isolés dans la foule indifférenciée et indifférente des grandes métropoles. Les Indiens qui, au XIXème siècle, visitaient les villes américaines de l’Est, étaient épouvantés par le grouillement humain qu’ils découvraient. « Les Blancs sont comme les fourmis », disaient-ils, « ils s’insinuent partout ».
Les Blancs aimaient, pour décrire leur civilisation laborieuse, ces images de fourmilière et de ruche qu’ils estimaient valorisantes. Non pas que les Indiens aient méprisé les fourmis et les abeilles. Ils en tiraient bien des enseignements, comme de « tout ce qui se meut » sur la terre, les animaux, les enfants d’Ina Maka, la Terre-Mère, mais ils préféraient cependant s’inspirer de l’aigle, du bison, du loup, de l’ours, l’autre bipède. A chaque civilisation ses modèles ....
La façon dont les Blancs voyaient l’Indien a totalement changé quand il est apparu qu’il constituait un obstacle à l’avancée des colons à travers le continent. Plus de « sauvages aimables et accueillants » même si, en de nombreux endroits et en plein XIXème siècle, les voyageurs blancs étaient bien reçus par les tribus encore naïves et ignorantes du sort qui les attendait. L’Indien a été alors chargé de tous les vices, de tous les crimes, totalement diabolisé pour justifier sa destruction. Son crime énorme, impardonnable, était de « faire obstacle à l’avancée du christianisme et de la civilisation ».
C’est très exactement ce que l’agent James McLaughlin avait dit de Sitting Bull pour justifier son assassinat. Chargé d’un pareil crime devant l’Histoire, l’Indien ne pouvait que disparaître.

(°) Des études récentes pourraient bien donner raison à la tradition orale des Lakota qui considère leur arrivée dans les Black Hills au XVIIIème siècle comme un retour vers le lieu de leurs origines. Il se pourrait que les Lakota aient déjà occupé la région des Black Hills il y a plus de 3 000 ans. Des traces archéologiques permettent de le croire, en particulier des graphismes caractéristiques des Lakota, et qui remonteraient à cette époque.
Une étude des connaissances astronomiques des Lakota, menée au début des années 1980 par Robert Goodman avec l’aide de nombreux informateurs dignes de foi, démontrerait, par l’étude des cartes du ciel lakota et les connections établies entre certaines constellations et des sites particuliers des Black Hills, la présence des Lakota dans cette région à une époque que l’on peut situer entre 1600 et 1000 avant J.C. Quand on dit « les Lakota », il peut s’agir d’un peuple que les Lakota considèrent comme leurs ancêtres, et non pas forcément des Lakota actuels.
Grâce à un calcul basé sur le phénomène de précession des équinoxes, on a pu déterminer que c’est à cette époque que les Lakota, ou leurs ancêtres, ont commencé à régler leurs cérémonies et leurs mouvements sur ceux de certaines constellations, en considérant la position qu’avaient à cette époque ces constellations pour des observateurs terrestres. La tradition orale parle d’un « retour au temps de la purification et d’une nouvelle dispersion ». On peut imaginer que les Lakota, et peut-être l’ensemble d’Oceti Sakowin Oyate, tournaient de manière rituelle à travers certaines parties du continent nord-américain, l’Ile de la Tortue.
Il est possible que d’autres peuples indiens, pour des raisons rituelles du même ordre, aient fait la même chose, ce qui pourrait expliquer l’abandon apparemment volontaire de certains sites de haute civilisation, comme ceux de l’Indiana et de la vallée du Mississippi (Adena, Hopewell, Mississippien) ou du Sud-Ouest (Hohokam, Anasazi)
- Voir l’ouvrage de Ronald Goodman « Lakota Star Knowledge, Studies in Lakota Stellar Theology », édité en 1990 par « Sinte Gleska College » de Rosebud.

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